Je suis allé voir la pièce «Après», de l’auteur Serge Boucher, au théâtre d’Aujourd’hui. J’en suis sorti troublé, dérangé, mais reconnaissant à l’auteur d’avoir tant bousculé mes a priori et mes sentiments.
Sans tout raconter, disons que la trame de l’histoire ressemble au drame épouvantable de l’affaire Turcotte… Un père éploré par le fait que sa femme le quitte finit par basculer dans le geste le plus horrible que l’on puisse envisager: tuer ses enfants. Toute la pièce se passe après le drame, après l’indicible. Le tueur est hospitalisé et une infirmière qui s’occupe de lui tissent petit à petit une relation de confiance, qui fait que tranquillement, au-delà de l’hostilité du départ, de la méfiance, de la peur, de la confrontation, du mépris, l’infirmière finit par reconnaître les failles du tueur et donc son humanité…
Lorsque la pièce s’est terminée, j’ai pris plusieurs minutes avant d’applaudir… Je demeurais silencieux, assis à ma place, incapable de me lever et de féliciter le jeu pourtant très juste des comédiens et la mise en scène très habile de René-Richard Cyr… C’est que Serge Boucher, comme c’est son habitude, est un spécialiste du malaise. Et cette fois-ci, il pousse la chose plus loin que dans toutes ses œuvres précédentes, puisqu’il nous est impossible de ne pas penser au drame réel vécu par Isabelle Gaston et à cet être égocentrique et profondément rancunier qui a volé son droit au bonheur…
Un passage très fort de la pièce est celui où l’infirmière interpelle le tueur en lui disant grosso-modo: «je sais pourquoi vous avez raté chacune de vos tentatives de suicide. Vous teniez à voir la souffrance de votre ex-femme. Vous teniez à voir l’effet de votre geste irréparable»… Ce passage cité de mémoire, donc non textuellement, évoque pour moi toute l’horreur de la personnalité du personnage (celui de la pièce, mais aussi celui de la réalité concrète) du tueur. Comme si Serge Boucher évoquait que la motivation profonde du tueur dans ce cas-ci, si elle reflétait une véritable blessure personnelle, aurait dû mener à un suicide réussi! Or, comme ses tentatives de suicide ont à chaque fois échoué, il ne peut s’agir que d’un acte de vengeance pure… Bon, ce n’est peut-être pas un argument légal valable dans un procès, mais ça m’apparaît être un regard pertinent sur l’horreur du geste posé.
Cette chose étant dite, le texte de Serge Boucher nous trouble. Il faut être prêt à vivre ce trouble. Mais la pièce, montée intelligemment, nous prépare à comprendre (pas accepter, mais comprendre) le dénouement suggéré.
Si vous aimez les œuvres qui suscitent des discussions et qui trottent dans la tête longtemps après l’avoir fréquentée, en voilà une!