J’ai écrit plusieurs billets sur ce blogue pour combattre le fondamentalisme religieux, particulièrement l’islamisme comme idéologie. Mais il convient peut-être maintenant de réaligner notre combat sur ce qui nous guette d’une façon beaucoup plus directe et insidieuse, soit le fondamentalisme du marché.
Les islamistes que j’ai souvent critiqué partagent avec Stephen Harper autre chose qu’un moralisme à tendance autoritaire. Ces conservateurs durs pratiquent un goût extrême pour le désengagement de l’État en matière sociale et pour le marché comme principale règle devant déterminer la répartition des ressources en société. La constellation de ce qu’on appelle abusivement le néolibéralisme est vaste. Y gravitent autour d’elle des conservateurs religieux (Harper, W. Bush, les Frères musulmans égyptiens, les diverses mouvances islamistes de Turquie et du Maroc en passant par celle actuellement au pouvoir en Tunisie) ainsi que des partis dits libéraux et même des partis qui se disent de gauche mais qui se refusent à remettre en question les dogmes acceptés comme vérités d’évangiles que sont la croissance comme seul pôle du développement; le PIB et les cotes de crédit des firmes de Wall street comme oracles; et la consommation comme seule rédemption de nos péchés…
Cette imagerie religieuse pour décrire notre rapport au «libre marché», je ne suis pas le seul à la reprendre… Et elle est loin d’être caricaturale. Lorsque le gouvernement Marois décide de reporter le déficit zéro, les principaux partis d’opposition crient au scandale: la crédibilité financière de l’État du Québec risque d’être décotée par Wall street. Les banques et firmes de cotation de crédit sont les gardiennes de notre solvabilité, pourtant, ce sont ces mêmes banques et firmes qui donnaient de la valeur aux «papiers commerciaux adossés à des actifs» qui sont à l’origine de la méga-crise financière et économique de 2008. Et ce sont ces mêmes institutions financières qui ont été sauvées par les États lors de cette crise… Mais il semble qu’on ne puisse remettre en question la domination des marchés financiers, ni celle de la surconsommation comme projet, sans passer pour des anarchistes dangereux ou des utopistes qui portent des bas de laine dans leurs sandales…
Or, devant la crise écologique qui nous guette et devant l’accroissement des zones de libre-échange qui cherchent à élargir les sphères de nos sociétés qui étaient auparavant préservées de la logique marchande (les services publics, la santé, l’éducation, la culture), il nous faut pourtant diriger notre combat contre cette autre forme de fondamentalisme.
Ce qui inquiète, c’est que devant les pertes de repères moraux, le radicalisme religieux gagne du terrain en faisant la promotion d’un fondamentalisme de l’être. Et maintenant, devant le déclin d’une économie de marché qui réussit de moins en moins à nous faire vivre décemment, on continue de promouvoir un fondamentalisme de l’avoir: la seule façon de réussir et d’exister, le seul projet légitime serait de posséder, de consommer, de s’endetter et d’acheter des biens ou des services qui viennent satisfaire notre vide existentiel en donnant un sens à notre existence. Pour parler comme W. Bush aux lendemains du 11 septembre 2001, le vrai patriote aujourd’hui est celui qui se lève pour consommer! Ou pour parler comme le procureur de la ville de Montréal qui cherche à défendre le règlement P-6 qui restreint indûment le droit de manifester pacifiquement ainsi que les libertés d’expression et d’association des citoyens, les manifestations nuisent au droit de circuler vers les commerces du centre-ville…
Sans capacité d’endettement, l’individu moderne est réduit au néant. Or, on le sait, c’est par l’endettement que l’on discipline l’individu moderne, qu’on le réduit ou le confine à accepter l’ordre induit par le marché.
Pour gagner en liberté, pour accéder à une société plus humaine, moins déterminée par les impératifs de la concurrence, de la finalité marchande, de la logique managériale, il importe de construire des digues qui nous prémunissent contre ce fondamentalisme du marché qui nous martèle sans cesse les mêmes «vérités» qui servent essentiellement toujours le même 1%, pendant que le 99% vit sur la voie de service, en regardant l’autoroute d’un bonheur pré-fabriqué auquel chacun veut accéder en tassant l’autre dans le fossé, surtout s’il est cycliste (celui cherchant le bonheur simple) ou s’il se transporte en autobus (celui qui aspire à une société plus harmonieuse et plus égalitaire)…
Décidément, il est difficile de résister à l’évangile du capitalisme triomphant. Pourtant, celui-ci nous divise, détruit notre planète, réussit de moins en moins à nous faire vivre décemment et introduit sa logique destructrice partout où nous en étions préservés auparavant.
Quand la logique marchande aura envahit l’amour et l’amitié, que nous restera-t-il?
La belle bulle idyllique à bord de laquelle vous flottez au-dessus de la réalité, Monsieur Chénier, comporte à la fois des avantages et des inconvénients. On peut voir – et même uniquement – ce qu’on veut voir. Observé de haut, le monde ne permet pas qu’on puisse en distinguer les nuances.
Mais toute chose recèle habituellement son lot de bons côtés et son bagage de contrariétés. Jamais rien qui soit absolument positif ou négatif.
De la sorte, si l’économie locale se doit à présent de se mesurer à l’économie mondiale, cela entraîne une redistribution des possibilités de percées des joueurs impliqués dans le commerce. Certains doivent redéfinir leur offre de services tandis que d’autres voient maintenant un gros marché potentiel s’ouvrir pour ce qu’ils proposent. Même au fin fond du bled le plus perdu qui soit, peuplé de quelques habitants incultes et d’une douzaine d’ours, la nouvelle donne mondiale procure de belles occasions d’avancement.
La modification des règles du jeu n’est pas toujours obligatoirement menaçante. Sauf pour les attardés, les endormis ou les traîne-savates… bien entendu. Car les plus dynamiques y trouvent leur compte, et beaucoup d’entre nous également.
Enfin pour les nostalgiques des pantoufles au coin du feu, il reste encore le déni de la réalité au moyen de la lecture. Se plonger dans les fabulations de Don Quichotte de Miguel de Cervantès, par exemple.
C’est votre meilleure réponse à l’un de mes billets M. Perrier. Mais je ne suis pas contre le marché au sens strict… Plutôt contre le fondamentalisme du marché… Le coin du feu comme vous dites, je le veux aussi pour l’agriculteur local, pour les services publics, l’éducation, la santé, la culture, pour que ces secteurs soient préservés de la seule logique concurrentielle et instrumentale… C’est tout. C’est beaucoup semble-t-il pour ces fondamentalistes qui veulent que le marché régule tout.
Le déni de la réalité, ce sont les néo-libéraux qui le pratiquent.
Ainsi, un dogme qu’ils ont institué et qui est appliqué depuis 30 ans à travers tout le monde occidental est qu’il fallait baisser les impôts des très riches et des transnationales pour « créer la richesse ».
Leur théorie prétend que cette perte de revenu pour l’État serait compensé par l’immense création de richesse par cet enrichissement des très riches qui générait tellement de nouveaux emplois et de hausses de salaire dont tout le monde profiterait que l’État récupérerait sur l’ensemble des travailleurs l’argent perdu venant des grosses corporations et leurs dirigeants.
Malheureusement, ce dogme s’est avéré démenti par les faits , partout, à chaque année. L’argent économisé par les très riches n’a été que très marginalement investi dans l’économie réelle. Résultat: Endettement croissant des gouvernement privés de milliards chaque année.
Conduisant à la réalisation de d’autres dogmes néo-libéraux: coupures de services, hausses des taxes et des tarifs des services publics, privatisations, sous-traitance, etc., mesures censées rendre les services publics moins coûteux et plus efficaces, mais ayant l’effet inverse. Encore une fois, résultat prévisible (la sous-traitance coûte plus cher, ouvre la porte à la corruption, les privatisations nuisent aux services publics, etc.). Sans parler de l’effet nocif sur la société (par la croissance de la pauvreté et l’affaiblissement de la classe moyenne), donc sur l’économie réelle, donc sur les revenus de l’État.
Cette spirale « réduction d’impôt des très riches et grosses corporations -> pertes de revenus pour l’État -> endettement -> coupures de services + hausse de taxes et tarifs pour la classe moyenne et les moins nantis -> retour temporaire à un relatif équilibre budgétaire -> nouvelles réductions d’impôts pour les très riches » a été largement, et depuis longtemps, décrite données à l’appui par de nombreux économistes (dont le prix Nobel d’économie Paul Krugman). Mais est encore nié par les néo-libéraux qui prétendent qu’il faut encore aller plus loin dans cette politique.
Et c’est valable pour bien d’autres dogmes néo-libéraux comme la déréglementation des marchés financiers, des mesures de sécurité (voir Lac-Mégantic par exemple), le sauvetage des banques à nos frais, etc.
Dans la même veine: http://voir.ca/olivier-lamoureux/2013/12/06/achetez-plus-vivez-moins/
Mon propos rejoint celui du pape François… Personnalité de l’année du Time… Le pape critique en effet la théorie du trickle down et de la seule valorisation de la richesse…
Renouerait-il avec la théologie de la libération écrasée par Jean-Paul II ?