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Diverses lectures d’hiver

Je vous propose ici un court bilan de mes récentes lectures. Pour amorcer cet hiver sans neige, je vous lance ces diverses lectures marquantes.

  • L’évangile selon Pilate + Journal d’un roman volé, ainsi que La nuit de feu, d’Éric-Emmanuel Schmitt.

Noël approche. Autant lire sur l’histoire sainte et le questionnement autour de l’existence de Dieu.

Je sais que cet auteur best-seller en fera sourciller plusieurs, sans doute parce qu’il est populaire… Mais cet homme est un véritable génie de sensibilité et d’intelligence. Moi qui suit un parcours intellectuel fortement imprégné de ce toujours nécessaire dialogue entre foi et raison, moi qui suis toujours à la recherche de la nuance, du respect pour les autres postures, celles qui ne sont pas les miennes, mais qui méritent d’abord une ouverture avant qu’on puisse les juger. Les jauger d’abord, et toujours laisser une place au doute… Ces trois récits se lisent ensemble, d’un trait, puisque l’un à la suite de l’autre on pénètre dans la démarche d’Éric-Emmanuel Schmitt, démarche au bout de laquelle on ne peut qu’être en accord, que l’on croit en Dieu ou non. Eric-Emmanuel Schmitt nous enseigne qu’il n’y a qu’une posture à adopter devant la question de Dieu, c’est celle de l’ouverture. Dieu existe-t-il? Trois possibles réponses acceptables: i) Je ne sais pas, mais je crois que oui; ii) Je ne sais pas, mais je ne crois pas; iii) Je ne sais pas et je m’en fous.

Toutes les autres postures, celles qui apportent une réponse tranchée (oui Dieu existe; non Dieu n’existe pas), sèment le germe d’une certaine intolérance, sans doute contraire d’ailleurs au message d’origine que chacune des religions monothéistes devait d’abord porter…

  • Le royaume d’Emmanuel Carrère;

J’ai trouvé Le royaume trop long. Mais Emmanuel Carrère est un  érudit, qui sait tout de même nous faire l’exégèse d’un texte éternel avec intelligence et vivacité. Et lui aussi témoigne de cette seule posture acceptable, celle du respect pour les croyants, même lorsqu’on est incroyant. Ce qui est aussi admirable dans Le royaume, c’est que Carrère souligne lui aussi le côté humain de Jésus. Et le caractère contre-intuitif de son message, qui appelle à aimer son prochain, à présenter l’autre joue, à pardonner à ses bourreaux… Et ce Dieu fait homme qui doute lui aussi.

Faire dialoguer le livre de Carrère avec ceux de Schmitt fut un véritable plaisir pour moi. Et j’écrirai bientôt un peu plus sur ce sujet du dialogue foi et raison, parce que j’ai pas mal lu aussi sur la pensée islamique d’hier à aujourd’hui, depuis mes divers voyages en Égypte, en Turquie, en Palestine, en Israël, puis plus récemment au Maghreb…

Dans le contexte de l’explosion du terrorisme ordinaire, mené par de jeunes adultes en quête de sens et de «popularité du web», et dans le contexte tout aussi pathétique de la réponse xénophobe et populiste qui émerge face à ce désastre, un sincère dialogue foi et raison m’apparaît la seule vraie solution pour nous éviter le basculement dans la violence la plus totale… J’y reviendrai.

  • La femme qui fuit, d’Anaïs Barbeau-Lavalette;

L’autre univers qui a habité mes lectures récentes est celui de la folie et de ses incidences sur les autres, ceux qui la subissent si je peux dire…

Il vous faut plonger corps et âme dans La femme qui fuit, dans cette enquête autour de Suzanne Meloche, grand-mère de l’auteure et signataire du manifeste Refus global dont elle s’est elle-même exclue avant qu’il ne soit diffusé. C’est magnifiquement écrit. C’est intriguant. C’est vraiment bon et beau. Je ne veux pas vous en dire plus, mais c’est un «roman» qui n’en est pas un ou alors une biographie inventée mais fortement documentée… Et le choix de vie de cette femme qui a fuit toute sa famille nous hante. Et Anaïs Barbeau-Lavalette n’est jamais trop amère ni jamais complaisante face à ce choix d’une liberté radicale, extraordinaire mais tout de même condamnable: l’abandon de jeunes enfants.

  • Le parfum de Janis, de Corinne Larochelle;

Là aussi, il y a comme une fusion entre réalité intime et roman. C’est le récit d’une fille de 40 ans qui séjourne plusieurs mois au Portugal dans le but d’écrire un roman. Elle refait donc le fil de sa vie en racontant la maladie mentale de sa mère, le divorce de ses parents, ses amours incomplets. On y retrouve à la fois le rapport trouble parents-enfants, celui aussi de la fratrie, de la maladie mentale et des effets de celle-ci sur l’entourage et particulièrement sur les enfants… Tous des sujets qui sont explorés dans La femme qui fuit. Là, le ton est plus intime, moins distancié. Là où Anaïs Barbeau-Lavalette écrivait au «tu» pour raconter Suzanne Meloche, Corinne Larochelle se projette personnellement dans son roman, ce qui fait du lecteur un intime de l’auteure, sans qu’il ne la connaisse vraiment.

  • Choisir Éléonore, d’Andrée A. Gratton

Voici une autre incursion dans la folie, celle d’une femme qui adopte des comportements dérangeants, envahissants, les deux pieds dans la folie, mais aussi dans un quotidien ordinaire. Cette femme pourrait être votre collègue de travail, vous la côtoyez au quotidien et elle ne vous apparaît pas si bizarre, mais elle l’est! C’est un peu étrange comme lecture, malaisant quelquefois. Il faut lire ce roman comme une nouvelle littéraire (il en a d’ailleurs le format, moins de 100 pages).

  • Six degrés de liberté, de Nicolas Dickner.

C’est l’univers qu’on aime dans ce livre. Trois récits qui, en se superposant, nous ouvrent la porte vers ces possibilités infinies qui s’offrent à nous si on lâche prise… Essayez d’en savoir le moins possible sur l’histoire avant de plonger dedans, ça la rend plus forte.

  • Je serai un territoire fier et tu déposeras tes meubles, de Steve Gagnon;

Les divers «documents» publiés par la revue Nouveau projet sont tous agréables à lire. Essais courts, originaux, intelligents. Celui-ci porte sur l’identité masculine et cherche à faire éclater les cadres de la définition de ce qu’est un homme. C’est souvent formulé comme un long poème, mais aussi parsemé d’entrevues avec des ados qui ont pour modèles masculins des caricatures de virilité musclées et épilées… Steve Gagnon veut permettre aux hommes de choisir la vulnérabilité, la sensibilité, la liberté. Choisir son propre modèle ou alors ouvrir la définition de virilité à d’autres postures, à d’autres images. À lire après avoir lu Les tranchées de Fanny Britt (magnifique!) et Second Début de Francine Pelletier, publiés dans la même collection et qui portaient respectivement sur l’identité féminine et le féminisme. Ces trois essais ensemble nous permettent d’entrevoir que les voies d’avenir dans le domaine des identités de genre sont nombreuses et indéterminées…

Joyeuses fêtes. Je vous souhaite diverses lectures d’hiver et d’ivresses.