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Terrorisme et pensée complexe

Il est difficile de s’exprimer adéquatement après l’indicible horreur des attentats de Paris. Mais une chose est sûre, c’est que nous avons besoin de recul pour mieux faire ressortir les perspectives multiples qui sous-tendent de tels événements. Et une autre chose éclate à ma figure dans le sillage de tels événements, c’est le simplisme dans le discours qui m’accable, tant celui des terroristes que celui d’une certaine droite xénophobe ou populiste, partisane de tous les amalgames.

Or, dans les attentats de Paris, «on retrouve, pêle-mêle: une crise d’identité nationale; l’angoisse du chômage et de l’immigration; les guerres du Moyen-Orient en miniature; la discrimination contre les Maghrébins; la radicalisation islamiste d’une minorité mesurable; l’installation de ghettos sociaux, religieux, géographiques; la montée continue d’une droite xénophobe et ultrasécuritaire».

  • François Brousseau, «La guerre?», Le Devoir, Montréal, 16 novembre 2015, p. B-1.

Ce que j’aime dans cet extrait de la chronique de François Brousseau, c’est que d’emblée, on souligne le caractère multiforme et complexe de la réalité effrayante du terrorisme.

Pour ma part, il me semble que les auteurs de cette violence terroriste veulent déclencher «un choc des civilisations» entre Islam et Occident. Et malheureusement, plusieurs en Europe comme en Amérique tombent dans ce piège et adoptent le réflexe d’y répondre par un discours essentialiste qui renforce cette perspective du choc civilisationnel, en stigmatisant tous les individus d’apparences arabo-musulmanes. Pourtant, «la guerre contre le terrorisme» que l’on annonce n’est pas une guerre civilisationnelle. Les causes de cette explosion de la violence sont nombreuses et essentiellement profanes.

Premier commentaire: Il n’y a pas de définition communément acceptée du «terrorisme». Je vous propose ici une première caractéristique pour amorcer une définition de ce terme : le terrorisme est une violence aveugle, qui cible des civils. Si on se fie à ce seul critère – la violence dirigée contre des civils – on comprend que le terrorisme n’est pas que pratiqué par des groupes djihadistes, il peut aussi être pratiqué par un pays…

Deuxième commentaire: Pour lutter contre l’EI, il faudra peut-être plus une action policière (pour assurer la sécurité intérieure) et diplomatique que militaire. En effet, ce qui permet à l’EI d’exister, c’est que des «alliés» de plusieurs pays occidentaux favorisent son existence : la Turquie, membre de l’OTAN, empêche les Peshmergas kurdes de traverser la frontière pour aller combattre l’EI, tout en étant complaisante à l’égard du commerce du pétrole exercé par l’EI…

Un autre de nos «alliés», l’Arabie saoudite, finance et soutient idéologiquement l’islamisme radical dont se réclament les partisans de l’EI. Rappelons à ce sujet que le Canada et la France sont d’importants vendeurs d’armes à ce régime répressif et obscurantiste qui entretient aussi, au-delà d’une conception a-historique de la religion, une hostilité malveillante à l’égard des autres pratiques de l’Islam, que le wahhabisme saoudien considère déviantes…

De même, un autre allié indéfectible des pays occidentaux, qui profite aussi de l’impuissance et de la complaisance de l’ONU, c’est l’État d’Israël, qui occupe et colonise les territoires palestiniens, au mépris du Droit international. Ce mépris ostentatoire du Droit international et ce silence complice des pays occidentaux engendre un sentiment d’injustice incomparable chez les populations originaires du Proche et du Moyen-Orient.

Ces trois seuls exemples cherchent seulement à démontrer que ce contre quoi il nous faut lutter lorsqu’on dit vouloir lutter contre l’EI est plus complexe que ce que les partisans de la théorie du choc veulent nous faire croire… Nos alliances posent aussi problème. Nos silences aussi.

Pour comprendre de tels événements, nous avons besoin de recul. Il importe de nous sortir des analyses simplistes ou manichéennes du choc civilisationnel. Il n’y a pas de chocs des civilisations, car les terroristes ne représentent aucune civilisation. Et il n’y a pas d’explications ni de solutions simples, seulement un combat à mener pour un véritable universalisme, qui ne serait pas sélectif…