Mon billet précédent sur l’effet PKP m’a fait réfléchir au fait que plusieurs personnes susceptibles de voter OUI à un éventuel référendum sur la souveraineté n’ont pas le Québec comme allégeance naturelle… Péladeau a dit que son engagement à faire du Québec un pays correspondait à «ses valeurs les plus profondes». Mais pour une très grande proportion des étudiants que je côtoie depuis plusieurs années, l’allégeance au Québec comme culture et comme pays (imaginaire ou réel) ne leur est pas naturelle, ni spontanée.
Il peut s’agir d’immigrants ou d’enfants d’immigrants qui ont grandi dans le Canada de 1982, celui qui ne reconnaît pas le Québec comme une culture d’accueil et d’intégration, mais comme simple composante du multiculturalisme canadien. On a beau se conforter dans le refus officiel du Québec à cette constitution illégitime chez nous, elle continue de s’appliquer depuis. Le Canada de Pierre Elliott Trudeau, avec sa culture chartiste et son déni de la différence québécoise font leur œuvre et façonnent les esprits. Jusqu’à fiston qui assoit sa carrière sur cet héritage…
La posture de l’immigrant est fondamentale pour comprendre un pays, une société. Et quand je parle d’«immigrants», prenez-le au sens large. Il peut s’agir aussi d’une acadienne qui vit maintenant à Montréal, qui se sent tout-à-fait montréalaise, mais pas du tout québécoise; il peut s’agir encore du jeune montréalais qui ne connaît pas le Québec hors de sa ville et qui se trouve plus d’affinités avec quelqu’un de Boston ou de Berlin qu’avec un autre de Gaspé… À ce sujet, mes étudiants qui participent aux prix littéraires des collégiens ou à d’autres manifestations culturelles intercollégiales constatent souvent un clash culturel entre Montréal et les régions. Pour plusieurs d’entre eux, leur connexion au monde ne semble pas avoir besoin de la médiation par le Québec ou en tout cas, si la culture québécoise y trouve une place et un sens, c’est par la forme d’un repoussoir, ou encore d’une rupture entre leur identité montréalaise et l’identité québécoise.
On constate d’ailleurs cette rupture dans le dossier de la Charte de la laïcité. On peut aussi la remarquer dans l’accès à la culture en général…
La posture de l’immigrant est donc importante pour réfléchir à l’adhésion ou l’allégeance à un pays. Or, si on veut que le Québec soit souverain, il faut ratisser large dans toutes les couches de la société susceptibles de voter OUI. Il faut convaincre l’immigrant réel ou imaginaire, celui qui sent sa culture québécoise s’éloigner de ses références et affinités, ces Québécois de souche ou non qui pour toutes sortes de raisons qui ne sont pas miennes, doivent à nouveau ou pour la première fois être convaincus que la société la plus intéressante et la plus porteuse à faire est ici, sur ce bout de terre qui a le St-Laurent comme artère principale.
L’immigrant réel ou imaginaire. Lorsque je suis parti étudier à l’Université Laval, je me suis parfois senti comme un immigrant montréalais à Québec… Mais mon exemple n’est pas bon car j’ai grandi dans une famille fortement attachée au Québec et à sa culture. J’ai sillonné le territoire du Québec à toutes les périodes de ma vie: dans mon enfance (mon père est du Témiscamingue), dans mon adolescence et à l’âge adulte comme guide de randonnée et de canot. Je peux donc dire que je suis fortement attaché au Québec: à ses gens, à ses lacs et rivières, à ses paysages, à sa culture. Le pays imaginaire et le pays réel sont chez moi intrinsèquement liés. Ce n’est pas le cas pour un très grand nombre de Québécois nés ici ou non qui n’ont vu que leur ville et qui n’ont pas encore connecté avec le Québec comme pays et comme culture.
C’est aussi à eux que le camp du OUI devra parler. Et c’est là l’erreur de tous les Mathieu Bock-Côté (MBC) du camp du OUI: ils prennent pour acquis l’identité nationale. Celle-ci serait donnée. C’est quelque chose qui semble permanent chez eux et qui n’est jamais remis en question. Selon ce courant dont MBC est la figure la plus connue aujourd’hui, l’identité nationale québécoise existe, elle est là, la souveraineté ne ferait que l’officialiser en État national. J’ai tendance à croire que la majorité des péquistes pense ainsi, PKP inclus.
Je pense que ces nationalistes négligent le fait que l’identité est une chose complexe, en reformulation constante. Ils négligent également le fait que cette identité forte puisse s’être érodée au fil du temps, particulièrement auprès des générations plus jeunes qui ont le monde comme horizon principal. Personnellement, je juge cette posture erronée, mais on ne devrait pas nier cet état de fait et plutôt travailler à «ré-enraciner» ces nouvelles générations vers un imaginaire québécois dans lequel ils se retrouveraient.
Et c’est pour cela que j’interpellais ceux qui s’enthousiasment de l’arrivée de la «reine Péladeau» sur l’échiquier politique Québec-Canada. Tous les partisans de l’indépendance devraient réapprendre à s’intéresser davantage «aux pions» qui bâtiront le pays du Québec sur des assises démocratiques solides plutôt que de miser sur un empire médiatique qui lamine tout sur son passage. Il faudrait aussi miser sur un pays au sein duquel les «pions» avancent grâce à des politiques publiques qui ont comme objectif une plus grande justice sociale. Je suis de ceux qui croient qu’il faut se préoccuper des conditions dans lesquelles un pays se fait… Plus celles-ci fragilisent la démocratie, plus le nouveau pays sera une démocratie fragile…
Mais dans ce billet, je voulais surtout rappeler que l’adhésion spontanée à une culture ou un pays n’existe plus. Il faut entretenir la flamme et créer un ilot de chaleur pour qu’elle puisse prendre de l’ampleur.
Je crois d’ailleurs qu’une démarche référendaire ne devrait être enclenchée qu’après une mobilisation citoyenne d’envergure sans précédent, incluant des manifs et une récolte de signatures importantes dans toutes les régions du Québec… Les trois principaux partis souverainistes ont d’ailleurs dans leur programme une proposition fort compatible: celle de la constituante, c’est-à-dire une démarche citoyenne devant mener à la rédaction et à l’adoption d’une constitution pour le Québec. Le PQ ne doit absolument pas être le seul porteur de ballon dans ce dossier.
J’inviterais d’ailleurs Pauline Marois à lancer une démarche inclusive de préparation à la mécanique référendaire tout en promettant solennellement de ne pas tenir de référendum dans le présent mandat! Si elle faisait cette double-promesse lors de son allocution d’ouverture du débat des chefs cette semaine – le lancement de la constituante comme démarche transpartisane et la garantie qu’il n’y aura pas de référendum sur la souveraineté dans le prochain mandat – j’ai l’impression qu’elle déstabiliserait complètement Philippe Couillard! Ce dernier n’aurait sans doute plus rien à dire du débat! Où seraient ses «vraies affaires»?
Et cela laisserait le temps aux souverainistes de revenir à leur base… pour ensuite l’élargir à ceux et celles qui n’ont pas encore adhéré au projet du pays du Québec. Pour que le pays imaginaire et le pays réel puissent un jour se rejoindre.
Vous avez le grand mérite d’être d’une indubitable et très louable sincérité dès lors que vous affichez vos convictions, Monsieur Chénier. Votre attachement au territoire québécois est manifeste. Et j’irais jusqu’à écrire que vous vivez cette appartenance territoriale avec une intensité qui vous est toute naturelle.
Ce qui vous incite – et du coup vous pousse – à viser la mise en œuvre, sans la moindre hésitation ou doute possible, de ce que vous percevez comme étant la réalisation ultime à laquelle doit aspirer le Québec, soit son accession éventuelle au statut de pays. Pour son plus grand bien. Et pareil sentiment vous honore, Monsieur Chénier.
Pour ma part, je reprendrai quelques mots de Gilles Vigneault, les plus connus du poète, alors qu’il chante «Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver» (note : il n’a pas tort depuis trop de mois déjà…) que je modifierai par «Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est la Terre». Je suis d’ici et je suis d’ailleurs.
Et je crois que beaucoup de jeunes sont de moins en moins nationalistes et se sentent davantage internationalistes à notre époque de communications instantanées d’un bout à l’autre du globe. Ces jeunes ont certes un pied-à-terre, que celui-ci se trouve à Montréal ou à Stockholm ou à Naples, mais ce n’est souvent plus qu’un endroit où poser leur tête sur un oreiller la nuit venue. Leur horizon n’a aucune limite. Le monde est grand ouvert à leurs yeux et dans leur esprit.
Et les différences culturelles qui foisonnent sur la planète les fascinent et les attirent de plus en plus. Les jeunes ont soif de connaître et ont grand plaisir à échanger avec tous ces autres qu’ils connaissent trop imparfaitement à leur goût. Certains voyagent, car les voyages forment la jeunesse, comme on nous l’a toujours dit. Et sinon, quand partir n’est pas une option, des camaraderies se tissent entre ressortissants d’ici et d’ailleurs. On fréquente alors des restos servant des plats non-familiers, on se raconte des anecdotes et des tranches de vie propres à notre culture. On s’ouvre à nos différences. Et on s’enrichit de la sorte mutuellement.
Et puis, la grande tendance mondiale va également dans le sens des rapprochements. Depuis les unions monétaires en Europe aux accords de libre-échange qui vont en se multipliant. Aboutirons-nous un jour à une uniformisation de tout le monde foulant le sol de la planète? Très improbable. Chaque région, de par son climat ou sa géographie, pour ne mentionner que ces deux aspects, façonne diversement sa population.
Mais tout ceci est devenu fort long… Et je crains de vous ennuyer. Alors je vais achever avec une incontestable évidence: le Québec, peu importe sa stature politique, conservera toujours sa même localisation géographique. Et ses voisins continueront à influencer les mentalités, frontières ouvertes ou fermées.
Là-dessus, bonne journée, Monsieur Chénier.
Principal bémol à votre propos: la souveraineté du Québec n’est pas «une réalisation ultime pour le Québec» selon moi. C’est juste un choix que j’ai fait et duquel je ne déroge pas encore. Je pourrais très bien m’accomoder d’un Canada multinational, en partie défini selon les paramètres de André Laurendeau… Mais ce Canada est imaginaire. Le Canada réel est hostile au Québec auquel j’aspire!
À votre bémol, je vous soumets un dièse*…
Le Canada que vous dites «réel» est de fait peuplé de citoyens bien davantage préoccupés par leurs petites affaires personnelles que par quoi que ce soit d’autre. Que ces citoyens soient Albertains ou Terre-Neuviens, ou Québécois.
Et comme il s’en trouve dans tous les pays, dans toutes les régions et cela depuis des millénaires, il y a eu et il y a, et il y aura toujours des imbéciles. Des gens bornés. Des crétins prompts à piétiner le drapeau des autres. Ce sont des exceptions. Mais ces imbéciles hargneux et ignorants ne constituent fort heureusement qu’une frange – pour ne pas dire une fange… – minoritaire avec laquelle tous les peuples doivent malgré eux composer tant bien que mal.
Ce qui est véritablement détestable, c’est surtout l’opportunisme malsain de certains politiciens qui misent sur les préjugés et sur l’ignorance crasse des imbéciles pour leur propre profit. Ces politiciens ne représentent pas le peuple qu’ils prétendent représenter. Hélas, c’est là une distinction fondamentale habituellement occultée car trop terre-à-terre.
Ça prend du sensationnalisme bien tapageur pour attirer l’attention. Mais partout, les citoyens du monde sont le plus souvent bons et généreux. Ce serait une grave injustice de les mettre dans le même sac que les imbéciles qu’attisent sciemment certains politiciens sans scrupules. Et le véritable Canada «réel» est peuplé d’individus bons et généreux.
Mais je vais laisser la place à d’autres qui pourraient avoir à écrire des choses bien plus intéressantes que moi. J’ai déjà largement abusé de l’hospitalité de votre espace. Merci Monsieur Chénier.
(* J’ai écrit dièse car j’ai voulu aller un peu plus loin, un peu plus haut dans les considérations et parce que je suis… musicien.)
En ajout à l’argumentation de mon texte: Entre 1980 et 1995 il y a eu tout une démarche… un processus qui a rendu le 2e référendum légitime! (rapatriement odieux équivalent à un «coup»; Meech; Charlottetown, une élection – 1994 – dans laquelle une promesse claire de tenir un référendum a été tenue…).
Si Marois ne clarifie pas sa position sur le référendum, elle entâche la légitimité d’en tenir un nouveau!