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Renouer avec notre histoire

Renouer avec notre histoire. Se la réapproprier. Car bien qu’il soit écrit «Je me souviens» sur nos plaques de char, on peut dire que les Québécois entretiennent une relation problématique avec la leur… Ils n’en sont pas fiers. Ils ont souvent l’impression qu’elle n’a pas de grandeur, qu’elle est insignifiante. Il est certain que la façon dont l’histoire du Québec et du Canada est enseignée aux jeunes générations a toujours posé problème. Et que ce problème s’est aggravé avec la réforme et la volonté quasi-maladive des différents programmes du Ministère de l’éducation de la purifier de son caractère conflictuel… C’est ainsi que la période de la Conquête a été intégrée dans le cursus d’histoire du secondaire comme la période d’accession à la modernité et à la démocratie pour le Québec… Faut le faire, quand même!

Or, nous arrivons peut-être à l’épuisement heureux de cette dynamique malsaine. Par toutes sortes d’initiatives, de publications, de films et de télé-séries, on peut espérer que le Québec et les Québécois soient en train de renouer avec la grandeur de leur histoire. Cette expérience historique n’est pas plus grande que celle des autres, mais elle est remplie de personnages plus grands que nature, d’une soif de liberté constante, d’une prudence politique entretenue souvent à l’excès, mais aussi d’une imprudence, voire d’une impudence de la part de certaines figures, hommes et femmes, qui font de notre parcours historique «quelque chose comme un grand peuple», pour parler comme René Lévesque.

À titre de premier exemple, plusieurs porte-parole forts articulés des intellectuels du champ conservateur au Québec (1) se réjouissent de la nouvelle version des Belles histoires des pays d’en haut, version moins misérabiliste, faisant une part belle à Honoré Mercier et au Curé Labelle, ces personnages pittoresques, mais aussi importants de notre histoire. Le Québec moderne, avec ses nouvelles productions sur Louis Cyr, son récent documentaire sur Champlain (Le rêve de Champlain), puis avec cette énième version de l’histoire de Séraphin et de Donalda, est peut être en train de prendre goût à son histoire… à son originalité propre. À son parcours exceptionnel, mais aussi simplement universel.

Les deux livres et la série radiophonique des remarquables oubliéEs (de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque) nous ont fait connaître ces femmes et ces hommes qui ont ouvert ce continent aux dimensions gigantesques dans un soucis inégalé de respect et de dialogue avec les premières nations… Voici des héros hors-normes, des personnages libres et forts, entrepreneurs, traducteurs de toutes les langues amérindiennes, courageux. Voilà des femmes aventurières, au cœur de toutes les intrigues dans le contexte de l’adversité du climat et de l’époque, qui font mentir le récit dominant de notre histoire puisqu’elles furent non seulement présentes, mais essentielles à notre avancée et à notre durée.

Les Patriotes de 1837-38, les métis de Louis Riel, les coureurs des bois, les ouvreurs du continent nord-américain, les cartographes, les bâtisseurs d’églises, les colons, les nombreuses familles qui ont tenté l’aventure états-unienne, toutes ces collectivités qui ont des liens clairs avec notre nation et qui en constituent les origines doivent être réétudiées pour que l’on redécouvre en elles et en leur expérience toute notre particularité mais aussi toute notre universalité. Les revendications patriotes constituent à ce sujet une période historique avec laquelle on devrait renouer pour y voir toute la modernité de ce mouvement. Et encore une fois, ce ne sont pas les personnages grandioses qui manquent à ce récit.

Renouer avec notre histoire impliquerait simplement d’insister sur ces figures extraordinaires qui ont développé ici et partout sur le continent cet esprit empreint d’aventure excessive et de prudence politique. Notre parcours historique unique mérite plus d’enthousiasme. Je ne cherche pas à instrumentaliser la réalité historique du Québec pour favoriser un nouveau chauvinisme, je cherche simplement à ce que cette réalité, hors de l’ordinaire, soit davantage enseignée en faisant ressortir nos nombreux personnages extraordinaires, tous témoins et acteurs d’un parcours historique loin d’être insignifiant.

Et je crois que le mouvement est amorcé. Il suffirait de continuer sur cette lancée, sans dénaturer la complexité de ces personnages ni les nuances nécessaires à la compréhension de chacune des époques impliquées…

J’ai lu récemment le roman fantastique et inscrit dans l’histoire nord-américaine L’année la plus longue de Daniel Grenier. C’est un autre bel exemple d’une réappropriation intéressante de notre histoire, par la littérature cette fois. L’auteur y introduit un personnage qui traverse le temps: né un 29 février 1760 à Québec, il est doté d’une caractéristique particulière qui l’exempte du vieillissement normal… Et à l’image de nombreux Français du Canada devenus Canadiens puis Canadiens-français puis Québécois, on comprend au fil des aventures du personnage toute l’américanité du Québec et la richesse de son parcours…

Vivement que des scénaristes, des littéraires, des cinéastes, des profs d’histoire et de simples citoyens plongent dans cette envie saine et porteuse de renouer avec notre histoire, avec sa grandeur, la nôtre, pas plus grande, pas plus moche que celle des autres… Et du même coup, on découvrirait sans doute que comme le laissait entendre de manière intuitive le documentaire L’Empreinte de Carole Poliquin et Yvan Dubuc, notre histoire est beaucoup plus imbriquée qu’on le pense avec celle des Premières nations! Comme quoi renouer avec cette part de nous mêmes pourrait accélérer un autre rapprochement nécessaire, avec les Amérindiens…

Laissez-vous raconter notre histoire. Elle est digne d’un grand roman d’aventures.

 

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1- Il s’agit du sociologue Mathieu Bock-Côté et de l’historien Éric Bédard, à qui je reconnais de grandes qualités intellectuelles et qui rejoignent souvent mes propres préoccupations sur la question nationale du Québec, même si je ne me définis pas comme conservateur…