Deux objets culturels récents continuent de m’habiter avec bonheur depuis quelques temps. Il s’agit de la pièce Faire l’amour, d’Anne-Marie Olivier, aussi disponible en librairie… Puis de La vie habitable, de Véronique Côté. Cette dernière a d’ailleurs mis en scène le texte d’Anne-Marie Olivier, vu avec beaucoup de plaisir à l’Espace libre dernièrement. Ce qu’il y a de commun dans ces deux propositions, c’est la volonté de faire ressortir la poésie du quotidien, de révéler la beauté des choses, de s’y attarder lorsque le beau s’expose à nous, qu’il s’agisse de moments anodins ou de fulgurances du désir. Faire l’amour. Faire du bien. Chercher et mettre en valeur la beauté. Semer. S’aimer. Essaimer.
Je pense à ça et je pense à ma marraine, grand-marraine pour mes enfants, ma tante Françoise, Cacanne pour les intimes, qui est décédée le mois dernier. Elle est avec son amour Gilles Pelletier et son camarade de théâtre Georges Groulx, co-fondatrice de la NCT (nouvelle compagnie théâtrale, ayant sa résidence permanente au théâtre Denise-Pelletier).
Comédienne, Françoise l’était dans toutes les sphères de sa vie. Le couple de Françoise et Gilles était une véritable pièce de théâtre permanente. Elle bourdonnant comme une abeille (essaimant) autour de son homme et lui, droit et sérieux, la rappelant à l’ordre avec un éclair de bonheur qui jaillissait encore et toujours lorsqu’il la regardait, jusqu’à la fin. Le côté quelquefois burlesque de Françoise côtoyait avec une passion mutuelle le côté classique du théâtre souvent incarné par Gilles. Personnalité trépidante, un peu envahissante, mais toujours au service de l’autre et de son émancipation personnelle, Françoise se faisait peut-être affubler de «fatigante» par ceux et celles qui tombaient sous la grâce bienveillante de ses nombreux conseils et suggestions… Mais Françoise était une battante, une femme si vivante et pétante de vie que l’on peine à s’imaginer qu’elle puisse être partie si vite. Mais dans le fond, sa mort fut théâtrale, à son image.
Semer de l’amour, Françoise l’a fait. Son amour du théâtre d’abord, une passion qu’elle voulait partager avec les plus jeunes. Son œuvre demeure et elle est aujourd’hui menée par un homme de grand talent : Claude Poissant. T’inquiètes pas Françoise, la NCT est en de très bonnes mains.
Semer. S’aimer. Essaimer. C’est à cela que je pense quand je pense aux femmes Graton: ma mère Suzanne, décédée en 2003, était elle aussi une femme d’exception, un genre de réseau social élargi par cercles concentriques de générosité et d’écoute. Les deux sœurs Graton toujours en vie, Louise et Gisèle, sont taillées du même bois: le sens de la famille, la sagesse d’une vie menée selon leurs propres priorités et en concordance totale avec leurs valeurs.
On se disait mon cousin et moi l’autre jour aux funérailles de Cacanne (c’était le surnom que mon parrain Jean, lui aussi semeur d’amour, avait donné à sa sœur Françoise) que nous étions fort privilégiés de faire partie du clan Graton, un clan qui a généré des personnalités fortes, dédiées aux autres, semeurs et semeuses d’amour.
Il nous appartient maintenant de poursuivre «ce projet», cette manière d’être aux fondements du clan Graton, généré par Doris et Hélène, mes grands-parents du côté de ma mère.
Au quotidien, cela veut dire prendre soin de ses proches. À intervalles réguliers, prendre des nouvelles de la «famille» ou de son réseau élargi. Semer de l’amour, c’est aussi se conscientiser politiquement, s’informer et s’impliquer en débattant, en manifestant, en mobilisant autour de soi pour que la collectivité dans laquelle on se reconnaît et que l’on contribue à renforcer puisse elle aussi, comme chacune des personnes qui en fait partie, s’épanouir dans son plein potentiel.
Je remercie Françoise, je pense à ma mère, toujours vivante dans ma mémoire et dans celle de mes enfants qui ne l’ont pas connue mais qui m’entendent parler d’elle. Mes enfants ont par contre connu Grand-marraine, sa folie, son énergie extraordinaire. Ils l’auront dans la mémoire longtemps. Cette énergie, cette confiance dans la vie, je la ressens aussi en eux. C’est ce legs que je porte. J’en suis riche. Je compte vivre en puisant mon inspiration dans des femmes comme ma mère et comme Françoise.
Et je sème, j’essaime, pour que mes filles et mon garçon puissent grandir en creusant ce sillon fertile travaillé par le clan Graton, du côté de ma mère.
Dans la même veine, mais plus punché : http://journalmetro.com/opinions/miriam-fahmy/689622/les-rebelles/
Joyeux Noël et bonne année aux membres de cette tribu que j’aimerais connaitre…