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Interagir avec les gens (et les choses)

J’ai relâché quelque peu mes activités sur le Web récemment. Pas par choix, mais par nécessité pratique, plié que j’étais sur les travaux de fin de session de mes étudiants et sur plusieurs activités en marge de mon travail. Mais l’idée de faire une pause du Web me revient à chaque année en cette période et elle prend généralement fin avec la rentrée du mois d’août.

Cette pause récurrente devrait être choisie mais appliquée par chacun, pour que l’on redécouvre le contact physique avec les gens. Discuter à table, face à face. Se couper des écrans qui, le mot le dit, mettent un voile ou une cloison entre les personnes. Il est si facile d’ouvrir l’ordi ou la télé puis de vivre côté à côte avec nos proches, sans réellement les côtoyer, leur parler, les écouter. Combien d’enquêtes ont démontré que la télé est allumée durant les repas familiaux? Combien d’heures les gens passent-ils devant des écrans de toutes sortes au détriment de véritables conversations, où il n’y a aucune médiation technologique, mais de vrais visages qui se regardent et de vraies personnes qui peuvent même se toucher!

Je ne suis pas le premier à dire que l’usage effréné de la technologie contribue à une certaine déshumanisation de la vie. On croit gagner du temps et des «amis» avec la multiplication des plateformes web, mais on en perd aussi beaucoup tout en gagnant en relations superficielles. Rien de plus vrai et chaleureux qu’un souper entre amis. Rien de plus agréable qu’une soirée où chaque personne est là, de corps et d’esprit, disponible à l’autre, sans l’infidélité que peut amener notre usage compulsif d’internet.

Je ne veux pas accabler ceux et celles qui font une utilisation constante de leur téléphone intelligent. Seulement leur rappeler que la véritable intelligence se situe encore chez les gens, dans l’esprit humain. Là où la pensée n’est pas binaire. Les relations humaines qui se vivent en direct – live! – sont plus riches et plus complexes, sans doute plus exigeantes aussi, car il est plus difficile d’y mettre fin ou de confronter la personne lorsqu’il y a désaccord.

Chaque année, on devrait marquer une pause des écrans. Chacun choisira pour combien de temps il est capable de tenir. Mais un arrêt s’impose pour redécouvrir la simplicité du contact physique, de la véritable interaction avec l’Autre. L’utilisation des écrans est devenue un réflexe, mais ce moyen de communication est trop souvent devenu une fin. Certaines personnes, véritables addicts de leurs téléphones, semble même détourner les conversations pour justifier l’utilisation de leur engin numérique…

L’idée d’une pause annuelle imposée à soi-même nous ramène au plaisir de la vraie conversation. Face à face, bien accompagné. Sans nécessairement avoir peur des silences. Car si on est capables de silences avec quelqu’un, c’est qu’on est vraiment bien avec cette personne.

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Je fais maintenant un lien avec la dématérialisation des produits culturels: livres et disques sont aujourd’hui largement achetés par le truchement de plateformes et lus/écoutés par l’entremise de nos appareils électroniques. Je ferai encore une fois vieux-jeu, mais je fais partie de la dernière génération qui s’achetait en grand nombre des disques en vinyles (aujourd’hui, ils sont de plus en plus marginaux ceux qui se procurent encore des disques – vinyles ou CDs). Or, je me rappelle la pause qu’exigeait l’écoute d’un disque et le rapport à l’objet culturel induit par un tel contact physique avec la création de l’artiste. D’abord, un disque était un «album», un tout qui se voulait cohérent, qui représentait en quelque sorte une démarche de création. Combien d’après-midis et de soirées ai-je passé, assis à contempler l’album acheté, à lire les paroles, les remerciements, les noms des musiciens, etc. ? Ce rapport direct et physique à l’objet a enrichi ma culture musicale. Par exemple, c’est en écoutant les Beastie Boys et en lisant les «credits» où on y mentionnait les «sample» utilisés que j’ai découvert le funk des années 1960 et 1970 (Jimmy Smith, Richard Groove Holmes, Jimmy McGriff, etc.)

Aujourd’hui, j’achète la plupart de ma musique en ligne. Or, je remarque qu’avec le support numérique, cet objet dématérialisé, je m’informe beaucoup moins à propos du disque que je viens d’acheter. Quelquefois, je ne me procure qu’une seule toune. Je ne lis presque plus les paroles, je m’informe moins à propos des contributeurs de l’album… J’ai un rapport plus distendu avec l’objet culturel… Il m’arrive même d’entendre un morceau dans ma liste de lecture que je me suis acheté il y a plusieurs mois. Mais puisque je n’avais pas de contact visuel et physique formels avec celui-ci, il était tombé dans l’oubli.

Vous voyez tous les liens que l’on peut faire entre cette distance créée par l’écran et l’interaction avec les gens et les choses?

C’est aussi pourquoi je demeure attaché aux livres. À l’objet qu’est le livre. J’aime griffonner dans mes lectures, souligner des passages marquants. J’aime aussi que mes lectures puissent circuler pour ensuite discuter avec quelqu’un en chair et en os de cette lecture…

Alors, je vous souhaite une saine pause des écrans. L’important est que cette pause soit choisie et qu’elle vous fasse redécouvrir le plaisir du vrai contact physique avec les gens (et les choses).