Paul Rose est mort. Il suscite chez moi des sentiments partagés. Son nom est indissociable du mien. La cellule Chénier dont il a fait partie est responsable de l’enlèvement et de la mort de Pierre Laporte. Mais Paul Rose incarne aussi le combat pour la justice sociale et le fait français auquel il devrait toujours être associé lorsqu’il s’agit d’une petite nation comme le Québec.
Quand Paul Rose et ses camarades glissent vers la violence politique à la fin des années 60 et quand ils basculent dans cette violence brute en 1970, c’est parce qu’avec lui, toute une mouvance a l’impression que le «système est bloqué», que l’élite politique en place est complice de la domination d’un capital anglo-saxon qui veut maintenir le Québec en situation coloniale. Et lorsque le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau utilise la violence du FLQ pour salir tout le mouvement indépendantiste, lorsqu’il s’emploie à détourner les moyens disproportionnés de l’État féodal canadien pour mater le Québec qui se levait alors, on peut dire qu’il renforce la légitimité de cette perception que tout est bloqué.
Sans René Lévesque qui a su canaliser démocratiquement cette nécessaire décolonisation de l’intérieur que nous nous devions d’opérer, le Québec de la décennie 1970 aurait glissé vers un durcissement impitoyable, semblable à ce qu’a connu l’Irlande du Nord pour une grande partie du XXe siècle. René Lévesque a débloqué notre impasse sociale et linguistique pour son époque. Mais le combat pour la libération politique du Québec nous a échappé.
Je pense à Paul Rose, à Jacques Rose, à Francis Simard, à Bernard Lortie, à tous ceux qui ont appuyé le discours et les revendications du FLQ, à ceux qui les ont suivi dans la justification de la violence et à ceux qui se sont désolidarisés du FLQ tout en étant en phase avec sa vision des choses: une société juste et solidaire, où le français est la langue normale de travail, de l’État et des institutions.
Où en sommes nous? Je regarde plusieurs de mes étudiants mobilisés du printemps qui sont aujourd’hui désenchantés par le paysage politique actuel, cyniques et incapables d’entrevoir une voie politique pour lutter contre le «néo-libéralisme» triomphant. Je regarde ces jeunes les plus allumés et les plus solidaires et je me rappelle que le gouvernement Charest a offert comme réponse à cette mobilisation historique l’instrumentalisation du système judiciaire, l’usage de lois répressives et des corps policiers à qui l’on permettait de se transformer en police politique digne des dictatures…
Une bonne part des carrés rouges et de leurs alliés du printemps se disent aujourd’hui que, devant la tiédeur du gouvernement Marois, devant l’activisme transformateur du gouvernement Harper, face au triomphe d’une élite financière internationale solidaire et puissante qui fait aujourd’hui pression sur les États pour qu’ils appliquent des politiques d’austérité, devant les promesses de changement qui s’essoufflent (Obama promettait en 2008 de changer les USA et le monde…), plusieurs acteurs de ce printemps québécois donc, se disent en 2013 que le «système est bloqué».
Et plusieurs le ressentent aussi. La colère de la rue actuellement est mal canalisée. Il n’y a pas de René Lévesque capable de la retourner positivement. Les policiers demeurent sur leurs dents, presque en guerre contre la jeunesse mobilisée qui offre pourtant une vision du monde généreuse et porteuse d’espoir. La classe politique déçoit. Notre mode de scrutin favorisant le bipartisme nous ramènera les libéraux au pouvoir avec un nouveau visage, un Philippe Couillard pourtant imprégné de cette culture du sens de l’éthique pour le moins douteux.
Le contexte est là pour qu’un nouveau durcissement apparaisse. Je ne crois pas que la violence politique soit le meilleur moyen pour faire débloquer les choses vers plus de justice sociale. Au Québec, la majorité s’est toujours désolidarisée des mouvements qui ont choisi la violence comme moyen d’action.
Mais si le gouvernement Marois n’ose pas déclencher une enquête sur le comportement des corps policiers durant le printemps québécois, s’il ne crée pas un Bureau d’enquête indépendant sur lequel siègerait des citoyens et des représentants de groupes communautaires pour encadrer tout le processus de plainte contre la police, s’il continue à s’acharner contre les bénéficiaires de l’aide sociale, s’il renonce à transformer sa politique en matière de redevances minières, s’il glisse vers une exploitation pétrolière inconsidérée, plusieurs se diront que le durcissement est la seule voie pour «faire sauter ce système bloqué».
Je crois en un durcissement de nos positions pour une fiscalité plus juste, pour un développement économique plus vert et tourné vers les besoins des travailleurs. Mais je demeure convaincu qu’une société juste et démocratique a plus de chance de s’installer lorsque la violence est écartée des moyens privilégiés d’action collective.
C’est aussi pourquoi je pars pour Tunis la semaine prochaine, pour participer au Forum Social Mondial 2013, là où ceux et celles qui travaillent à ce monde plus juste et plus démocratique se rencontreront et profiteront de l’occasion pour affirmer leur soutien à tous ces démocrates (je pense particulièrement aux femmes tunisiennes!) qui entrevoient avec stupeur et tremblement la montée d’un islam politique intransigeant qui promeut un conservatisme moral et un néo-libéralisme économique pour le moins inquiétant…
C’est ce durcissement que je vais combattre à Tunis. Le durcissement d’un islamisme hostile à la différence et aux débats. Le durcissement d’un libéralisme économique radical destructeur du lien social. Avec comme seule arme nos principes et nos valeurs de dialogue, de tolérance, de démocratie délibérative, de justice sociale et de respect de l’environnement.