Le titre de ce billet est tiré d’une chanson du groupe Tire le coyote. Les paroles y sont dures en apparence, mais elles reflètent plutôt une crainte persistante pour chacun d’entre nous: celle de vieillir seul.
J’ai vu comme vous peut-être, Henry, de Yan England. C’est un très beau portrait d’un homme qui perd ses repères, qui n’a plus de mémoire continue. Seules quelques bribes de souvenirs lui réapparaissent dans le désordre de temps à autres. L’interprétation de Gérard Poirier est brillante. Il nous fait voir le désarroi et la solitude d’un homme qui ne peut plus entrer en contact avec ses proches, sinon qu’à de rares moments.
Si le film a tant touché et s’il s’est faufilé jusqu’aux Oscars, c’est sans doute parce qu’il a mis en image et en scène une préoccupation universelle mais particulièrement aiguisée en Occident, là où le culte de la jeunesse et des apparences finit même par travestir l’idée de «vieillir avec grâce»… En effet, chez des personnalités comme Denise Bombardier, s’injecter du botox et se faire relever les paupières par chirurgie esthétique s’inscrit dans ce projet. Or, le pire des périls pour un vieux, ce n’est pas tant le déclin physique, mais la solitude et l’isolement que peuvent générer la mort du conjoint ou la perte de mémoire.
Dans «L’âge d’or vaut rien», Benoît Pinette, le leader de Tire le Coyote, chante:
«Dehors les nuages se traînent les pieds
L’orage éclaire les tourments de l’été
Le p’tit Jésus enfile les abats
Quand j’ai besoin de lui, il n’est jamais là
Mes prières au chemin, mes yeux sans repères
Pas facile d’être bon pour la fourrière
J’ai 80 ans et je gagerais un cent
Que ma carcasse en a pas pour longtemps
L’âge d’or vaut rien
Au moins j’tire à ma fin
J’veux r’joindre ma femme
Là où le ciel devient l’aut’bord
J’ai l’âme en larmes
Le cœur fauché par son départ
Je suis barré de partout, j’ai un cadenas dans le corps
La chaise berçante grouille plus que moi
Sous un ciel de charbon, je courtise la mort
Mais la file d’attente est pas prête d’achever
Chu su’l décalage, j’ai troqué mes tripes
Pour un squelette de rack à chip
La vieillesse, c’est un désert, c’est un isoloir
C’est mon last call, j’prends pas de pourboire
L’âge d’or vaut rien
Au moins j’tire à ma fin
J’veux r’joindre ma femme
Là où le ciel devient l’aut’bord
J’ai l’âme en larmes
Le cœur fauché par son départ»
Ces paroles chantées sous forme de complainte country par Benoît Pinette me ramènent à ce roman de la terre, classique oublié de notre littérature nationale, que je viens de terminer: Trente arpents de Ringuet. C’est Denys Arcand qui vient de m’allumer sur cette lecture nécessaire en publiant un cours monologue qui tire son inspiration du personnage principal de Trente arpents. Le livre s’intitule Euchariste Moisan. Je vous suggère de lire l’original de Ringuet, car le livre d’Arcand ne réussit pas à prolonger le parcours du personnage principal de Ringuet. Il ne fait que résumer en quelque sorte le livre, sans nous offrir quelque chose de neuf… Arcand aurait pu nous proposer une forme de suite, continuer là où Ringuet avait laissé son personnage d’Euchariste Moisan, plongé dans un certain désarroi face à sa descendance, à son héritage et à la mort lente de sa culture dans cette Amérique urbanisée et anglophone. L’exercice de Denys Arcand est donc quelque peu raté. Mais il a le grand mérite de ressusciter un très grand livre.
Plongez dans Trente arpents, vous découvrirez une littérature qui n’a rien à envier aux plus grands romanciers. Ses descriptions des paysages, des villages et du milieu agricole du pays du Québec en ce début de XXe siècle sont tout simplement magnifiques. Et combiné à cette littérature de grand calibre, Ringuet est un dialoguiste hors-pair. L’oralité de ses personnages lorsqu’il les fait discuter entre eux renvoie à une musique que l’on connaît bien: cette parlure originale qui fût la nôtre et dont il reste des traces dans certaines de nos expressions et de nos accents. Ces deux niveaux de langages sont maîtrisés et cohabitent ensemble au sein du livre, ce qui donne au récit une double tonalité: littéraire et théâtrale.
Et pour revenir au thème de la vieillesse et de la peur de vieillir seul, on peut dire que Trente arpents nous propose une réflexion profonde et empreinte de compassion pour ce vieil Euchariste qui ne comprend plus le monde dans lequel il voit grandir ses enfants et petits-enfants. Il se sent de plus en plus délaissé et inutile. Il devient progressivement un étranger pour sa propre famille. Comme le Henry de Yan England, le personnage d’Euchariste Moisan de Ringuet se retire progressivement dans ses pensées et celles-ci sont de plus en plus déphasées par rapport à celles de son entourage.
C’est dans ce contexte que l’on peut chanter «L’âge d’or vaut rien» de Tire le coyote. Pas pour dévaloriser ou mépriser les vieux, mais au contraire pour ressentir leur impuissance face à un avenir qui risque de s’arrêter à tout moment. Pour les accompagner dans le vieillissement, surtout s’ils ont perdu leur douce moitié. Et si en plus, leur vieillesse s’accompagne de pertes de mémoires, c’est en organisant quelques sorties simples mais récurrentes avec eux que l’on peut les aider à cheminer doucement vers cette sortie inévitable mais vertigineuse qu’est la mort.
Et si vous écoutez attentivement la voie nasillarde de Tire le coyote, sa musique country-folk, ses thématiques, vous découvrirez comme une nouvelle version du classic rock qu’est la chanson Old man de Neil Young… Un jeune Neil Young au pays du Québec.
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Pour tirer un peu le coyote, voir cet enregistrement de la toune Chainsaw:
Voir Huguette Oligny devant la mort imminente: http://vimeo.com/60318422
Ça c’est vieillir avec grâce! Et tous ses partenaires qui témoignent aussi! Inspirants!
Votre billet m’aiguille vers une multitude de considérations apparentées aux différents âges de la vie, Monsieur Chénier. Et je risque du coup de paraître peu pertinent – ou de manière bien ténue avec votre propos. Mais je vais tenter d’ajouter quelques éléments à votre canevas. En espérant que vous n’y verrez pas trop d’inconvénients et que, possiblement même, vous y trouverez un certain intérêt.
Donc, «vieillir seul» serait la pire des conditions. Peut-être. Pour certains, voire pour plusieurs. Car tout est un peu relatif. Cela dépend beaucoup de qui il est question. Il y a d’éternels solitaires pour qui l’enfer sera toujours les autres… Et ceux-là ne veulent certainement pas entendre parler de finir leurs jours entourés de plein d’intervenants attentionnés venant leur chiper leur liberté en pensant bien faire.
Personnellement, je suis de cette catégorie. Je n’apprécie rien davantage que d’avoir la «paix». Pas que je sois un ours. Mais je considère depuis toujours comme étant un gros gâchis de notre courte existence que d’avoir à en passer tant de temps à du bla-bla-bla insignifiant en compagnie d’autres n’ayant souvent rien de mieux à faire que de s’occuper, de passer le temps, pour ne pas s’ennuyer.
Cela tient surtout au fait que je suis – à défaut d’une meilleure définition – un «artiste». Porté sur l’observation du monde et la réflexion. Un auteur-compositeur de longue date, un musicien depuis les années soixante. Sans prétendre me suffire à moi-même, car ce n’est certes pas le cas, je m’accommode parfaitement d’être laissé à moi-même, seul. Pour de longues périodes.
Alors l’idée de «vieillir seul» ne m’inquiète pas tellement. C’est plutôt la perspective de vieillir trop entouré qui m’horripile. Different strokes for different folks, comme le proclamait une chanson ayant connu du succès il y a des décennies…
Mais je vais essayer d’abréger mon intervention en faisant valoir ceci: notre vie peut être vue comme se répartissant en trois âges différents.
Il y a ainsi l’âge de bronze. Cet âge de l’apprentissage, cet âge largement de l’inconscience, de l’inexpérience et du manque d’appréciation des conséquences et des risques de ce que nous faisons. Un âge que je situe plus ou moins entre la fin de l’adolescence et la mi-trentaine.
Puis, après une petite période de flottement, nous arrivons à l’âge d’argent à la quarantaine. L’âge des gains matériels alors que notre carrière professionnelle roule à la vitesse TGV, que nos amitiés avec plusieurs sont solides, que notre famille est bien établie.
Ce qui nous mène, à notre insu, à la prochaine étape du cheminement. Aux portes de l’âge d’or. Lorsque l’on franchit le seuil de la soixantaine. Là où je viens de mettre les pieds l’été dernier. Une arrivée en territoire souvent inquiétant. Avec la maladie qui nous guette ou qui nous a déjà assailli. Avec la forme physique qui commence à montrer des signes d’essoufflement. Avec une prochaine mise au rancart qui s’annonce à l’horizon. Avec tous ces chers amis perdus de vue ou tout simplement perdus.
Enfin, je conclurai en écrivant que l’âge d’or n’existe pas. Pour le principal intéressé, du moins. Pour la personne vieillissante perdant de plus en plus contact avec le monde qui l’entoure. Ne se rendant souvent plus vraiment compte de ce qu’elle fait ou de ce qu’elle comptait faire. L’âge d’or, c’est un épouvantail. Et ça n’a vraiment de l’effet que sur ceux et celles qui franchissent le seuil de la soixantaine. Ça dure un moment, puis on oublie. Malgré soi.
Bonnes étapes de vie, Monsieur Chénier…!
(En espérant vivement ne pas vous avoir trop dégonflé avec mes élucubrations…)
MonsieurChenier,
Je serais plus tôt en clin à considérer l’opinion de monsieur Perrier,que je trouve pertinente…
tout en accordant un plus à votre billet, et çe grâce à votre recommandation de relire Trente arpents.
Malgré toute l’instabilité humaine, je me plais encore à penser que mes petits enfants pourront redresser la situation, et que les résidences multigénérationnelles
pourront apporter à votre génération un certain réconfort.