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La pensée politique en grève

2012-04-20-02-26-34-Andre-A77F7409 - Version 2Trois événements récents sans liens apparents m’interpellent et m’amènent à reprendre ce slogan-affiche des étudiants en grève du Cégep André-Laurendeau lors du printemps 2012.

1. Les étudiants du Collège de Maisonneuve ont rejeté en Assemblée générale (850 personnes) mardi le 25 mars le recours à la grève pour manifester contre les budgets d’austérité lors d’une manif prévue le 3 avril prochain. On m’a dit que c’était une assemblée tendue dans laquelle plusieurs opposants à la grève ont été grossiers et bruyants.

Ceux qui n’ont pas d’arguments cherchent trop souvent à discréditer le lieu de délibération démocratique ou à dénigrer les partisans de la grève en les attaquant… Il faut dire que les injonctions du printemps 2012 et la répression policière qui s’en est suivie, toutes orchestrées et favorisées par le gouvernement Charest, ont façonné les mentalités des opposants aux mouvement étudiant…

Maintenant quel rapport avec André Laurendeau ? Et pourquoi la pensée politique serait-elle en grève?

Ce slogan et l’affiche qui l’a porté figurent pour moi parmi les plus belles images de la grève de 2012. On a vu ensuite une multitude de pancartes qui criaient «Sartre pour la Grève», «Wittgenstein en grève», «Hannah Arendt pour la gratuité», etc. Il y avait là quelque chose qui nous disait que le débat sur la hausse des droits de scolarité était aussi un débat philosophique, qui interpellait chacun de nous dans sa vision du monde et de la société. Les étudiants en grève invoquaient des penseurs importants et nous invitaient à sortir des formules et slogans du premier ministre Charest pour réfléchir, penser à la société de demain… Que vous soyez en accord ou non avec eux, il faut reconnaître que les étudiants en grève proposaient un débat d’idées.

Or, l’incapacité de débattre de plusieurs sinon que par la «violence et l’intimidation» ou l’insulte me font dire que la pensée politique est en grève au Québec. Ou encore, la pauvreté du débat public lors de cette campagne électorale me fait dire que c’est peut-être nos élus qui ont mis la pensée politique en lock-out!

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2. Les libéraux de Philippe Couillard s’orientent pour reprendre le pouvoir selon des sondages qui construisent plus qu’ils ne mesurent véritablement ce qu’on appelle l’opinion publique…

J’écoute Philippe Couillard et je pleure en pensant à André Laurendeau, peut-être le dernier grand fédéraliste canadien, au sens où le fédéralisme est fondé sur un pacte entre les parties, chacune bénéficiant d’une large autonomie dans les sphères de compétences qui lui sont propres. Laurendeau fut un intellectuel raffiné, original. Il fut aussi poète, politicien, intellectuel, éditorialiste, co-président de la Commission Laurendeau-Dunton lancée par Lester B. Pearson pour répondre à la crise identitaire que vivait (eh oui) un Canada qui arrivait à son centième anniversaire…

J’écoute Phlippe Couillard et François Legault et je me dis que notre classe politique fédéraliste a capitulé. Plus de principes. Aucune vision qui s’inscrit en filiation avec ce grand intellectuel praticien qu’était André Laurendeau. Claude Ryan prend du gallon lorsqu’on observe ce qu’est devenu le PLQ depuis Jean Charest. Pour le dire simplement, Laurendeau privilégiait que le bilinguisme au Canada repose sur deux unilinguismes forts avec des droits garantis (et un contrôle sur leurs propres institutions) pour les minorités nationales de chaque côté… C’est à lui que l’on doit la notion de «société distincte» qui est réapparue dans le discours public lors des Accords du Lac Meech (1987-1990) et de l’Entente de Charlottetown (1992).

Pierre Elliott Trudeau a été le premier ministre du Canada qui a dû décider du sort du rapport de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton). On sait que Trudeau a retenu le bilinguisme officiel en repoussant le biculturalisme (deux cultures d’accueil et d’intégration au Canada – l’une francophone au Québec et l’autre anglophone au Canada hors-Québec) au profit d’une politique de multiculturalisme qui fait de la culture québécoise une culture vouée à la foklorisation dans la grande mosaïque canadienne.

J’écoute notre classe politique et je suis attristé par l’absence quasi-totale de débats de fond. Philippe Couillard ne fait qu’évoquer le spectre d’un référendum sur la souveraineté. (Il est triste de constater que cet outil démocratique par excellence qu’est le référendum soit si diabolisé au Québec aujourd’hui). De son côté, Pauline Marois ne fait que rappeler les mauvaises odeurs des libéraux. François Legault et Françoise David ont au moins le mérite de chercher à proposer leur vision du Québec de façon plus soutenue… Mais disons que les médias ne réussissent pas à faire lever le débat ou à lui donner de l’ampleur.

Les firmes de communication et l’instantanéité des médias font en sorte que la pensée politique fout le camp. Ne restent que des clips de 7 secondes pour répondre à la dernière attaque de l’adversaire qui lui-même s’est réfugié derrière cette tactique pour éviter de montrer au grand jour le vide de sa propre pensée.

Ce qu’on voit disparaître derrière ce bruit, c’est l’idée de la grandeur en politique. L’idée de l’engagement politique au service des idées et d’une vision du monde. André Laurendeau a été un homme de cette trempe. La pensée politique est aujourd’hui en grève au Québec.

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3. Le Parti québécois de son côté est sur le point de se faire tasser essentiellement parce qu’il perd ce qu’il pensait aller chercher à la CAQ au profit des libéraux, en plus de voir le vote de QS se consolider.

Je suis sidéré de l’incompétence de l’équipe de stratèges péquistes… On a même entendu Pauline Marois dire que cette élection n’était pas l’occasion de débattre de l’avenir du Québec, mais de choisir un gouvernement! Ce lapsus ne s’invente pas… mais il reflète bien comment la pensée politique est en grève ou pire, a été mise en lock-out par nos élus.

Après sa «victoire à l’arrachée» aux élections de 2012, le PQ a zigzagué entre la gauche et la droite pour choisir la droite avec l’austérité péquiste, les coupes dans l’aide sociale, le projet mal nommé de charte des valeurs, l’augmentation de divers tarifs, la candidature de PKP.  Les conseillers de Marois pensaient grappiner davantage chez les électeurs de la CAQ pour conquérir leur majorité parlementaire… Surtout grâce au projet de Charte de la laïcité.

Mais il est fort plausible que plusieurs électeurs caquistes migrent aujourd’hui vers le parti libéral, surtout parce qu’ils ne veulent pas de référendum dans l’immédiat. Le PQ a oublié que ce qui lui aurait permis de récupérer certains électeurs de la CAQ en plus d’éviter un déplacement de ses électeurs vers QS, ça aurait été de lancer la démarche d’une constituante citoyenne devant mener à la rédaction d’une constitution d’un Québec souverain tout en promettant CLAIREMENT une pause référendaire pour le prochain mandat.  Cela aurait suffit à mobiliser les troupes souverainistes et à se rapprocher de l’objectif d’une «grande coalition souverainiste»… sans perdre le vote caquiste tant convoité. Mais l’objectif de la «grande coalition souverainiste» que les péquistes disent vouloir mener est un mensonge puisqu’ils se conçoivent comme la seule autorité compétente en la matière, comme s’ils étaient propriétaires de l’idée et du pays et seuls détenteurs de l’échéancier.

On finira sans doute par constater qu’en préférant rester floue sur sa démarche référendaire, Mme Marois a contribué à renforcer l’électorat libéral et à consolider le vote de QS. Bravo.

Tout ça au mépris de l’honnêteté intellectuelle, de la valeur du débat démocratique et de la grandeur nécessaire pour faire du Québec un pays.

La pensée politique est en grève. Vivement un autre printemps pour la faire renaître…