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Survivaliste de gauche

C’est en discutant avec mon frère de certaines dérives qui fragilisent le lien social au Québec comme ailleurs que cette expression m’a été lancée au visage: «tu es un survivaliste de gauche» m’a-t-il dit! J’accepte l’épithète.

Nous parlions de cette tendance à évaluer tout débat par le seul prisme des droits individuels et de celle encore plus préoccupante qui consiste à délier toute responsabilité à l’individu face à ses actes et face aux autres… La position strictement légaliste du Parti libéral de Philippe Couillard dans le dossier de la Charte de la laïcité et l’affaire Turcotte (verdict de non-responsabilité criminelle) furent les points de départ de ce constat. Comme si l’évolution récente du Droit avait évacué l’exigence première de celui-ci: soit de permettre la garantie de principes de justice élémentaires et universels. Ce sont des principes de justice qui doivent guider le Droit, alors que l’on remarque de plus en plus que des règles interprétées strictement et consignées dans des chartes nous éloignent de ces mêmes principes. Quand nos règles de droit compromettent ou fragilisent des principes de justice fondamentaux (l’égalité homme-femme; l’accès à la justice; l’égalité devant la loi, etc.), elles doivent être révisées. C’est pourquoi j’accueille favorablement la recommandation récente des médecins-psychiâtres pour que les spécialistes appelés en Cour de justice soient reconnus compétents pas la Cour et soient les mêmes pour la poursuite comme pour la défense…

Donc, je disais à mon frère comment les seuls droits individuels ou l’irresponsabilité envers autrui nous menaient vers la barbarie ou en tout cas conduisaient au démantèlement de la social-démocratie. Notre capacité à construire ici une société généreuse et humaine se disloque lorsqu’il est impossible de se sortir de soi pour prendre conscience que des programmes sociaux et des services publics de qualité passent par un sentiment d’appartenance et une volonté de solidarité assurés par un impôt progressif ou en tout cas une méthode efficace pour répartir le plus possible la richesse. J’en suis venu à évoquer les images horribles de La route de Cormac McCarthy où l’on voit la violence totale emporter toute possibilité de faire confiance à autrui. Ce qui reste alors, c’est la survie.

Je suis donc de gauche car je cherche à préserver une société solidaire qui favorise une réelle égalité des chances. Je crois que si nous réussissons à préserver l’accessibilité à la santé et à l’éducation, si nous renforçons le filet de sécurité sociale et la possibilité pour les gens de vivre décemment jusqu’à la mort, nous éviterons alors le basculement dans la barbarie et la violence. Je reviendrai plus tard sur ce qu’il faut envisager plus concrètement pour réaliser les conditions de cette société plus humaine à laquelle j’aspire, mais j’ai tendance à croire que l’échelle à laquelle se joue ce projet pour moi, c’est l’échelle du Québec. Bien sûr, la solidarité internationale est nécessaire, mais le projet que je cherche à esquisser ici trouve ses contours sur le territoire culturel, politique et économique québécois. C’est là selon moi qu’il y a une cohérence, une cohésion, une possibilité plus certaine de résister à l’effondrement de la société et à ce glissement vers la violence totale et le survivalisme que je crains tant…

Il faut aussi rajouter à cela la nécessité d’opérer le virage vert en matière énergétique. Un collègue à moi prof d’économie m’a surnommé Peak Oil Chénier depuis que j’ai publié un billet sur les Initiatives de transition. Il critiquait la notion de «pic pétrolier» en affirmant que la ressource demeurait disponible et que le prix relativement accessible témoignait de cette relative disponibilité de la ressource. Je cherche pour ma part à diffuser une compréhension plus globale de l’offre pétrolière, qui tiendrait compte de la capacité limitée de notre planète à absorber davantage un développement essentiellement axé sur le carbone… Car au-delà des politiques sociales comme garantes d’une société plus humaine, il y a aussi des conditions de base à la vie qu’il nous faut préserver. Sans quoi là aussi, la barbarie nous guette, puisque la raréfaction de l’eau, de la nourriture, de l’air, etc. risque de nous conduire à la guerre de tous contre tous…

Comme le chantait Michel Rivard dans Le beau grand jamais vu: «Y’a des jours où j’ai peur y’a des jours où j’ai chaud, qu’il n’y ait plus d’air dans l’air, qu’il n’y ait plus d’eau dans l’eau, qu’est-ce qu’on attend, qu’est-ce qu’il nous faut? Qu’est-ce qu’il nous faut?»