Pauline Marois disait devant ses partisans la fin de semaine dernière que les partis Option nationale (ON) et Québec solidaire (QS) devaient envisager de se «saborder pour la cause». La division du vote souverainiste favorisait les libéraux et on devait selon elle se rallier au PQ… Elle prenait l’exemple de Pierre Bourgault qui a sabordé le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) pour demander à ses militants de joindre le PQ naissant à la fin des années 1960.
Disons d’abord que l’exemple donné est sujet à discussion… D’abord, le PQ de l’époque incarnait un réel espoir de changement. Son chef René Lévesque était un homme rassembleur au magnétisme incontestable. Il faut aussi rappeler que René Lévesque n’aimait pas le nom du PQ, considérant qu’aucun parti ne devait monopoliser l’identité québécoise. Lévesque considérait aussi qu’un parti devait envisager se saborder au bout d’une ou deux générations pour éviter qu’il s’enlise dans la seule quête du pouvoir… Et Lévesque aurait préféré que Bourgault maintienne son RIN, de façon à ce que le mouvement indépendantiste demeure pluriel et que son parti à lui soit perçu comme plus modéré. Ces affirmations devraient suffire pour contester la pertinence de l’injonction faite par Mme Marois: aujourd’hui, le PQ est un parti qui ne semble intéressé que par le pouvoir et même s’il y a en son sein encore des personnes de valeur, je doute que ce parti puisse encore incarner un réel changement ou même réussir à attirer vers lui de façon enthousiaste de nouveaux électeurs… La donne a changé. L’époque n’est plus la même. Et le PQ a mis de côté toute une série de promesses au fil du temps qui le rendent suspect aux yeux des porteurs de changements.
Il faut ajouter à cela le fait que notre époque, marquée par l’éclatement de l’espace public et des médias d’information, ne carbure plus autant au consensus et au ralliement. Nos institutions qui imposent une discipline de parti et qui évacuent du parlement une réelle diversité sont tellement déphasées par rapport aux aspirations d’une très grande proportion de la population que c’est comme si elles nous faisaient voir le débat politique en noir et blanc alors que nous connaissons depuis longtemps et espérons que tout le spectre des couleurs fasse partie du paysage politique.
On comprend donc que le sujet de la réforme du mode de scrutin, mis de côté cyniquement par le PQ et tous les partis dominants à notre Assemblée nationale, est un de ces projets qui aurait pu relancer notre espace public. Et si j’ai des remontrances à faire à QS et ON, ce n’est pas tant de refuser de se saborder que de ne pas avoir fait de la réforme du mode de scrutin le cœur de leur discours politique! C’est comme si les chefs de QS et de ON avaient mis la charrue devant les bœufs: ils ont fondé de nouveaux partis dans un système qui est intolérant au pluralisme et qui favorise continuellement le bipartisme. Dans ce contexte, on peut effectivement dire qu’ils sont les alliés objectifs des libéraux.
Mais il semble de toute façon que le momentum sur le sujet de la réforme du mode de scrutin se soit éclipsé. J’ai fait partie avec Paul-André Martineau, André Larocque, Paul Cliche et d’autres, des co-fondateurs du Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN) qui fut au devant de la scène de ce débat entre 1998 et 2005. Le MDN existe encore et il fait tout un travail d’éducation populaire fort important, mais on peut dire qu’il a perdu son combat, pour le moment du moins.
Le problème central est que nos élus sont peu intéressés à changer un système qui les a fait élire. L’autre problème est que le débat autour du mode de scrutin est peu enthousiasmant, il bascule très vite dans le discours technique. En effet, un mode de scrutin n’est rien d’autre qu’une mécanique électorale qui cherche à transposer en sièges un pourcentage de votes obtenu par une force politique quelconque. Et il y a autant de mécaniques possibles que l’imagination peut produire… Or, faites le test, à chaque fois que l’on avance dans ce débat, on s’embourbe dans des technicalités. Il faut pourtant revenir aux principes: l’idée générale d’un mode de scrutin à dimension proportionnelle est de faire en sorte que le pourcentage de votes obtenu par un parti corresponde grosso modo au pourcentage de sièges qu’il devrait obtenir en chambre.
Il ne servirait à rien de rouvrir ce débat sans tenir compte de toute l’énergie qui y a été investie depuis au moins 15 ans. Les multiples consultations menées par les États généraux sur la réforme des institutions démocratiques dirigés par Claude Béland; par le gouvernement libéral; par le Directeur général des élections; par divers groupes citoyens comme le MDN et le Mouvement démocratie et citoyenneté (MDCQ); ces consultations et délibérations ont fini par dresser un portrait assez clair de ce que serait une réforme acceptable de notre mode de scrutin.
Mais d’ici là, il y a peut-être d’autres options à explorer. Et parmi celles-ci, il y a l’idée de la Convergence nationale. Un Congrès s’y tient les 24-25 et 26 mai prochains. Plusieurs avenues seront explorées pour favoriser une plus grande collaboration des forces indépendantistes. Celle qui m’apparaît la plus porteuse serait d’organiser des élections primaires dans chacune des circonscriptions du Québec où les citoyens intéressés à sélectionner le candidat indépendantiste de leur choix parmi toutes les formations souverainistes seraient appelés à le faire: PQ, QS, ON et même des candidats indépendants se présenteraient et les électeurs décideraient quelle candidature unique devrait se présenter aux élections. Celui ou celle qui aura amassé le plus de vote deviendrait alors le candidat officiel de la Convergence nationale au poste de député pour sa circonscription. C’est un peu comme cela que les différents partis américains choisissent leurs candidats à élire aux divers postes à pourvoir. C’est aussi comme cela que le Parti socialiste français a organisé sa course à la chefferie il y a plus d’un an.
L’avantage d’une telle formule est que ce sont les électeurs de tous horizons (PQ; QS; ON, indépendants) qui élisent les candidats et non des appareils partisans ou les militants d’un seul parti. L’autre avantage est évident: là où on applique ces primaires, on met fin à la division du vote souverainiste et on favorise réellement l’élection d’une majorité parlementaire favorable à l’indépendance.
Ce que les vrais indépendantistes doivent comprendre, c’est qu’il y a beaucoup plus de chances de gagner un référendum lorsque plusieurs partis politiques portent le même projet que lorsque c’est un seul véhicule qui le défend. C’est aussi pourquoi j’ai toujours cru qu’un mode de scrutin à dimension proportionnelle favoriserait l’atteinte du projet d’indépendance du Québec. En effet, avec la proportionnelle, nos gouvernements seraient composés d’une coalition de partis qui représentent déjà une majorité du vote populaire. Il serait alors plus facile d’envisager gagner un référendum puisque les porteurs du projet auraient d’emblée recueillis ensemble une majorité des voix. Alors qu’avec notre actuel mode de scrutin, à chaque fois que le PQ a proposé son projet de pays, il s’était fait élire avec un score à peine plus élevé que 40%. Avant même d’amorcer la campagne référendaire, il lui manquait donc un gros 10 à 15 % des votes, sinon plus, pour faire le pays…
Bien sûr, tous les progressistes ne sont pas indépendantistes québécois et j’aurais aimé que l’on explore dans un premier temps un projet de convergence qui cherche à rassembler tous les Québécois hostiles à la révolution conservatrice de Stephen Harper, réfractaires au démantèlement des syndicats, aux politiques d’austérité, à la marchandisation de l’éducation, au retour au pouvoir des libéraux de Philippe Couillard, etc. J’ai aussi la naïveté de croire qu’un tel projet de rassemblement des progressistes, qui aurait en son cœur l’idée d’une société plus juste et plus verte aurait à terme naturellement favorisé le projet d’indépendance, puisqu’il est beaucoup plus aisé de construire un projet cohérent avec le Québec qu’avec le Canada…
Mais à défaut d’une convergence des progressistes, j’embarque volontiers dans le projet de Convergence nationale. D’abord parce que je suis indépendantiste. Que le Québec est déjà mon pays et que j’aimerais qu’il le soit pour le monde et pour le vrai. Je ne suis pas un «pur et dur» de l’indépendance, j’aurais pu adhérer au Canada tel que l’entrevoyait André Laurendeau, c’est-à-dire un pays qui reconnaît qu’il y a en son sein deux cultures d’accueil et d’intégration: une française au Québec et une anglaise dans le reste du pays, avec des aménagements linguistiques pour préserver les droits des minorités nationales de chaque côté. Mais le projet de Laurendeau a été étouffé par Pierre Elliott Trudeau et il n’y a plus vraiment d’espace politique pour le porter. Reste que pour maintenir cette possibilité, je continuerai de voter pour le NPD sur la scène fédérale, puisque c’est le seul parti qui manifeste une réelle ouverture au Québec dans l’espace canadien. Aussi parce que je crois que le maintien du Bloc québécois sur la scène fédérale repousse paradoxalement l’idée de la souveraineté du Québec.
Je suis aussi souverainiste parce qu’il est vrai que le projet de faire du Québec un pays dépasse la colère que l’on peut avoir envers Harper ou envers Justin/Justin Trudeau/Trudeau. C’est à un idéal démocratique que l’on associe souvent au républicanisme que je convie les Québécois: l’idéal républicain veut construire une identité nationale où chacun se sent lié à la collectivité et responsable de son devenir. Cet idéal politique est imprégné d’un réel idéal démocratique.
Alors, si on revient à Mme Marois et à son appel au «sabordage» de QS et ON au profit du PQ, rappelons-lui qu’une dose d’esprit républicain lui ferait peut-être comprendre qu’au lieu de demander aux autres de se saborder, elle devrait avoir l’humilité et la grandeur de reconnaître que le PQ n’aura plus jamais le monopole de la question nationale…
L’idéal démocratique n’est qu’une chimère. Une utopie entretenue par des affairistes de toutes allégeances. Et ça, Monsieur Chénier, c’est la triste et plate réalité.
Vous en doutez peut-être?
Voici donc sur quelles considérations je m’appuie pour avancer mon opinion. La démocratie n’a de démocratique que son impact au niveau de la plèbe (ce «second ordre du peuple romain» dixit Le Petit Robert). La démocratie pour la populace, telle que l’élite affairiste apprécie le peuple moins éduqué et/ou moins nanti.
Un fantasme pour fantassins, que la démocratie.
Car qu’il s’agisse des élites de gauche, de droite ou du centre, leurs «causes» requièrent toutes des troupes militantes convaincues que la victoire de leur «cause» servira leurs intérêts de fantassins. Sauf que, c’est presque exclusivement l’intérêt de l’élite affairiste l’ayant emporté qui sera bien servi.
Les fantassins, pour leur part, n’auront généralement même pas droit à une meilleure ration de cette misérable rata à laquelle ils se sont habitués…
Bien sûr, il arrivera de temps à autre qu’un hurluberlu un peu déconnecté de la «vraie» réalité s’aventure un moment dans l’arène politique. Le temps de se retrouver face aux fauves et aux gladiateurs qui occupent en permanence cette arène. Et le désenchantement fait le reste. Exit l’hurluberlu.
Enfin, que je mentionne – avant de terminer – que visant à charmer puis embrigader les fantassins, on trouve principalement (ici au Québec) deux gros camps: celui des souverainistes et celui des fédéralistes.
Essentiellement, l’un et l’autre camp sont du pareil au même. Tous deux dirigés par des opportunistes presque exclusivement soucieux de leur propre bien-être que de celui de leurs troupes à pied.
La seule chose qui différencie un peu les camps est que, du côté souverainiste, l’élite – ne voulant plus être un simple poisson dans la vaste mare canadienne – vise à devenir un gros poisson dans une plus petite mare québécoise. Tandis que dans le camp fédéraliste, l’élite du camp québécois voudrait bien s’élever jusqu’au statut de gros poisson dans la vaste mare allant a mari usque ad mare.
Jamais rien pour les fantassins. Pour lesquels la seule démocratie est d’être égalitairement entassés au bas de l’échelle.