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À propos des valeurs québécoises

L’entourage du ministre Drainville a lancé son ballon-d’essai concernant son projet de présenter une Charte des valeurs québécoises enchâssant une laïcité stricte de l’État dans la fonction et les établissements publics (écoles, bibliothèques publiques, CPE).

Charles Taylor a vite sonné l’alarme, préconisant comme le rapport qu’il a co-écrit avec Gérard Bouchard, une «laïcité ouverte» de l’État qui préserverait la neutralité de l’État tout en permettant la liberté pour les personnes de porter un symbole religieux.

Je suis encore ambivalent sur l’idée de l’interdiction ferme des symboles religieux ostentatoires. Je crois personnellement que le timing était très mauvais pour lancer une telle initiative et que l’angle choisi par le gouvernement Marois pour mener ce combat par ailleurs fondamental de défendre l’identité québécoise est opportuniste et populiste.

Il me semble toutefois que pour que ce débat prenne un peu de hauteur, nous devons d’abord vite quitter ce discours «canadianiste» qui ne fait que blâmer le Québec pour son intolérance et son éternelle fermeture… Car si un certain Québec se braque devant les demandes de reconnaissance des symboles religieux dans l’espace public, c’est d’abord parce que le Canada s’est refusé à plusieurs reprises à reconnaître le Québec comme une société distincte. Et l’important livre de Frédéric Bastien nous rappelle que le Canada a en 1981-82 constitutionnalisé la folklorisation du Québec, c’est-à-dire son impossibilité à se constituer en véritable culture d’accueil capable d’intégrer ses immigrants à sa culture nationale. Le Québec n’est pas considéré autrement que comme une communauté culturelle parmi d’autres au Canada, comme celle des Ukrainiens ou des Canadiens d’origine chinoise… Or, ces communautés ne cherchent pas à intégrer de nouveaux Canadiens à leur culture propre. Même les nations autochtones du Canada n’ont pas le projet du Québec moderne de se constituer en culture d’accueil et d’intégration. Elles en sont comme nous avant 1960: dans un projet de survivance culturelle.

C’est la politique du multiculturalisme canadien de Trudeau, mise en place en 1971 et constitutionnalisée en 1982, qui fait du Québec une culture vouée naturellement à la banalisation dans le grand tout multiculturel canadian. Ne pas reconnaître ce premier affront fait à la culture québécoise, c’est esquiver pratiquement tous les facteurs qui ont mené à cette crise des accommodements qui semble ressurgir avec le projet de Charte des valeurs québécoises

Cela dit. Le choix des mots importe et ce n’est pas de tant de valeurs que de fondements de l’État dont nous avions besoin. Les nouveaux arrivants doivent s’identifier à une citoyenneté québécoise, fondée en droit et proclamée dans un document fondamental: une constitution du Québec.

Le Québec a été exclu du Canada en 1982. Il n’a pas rompu avec le pays en 1995. Nous demeurons dans un No man’s land politique. Pour une petite nation comme la nôtre, c’est une position périlleuse. Regardez comment les nations écossaises et catalanes cherchent à élargir leur espace – à fonder leur État national – et vous comprendrez que le Québec doit passer en mode actif pour affirmer haut et fort le genre de société qu’il veut pour le monde et pour lui-même.

Le projet du PQ part de cette intention. Je le trouve malavisé et mal formulé. J’aurais insisté sur ce qui est non-négociable dans nos principes – l’attachement à la démocratie et au respect des droits humains; le français comme langue publique; l’acceptation et l’appropriation de notre expérience historique collective, pour contribuer à la prolonger. Ce genre de projet est plus porteur, car il inclut le nouvel arrivant dans un projet: celui de construire une citoyenneté québécoise, plus égalitaire, autour d’une culture commune de prédominance française, au sein de laquelle une minorité nationale anglophone et des nations autochtones ont des droits collectifs reconnus.

Le gouvernement Marois a choisi le braquage, privilégiant l’interdiction des symboles religieux qui sera très souvent perçue comme trop répressive. Il faut dire que le projet politique canadien qui s’est cristallisé depuis 1982 pousse le nationalisme québécois dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi j’en appelle à une vision plus large, qui affronterait le multiculturalisme canadien niveleur de la différence québécoise d’une façon plus positive. Une constitution du Québec, une citoyenneté québécoise.

Relier la nécessité d’une culture commune nous rassemblant à des pratiques démocratiques communes déterminant notre avenir commun.

Disons que c’est mal parti pour qu’on ait cette véritable conversation nationale.