Le Devoir a publié une très bonne série d’articles portant sur le thème de la répression policière récemment. Le portrait n’était pas complet et le 3e article de la série m’est apparu faible, mais le sujet en soi mériterait d’être creusé puisqu’il m’apparaît que notre capacité en tant que citoyens à critiquer, contester, manifester pacifiquement contre des projets gouvernementaux ou contre des projets promus par l’entreprise privée mais appuyés par nos élites est de plus en plus restreinte.
L’espace de nos libertés civiles recule sans cesse. Et avec lui, l’incivilité croît!
Non seulement il devient criminel de manifester, mais en plus, on s’expose à une violence policière fort inquiétante: combien de fois ai-je observé ou même reçu de la part du corps de police de Montréal des insultes, des «back off!» criés comme si l’agent du SPVM était un soldat américain en Irak, des commentaires méprisants et des coups de matraques, du poivre, du gaz, des arrestations collectives et tutti-quanti, dans un contexte où la manifestation était calme, pacifique et ne comportait aucun danger pour la police ou la société?
Tout ceci dans un contexte où une parole publique – les radios poubelles et certains imbéciles sur les médias sociaux, mais aussi je crois, une culture policière qui devrait être considérée comme un cancer – demande plus de répression et veut que l’on tire dans’face des manifestants. Tout ceci dans un contexte où sur le plan sémantique les «écolos» et les «étudiants» sont synonymes de «terroristes» (C-51 et les projets de loi anti-terroristes du gouvernement Harper travaillent à construire légalement ce lien…).
La démocratie a besoin autant de libertés civiles que de «civilités» – le respect, l’écoute, la possibilité de critiquer et d’exiger aux responsables de rendre des comptes – la démocratie donc recule, et ceux qui le dénoncent, qui s’en préoccupent, qui le décrient, deviennent des dissidents. Ils expriment alors haut et fort une parole qui menace le nouvel ordre qui se construit subrepticement, celui dans lequel on s’engouffre avec notre consentement et qui prend la forme du despotisme doux imaginé par Tocqueville: au-dessus de chacun d’entre nous s’établit «un pouvoir immense et tutélaire» qui régit nos vies. Il surveille tout – il détient un algorithme de notre vie – il hébète, il fatigue, il abrutit, il désinforme, et après avoir complètement brisé la volonté de chacun de penser par lui-même, après avoir introduit les virus de l’auto-censure et de la délation, il laisse le soin périodiquement aux esclaves de choisir leurs maîtres…
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Petite anecdote personnelle: l’autre jour au Collège où je travaille, deux agents de police se pointent et désirent me parler seuls à seul. Ils m’annoncent, plaques à l’appui, que je suis sous enquête pour menace contre des personnalités politiques du Québec. Leurs «preuves» qui sont en fait des soupçons, reposent sur un algorithme de la lettre de menace reçue par les victimes. Cette lettre comprend beaucoup de «ismes» (aux dires d’un des enquêteurs) et lorsqu’on la fait analyser par des moteurs informatiques, on tombe directement sur un des billets de blogue que j’ai déjà composé contre les conservateurs de Harper. Disons que depuis que j’ai commencé mon identité de voisin, j’ai blogué plus d’une fois contre les conservateurs de Harper… Et pas seulement contre eux.
En plus, je ne suis pas très subversif. Je me crois plutôt nuancé. Modéré. Je me suis souvent fait traité de pleutre, de révisionniste, de conservateur justement! La nuance est aussi menacée actuellement. Il faut choisir son camp: your either with us or with the terrorists!
Or, en critiquant le pouvoir, je fais maintenant partie des terroristes! Quoiqu’il en soit si j’ai toujours condamné l’usage de la violence ou considéré celle-ci comme servant les objectifs de l’adversaire, peu importe si j’ai même «condamné la violence contre les machines à chip à l’UQÀM», je suis maintenant un suspect. L’enquête se poursuit.
Dans un État policier, ce seul prétexte aurait suffi pour me condamner. Ici, on cherche à semer dans la tête du suspect l’idée qu’il est dangereux de critiquer le pouvoir. Le bon cop dans le duo de policiers qui m’enquête m’a dit: «ça ne vous fait pas réfléchir sur ce que vous écrivez, le fait qu’on tombe sur vous dans une enquête à caractère terroriste?» Voilà. On joue dans la tête des dissidents pour qu’ils choisissent l’autocensure.
N’ai-je pas le droit de critiquer le pouvoir? Bien sûr, mais pensez-y, l’enquête se poursuit…
ça me rappelle la Loi du cadenas sous Duplessis…
Cette affaire d’algorithme est tout aussi pathétique qu’inquiétante…
et . au début des années 50, il y a eu aux USA le McCarthyism, ,,,
on voyait des communistes partout,
«ça ne vous fait pas réfléchir sur ce que vous écrivez, le fait qu’on tombe sur vous dans une enquête à caractère terroriste?» Je saurai tellement pas quoi répondre si un policier me disait ça. C’est juste trop insultant.
Le procès de Kafka dans toute sa splendeur…
Salut,
Article fort intéressant. J’ai subi le même genre de répression en 2012. J’étais alors étudiant, entre le CÉGEP et l’Université et je travaillais dans une station de d’essence dans une petite municipalité de région. elle se trouvait juste en face du poste de police.
J’avais jamais eu de problèmes avec les policiers, le les connaissais pas mal par leur petits noms, et ils étaient très polis avec moi, malgré le fait que je lavais leurs vitres de char avec mon parka Allemand avec un carré rouge cousu dessus (fesais froid, je faisais le shift de nuit pour payer mes études alors qu’il y avait une grosse vague de braquages de dépanneurs dans le coin).
Donc un moment donné y’a eu un nouveau qui avait été transféré de Victoriaville. Je le sais parce qu’il avais été mis en duo avec Denis, un vieux de la vieille qui prenait toujours un grand café et un muffin aux bleuets pour son shift de nuit. Dès qu’il as vus mon carré Rouge, il m’as envoyé chier et m’as traité de tous les noms. Je lui ai juste répondu: « moi je travaille ici pour payer mon école, si t’es pas content, décalisse pis vas tinker ton char au Irving au prochain coin de rue, j’ai pas le temps de m’astiner avec toi, j’ai un ménage a faire dans le backstore quand tu vas avoir fini ta crise adolescence. »
Le dude est parti en maudit (surement avec raison). Deux jours plus tard, un enquêteur cogne à ma porte. Il rentre, sans un mandat. Il me pose des questions. Il me dit exactement la même chose qu’à toi « Tsé, tes actions vont avoir des conséquences, faudrait que tu penses à ça. Tu peux pas instiguer un fight avec une police et penser que tu peux t’en tirer sans aucuns problèmes. »
Ils ont fait une enquête sur moi, et j’ai perdu ma job 1 semaine plus tard. J’ai pas arrêté de militer depuis. Ça fait longtemps qu’on vis dans un état policier. Ils se croient tout permis et ils sont prêts à se backer entre eux. Même Denis, qui s’était excusé du comportement du « nouveau Jeune de Victo » avait sans doutes pris le bord de son collègue. Pourquoi il le ferait pas?
Dans tous les cas, n’arrête pas d’écrire. J’aime bien tes articles.
« Ça ne vous fait pas réfléchir à ce que vous écrivez, qu’on tombe sur vous dans une enquête à caractère terroriste? »
« Ça me fait presque autant réfléchir que quand j’écris « pic-nic » et que l’autocorrecteur me propose « l’iconoclasme »…
Simple curiosité, à quel corps de police appartenaient ces policiers?
Sexagénère, il m’est arrivé de participer aux manifestations du Printemps 2012 en tant qu’ex-étudiant, parent, grand-parent et citoyen, et ce que j’ai vu et expérimenté sur le terrain de la très dure répression policière – et donc politique – m’a laissé, et me laisse encore, un goût amer en bouche et en esprit, et m’a fait réaliser que même dans un État que l’on s’enorgueillit de qualifier de démocratique, la ligne entre démocratie et État policier est très mince et qu’il est s’avérera dorénavant incontournable de demeurer extrêmement vigilants. Et sans vouloir être alarmiste, force est de constater que le propre d’un État policier est que lorsqu’on se rend soudainement compte de son existence, il est déjà trop tard.
Mwahahahaha, « je suis sous la menace », « je suis persécuté », « je suis surveillé et fiché par la police secrète de Harper », et le ti-nami de Marc-André Cyr qui vient offrir l’encouragement de rigueur au martyr de la liberté qu’est JF Chénier, qui nous étale ici son complexe de persécution… Gros martyr en effet ! Quelle admirable dévouement à la cause de l’émancipation des peuple que cette affreuse condition de prof de cégep payé par nos taxes, hein non mais méchant calvaire de fou. Il y a eu Jésus, Gandhi, Martin Luther King et maintenant JF Chénier. J’imagine qu’il faudra s’attendre à voir des t-shirts à son effigie sur le modèle du Che ?
Hey Jonathan, calme-toi. Je n’ai jamais dit que j’étais persécuté ni cherché à me présenter comme martyr. Je constate seulement que le réflexe de la police est de me suggérer de fermer ma gueule… Et en ce qui concerne mon salaire «payé par vos taxes», j’imagine que vous rêvez d’un système d’éducation à l’américaine où l’école publique est en ruine et réservée aux pauvres? Patientez, Philippe Couillard travaille là-dessus! Mais d’ici là, rappelez-vous que «mes taxes» financent aussi les routes sur lesquels vous faites roulez votre grosse cylindrée…
Désolé de péter votre balloune de petits Che de salon mais si vous voulez VRAIMENT expérimenter un « état policier » TANGIBLE et VÉRITABLE, il vous faut sortir du Québec et du Canada et aller faire un petit tour au Venezuela, en Corée-du-Nord en Iran, en Iraq,etc…
Bien sûr, ici, la police est plus présente qu’avant mais c’est le prix à payer pour s’entêter à avoir un un état plus « progressiste et socialiste ». Les États progressistes finissent tous par être des États policiers puisque l’idéologie progressiste doit obligatoirement être imposée par la force aux citoyens…
Cher François 1,
Vous dites: «Bien sûr, ici, la police est plus présente qu’avant mais c’est le prix à payer pour s’entêter à avoir un un état plus « progressiste et socialiste ». Les États progressistes finissent tous par être des États policiers puisque l’idéologie progressiste doit obligatoirement être imposée par la force aux citoyens…»
Réfléchissez bien à votre propos, qui m’apparaît contradictoire. Le prix à payer pour ceux qui réclament un État plus progressiste serait celui de la répression. Donc, votre conception de l’État libéral repose sur un appareil répressif qui empêcherait les autres conceptions d’exister? Vous dites que «les États progressistes finissent tous par être des États policiers» et qu’il faut donc empêcher un État progressiste d’advenir en acceptant un État policier? Belle logique que la vôtre!
En plus d’être contradictoire (défendre la liberté en la faisant reculer) cette logique est anti-démocratique, car il serait légitime de réprimer ceux qui ne pensent pas comme vous…
Est-ce que François 1 er est le nom de plume d’Eric Duhaime ?