Ralentir. Le verbe est mal perçu, dans notre monde rapide, pressé, turbulent, excessif. Tout doit se faire en quelques instants de nos jours. Nous sommes dans l’ère du temps rapide. Et cette vitesse permanente a raccourci notre maîtrise du temps.
Pour en rajouter, certains remplissent leurs journées et celles de leurs enfants comme s’il fallait absolument faire quelque chose ou organiser une activité pour fiston et fillette… Il n’y a pas de temps à perdre ! Interdit de ralentir.
Dans les médias, il faut absolument qu’il y ait un reporter en ondes, sur place, LIVE à Boston devant le périmètre de la ville bouclée, à la recherche du dernier survivant des deux frères responsables de l’attentat… même si le reporter en question n’a absolument rien à dire, sinon qu’il est sur place pour nous dire qu’on a entendu Boum et que plus d’informations sont à venir… Vite, envoyons un reporter, parachutons des touristes de l’info qui n’auront aucun recul mais qui seront sur le champ de bataille de la dernière guerre que l’on oubliera aussi vite que la précédente. Notre vitesse excessive favorise aussi une amnésie permanente.
Ralentir. Cette action qui semble ne pas en être une serait pourtant salvatrice. Pour nous et nos enfants qui doivent apprendre à s’arrêter, à s’ennuyer s’il le faut, puisque l’ennui stimule la créativité et que celle-ci fout le camp lorsque fiston n’a jamais l’occasion de déterminer par lui-même l’activité qu’il a le goût de faire, surtout si c’est de ne rien faire… Ralentir. Les médias nous feraient profiter d’un peu de recul si les patrons de presse soutenaient davantage le journalisme d’enquête, qui a besoin de temps et de continuité pour «sortir» une nouvelle importante et effectuer un vrai travail utile à la démocratie. Mais on préfère le clinquant du journaliste en veste pare-balle ou dans l’œil du cyclone qui n’a rien à nous dire plutôt que le travail de moine d’une enquête qui débusque et analyse un problème complexe.
Ralentir. Voilà ce que je suggérerais au gouvernement Marois qui gouverne comme une poule pas d’tête à la poursuite du déficit zéro sans aucune vue d’ensemble. Ralentir et penser à ce qui serait un vrai programme de changement porteur. Mais non, Mme Marois cherche plutôt à brève échéance sa prochaine majorité tout en écoutant servilement les bonzes de Wall Street et de l’élite économique qui feront tout de leur côté pour ramener les libéraux au pouvoir le plus rapidement possible… Et pourtant, en courtisant à droite, le gouvernement Marois perdra son électorat progressiste sans rien gagner ailleurs. Et ce sera tant pis pour elle et tant mieux pour Philippe Couillard et ses amis, qui retrouveront le pouvoir en pensant que tout est à nouveau permis.
Ralentir notre course effrénée pour la croissance. Ralentir notre mode de production agricole axé sur les grands producteurs et plutôt se tourner vers les petits agriculteurs, qui occuperont de façon dynamique notre territoire, feront vivre des familles tout en renforçant notre souveraineté alimentaire et la qualité de notre environnement. Ralentir l’envie de vider le Nord de ses métaux précieux avant d’en avoir pensé et planifié le développement et laisser la valeur du sous-sol augmenter dans un contexte de raréfaction des ressources. Ralentir l’exploitation pétrolière inconsidérée et vérifier les autres filières énergétiques porteuses pour l’avenir. D’ici là, ralentir notre consommation d’énergie et exporter les surplus! Ralentir le développement autoroutier et développer les transports collectifs dans les grandes villes. Ralentir l’étalement urbain. Ralentir le consumérisme.
Ralentir et amorcer un virage. Avant de frapper le mur trop vite et trop fort. S’arrêter pour lire, réfléchir, penser. Que voulons-nous léguer à nos enfants? Quel monde sera le leur si nous ne sommes pas capables de leur apprendre à critiquer la course folle que l’on nous enjoint de pratiquer sans cesse: va à l’école, fais tes devoirs, va à ton cours de natation, achète un cadeau pour la fête de ton ami qui en aura déjà trop, étudies, endettes-toi, travaille, consomme, pis ferme ta gueule!
Ralentir est peut-être plus subversif qu’on pense. Ça implique que l’on se simplifie la vie. Ça exige que l’on réapprenne à vivre selon nos moyens. Ça nous suggère de soutenir le commerce local plutôt que d’engraisser les Wal-Mart qui n’embauchent que des travailleurs à temps partiels qui sont incapables de prendre le contrôle de leur vie, bousculés qu’ils sont par des employeurs qui régissent leurs vies à défaut de les faire vivre décemment. Ralentir pour recentrer nos liens vers nos amis proches et notre famille. Pour reprendre le contrôle du temps qui file parce qu’on l’a laissé défiler trop vite.
Ralentir peut nous mener ensuite à une action mieux comprise, mieux chorégraphiée: agir de façon assumée et réfléchie plutôt que réagir de façon mécanique et bête.
Avec la venue du printemps, je nous souhaite cette capacité de s’arrêter pour mieux repartir. Ralentir pour gagner sur le temps, car comme chantait MC Solaar, «prendre du recul c’est prendre de l’élan».
C’est très bien dit. Ralentir et prendre le temps de bien faire les choses…
Encore un billet que tout le monde devrait lire! À tout ce qui nous tombe sur la tête ces temps-ci, peut-être que la solution passe par là. Avec un peu de réflexion, en prenant le temps, les décisions qu’on prendra ont de meilleures chances de nous faire prendre un tournant qui nous fera éviter le mur vers lequel nous fonçons à toute vitesse, individuellement, d’abord, puis en tant que société…
Pour ceux qui aiment cette thématique: lire les excellentes paroles de cette chanson de Ian Kelly:
– http://www.iankellysmusic.com/songcontent.php?sngid=53&lang=fr
– et voir cette interprétation: http://www.myspace.com/frilancemusique/videos/video/18365176
Bravo Jean-Félix. Je vais faire lire votre texte à mon p’tit boss de la fonction public, il va dire : « Vite, vite ! Dépêchons-nous de ralentir. Ça presse ! » Oui, je travaille dans ces méga réseaux où tout le monde a le pied sur la pédale à gaz et où tout ce qui se fait est mal fait, refait deux ou trois fois, pour aboutir sur une tablette parce qu’une autre girouette a pris la place du boss. Ces petits boss la-pédale-dans-l’fond sortis des HEC de tout acabit se lèvent le samedi matin en écoutant Salut-Bonjour qui leur commande « profitez-en, il va faire beau. » Alors le p’tit boss charge son VUS avec patins à glace, pantins à roulette, skis de fond, planche à voile, vélos hi tech, delta plane pour toute famille. Une fois rendu sur la grande route il demande : « Bon, c’est où qu’on va ? » La poule pas de tête, c’est un mal généralisé.
Encore une fois Félix, les mots justes et émouvants… Merci et je partage!
Un article du Devoir qui pousse dans la même direction: http://www.ledevoir.com/societe/education/382383/a-quoi-rime-l-ete-pour-les-bambins