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Lectures récentes

Je vous propose ici de revenir sur certaines lectures récentes que je juge assez marquantes pour en faire part aux voisins du web. Certaines pour leur valeur en soi – bijoux littéraires révélant tant les tourments que les beautés de l’humanité – certaines plus pour le propos qu’elles véhiculent, soulevant des débats et des préoccupations que nous nous devons de véhiculer au sein de nos réseaux. Certaines autres cumulant ces deux qualités.

Voici donc en vrac un bref bilan de mes récentes lectures:

  • Démocratie des urnes, démocratie de la rue, de Jean-Marc Piotte. Voici un livre qui semble avoir été écrit trop rapidement puisque la cohésion entre les différents chapitres ainsi que les approfondissements souhaitables de certaines idées en auraient fait un véritable must… Mais malgré ces défauts, on découvre un livre qui propose une sorte de bilan de la pensée d’un des grands politologues du Québec. Les idées sont claires, nuancées. Du haut de son expérience d’ancien marxiste et de militant désenchanté de l’extrême-gauche, ce livre devrait être lu par tous ceux qui ont été emportés par le printemps 2012, car J-M Piotte ne renonce en rien à ses aspirations de justice sociale, mais il applique sa réflexion aux champs du possible et alimente avec sérieux le débat à faire et à refaire au sein de la gauche occidentale.
  • Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois. Voilà une tête bien faite et une personnalité qui est loin d’être un feu de paille. Cet essai est non seulement bien écrit, mais il a aussi le mérite de puiser dans une multitude de références, tant littéraires qu’académiques, pour proposer une réflexion riche sur cette grève étudiante historique, tout en ouvrant en plus vers des notes d’espoirs pour un monde plus humain. Tous ceux qui crachent sur le gars ou qui entretiennent une certaine antipathie à son égard devraient au minimum lire son livre, ils verraient qu’ils sont alors confrontés à quelqu’un de solide qui mérite au minimum notre respect. Je les mets au défi d’opposer leur point de vue avec autant de panache en sortant de l’invective et des clichés, ce que GND réussit à faire avec une fluidité impressionnante.
  • Les milliardaires ou comment les ultra-riches nuisent à l’économie, de Lynda McQuaig et Neil Brooks. Elle est chroniqueuse au Toronto star, il est prof de droit fiscal à la Osgoode Hall Law School. Ce livre est une charge à fond de train contre l’explosion des inégalités qui a commencé avec le thatcherisme au Royaume-Uni, l’ère Reagan aux USA et au Canada lors de la période Mulroney. La cupidité des ultra-riches y est non-seulement analysée sous l’angle de son absurdité, mais aussi de son immoralité et de sa nuisance sur les plans économiques et démocratiques. On pourrait dire que ce livre offre en quelque sorte une actualisation de la pensée marxiste, dans la mesure où il argumente que la richesse engendrée par les innovations de certains individus (Bill Gates par exemple) devraient profiter à l’ensemble de la société et que ces ultra-riches ne peuvent justifier leur méga-fortune sans reconnaître tout l’apport de leurs prédécesseurs et de la société qui leur a justement permis d’être ce qu’ils sont devenus. Le cadre d’analyse a donc quelque chose de marxiste, mais pas le langage ni les solutions, puisque plutôt que de proposer l’abolition de la propriété privée, les auteurs documentent sérieusement la nécessité de réinstaurer une plus grande progressivité des impôts et une lutte efficace (et semble-t-il assez simple) à l’évasion fiscale, en plus de plaider pour un impôt sur les successions. Chose certaine, nos élites politiques et médiatiques ne sortent pas blanchies de l’analyse pour leur complaisance ou leur complicité dans cette grande dérive inégalitaire qui caractérise notre économie depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui inclusivement…
  • Le sel de la terre de Samuel Archibald. Voilà une petite plaquette sous forme d’essai à la fois littéraire et sociopolitique sur la classe moyenne, ses valeurs, son état actuel en cette ère de crise économique et de mondialisation des inégalités. Dans la foulée des lectures ci-haut évoquées, celle-ci est toutefois drôle et légère. Le propos d’Archibald est à la fois personnel et social, impressionniste et documenté, sans prétention mais sans être creux. C’est le genre de livre que je vais faire circuler dans mon milieu parce qu’il suscite une réflexion non moralisatrice sur notre mode de vie, nos aspirations et nos valeurs, en plus de critiquer le système capitaliste actuel en offrant une perspective historique bourrée de références générationnelles sympathiques et fort évocatrices. C’est comme si on lisait la version light et québécisée de L’Amérique que nous voulons de Paul Krugman! À lire, surtout sa lettre à ses amis auditeurs de Radio X.
  • Le dernier numéro de la revue Argument portant sur l’éducation des sentiments. Dans ce numéro, le politologue Marc Chevrier nous rappelle à la mémoire André Patry, cet homme de culture qui a ouvert la voie à la diplomatie québécoise. Un hommage mérité. Mais le dossier spécial porte sur l’éducation des sentiments, essentiellement par les lettres pourrait-on dire. Plusieurs contributions méritent attention et nous invitent intelligemment à plonger dans ces grands classiques de la philosophie et de la littérature. On y parle de l’amitié (excellent texte de Mathieu Bock-Côté, eh oui, encore lui!) vue à travers Ravelstein de Saul Bellow; de l’amour de la vie, enseignée par Le Survenant de Germaine Guèvremont (Alexandre Provencher-Gravel) et de tous ces sentiments qui traversent notre conscience et notre âme, mais surtout comment on peut mieux les comprendre à travers les grands récits de notre civilisation. Soulignons enfin une contribution importante de Louis-Philippe Carrier portant sur l’enseignement de la littérature. Celui-ci insiste pour que l’enseignement se sorte d’une conception strictement utilitaire (comment analyser un texte; comment se préparer à une dissertation critique, etc.) et serve à cultiver la sensibilité de l’étudiant. Après tout, la violence ou la fermeture d’esprit sont révélés par un manque de vocabulaire comme de sensibilité. Tous les profs devraient lire ce texte, ils y redécouvriraient le vrai rôle de l’enseignant.
  • Du côté de la littérature, le grand succès de l’été fut sans doute La fiancée américaine, de Éric Dupont. Ce roman mérite en effet sa bonne réputation, surtout je dirais pour toute sa première partie, apparentée à une forme de saga historique et familiale qui relève presque de la mythologie, ce qui, pour une petite nation comme la nôtre qui se cherche (et se perd parfois), peut mener à ce que l’on se tienne mieux ensemble… Car si on veut renforcer notre solidarité collective et sortir du dogmatisme libéral, on doit aussi développer notre littérature nationale. Ce roman d’Éric Dupont y contribue et vous pourrez, d’un regard amusé, faire des liens avec la grande et petite histoire (de la IIe Guerre mondiale à la naissance de Cora déjeuners…).
  • Enfin, dans un registre moins actuel, mais toujours fondamental, Clair de femme, de Romain Gary. Je me permet d’aborder un «vieux livre» dans la mesure où Romain Gary est pour moi éternellement actuel. Ce roman triste et cynique porte sur le couple, la difficulté de vieillir ensemble ou encore de vivre seul lorsque le conjoint nous quitte (d’une façon ou d’une autre…). Le ton unique de ce livre nous laisse entrevoir aussi la noirceur de l’âme de Gary qui, quelques années plus tard, s’enlevait la vie. Triste et beau à la fois.

Et vous? Quelles sont vos récentes lectures marquantes?