Un petit livre
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Un petit livre

Je viens de terminer de lire Un petit livre, de Sergio Kokis.

Il s’agit de l’histoire d’un prof de littérature dans la Russie soviétique des années 1930, à ce moment particulier de l’histoire où le régime stalinien s’est cristallisé dans le totalitarisme. Notre héros discret se fait simplement donner par une de ses étudiantes un petit livre, celui d’Evgueny Zamiatine, intitulé «Nous autres».

Comme j’ai déjà lu ce petit livre de Zamiatine, qui est une dystopie dans laquelle les personnages perdent leur identité personnelle et deviennent entièrement régis par les tables du temps élaborées par l’État unique, j’ai adoré comment Kokis propulse son intrigue à partir du roman d’anticipation de Zamiatine. Tout ce que je peux vous dire sans gâcher la sauce, c’est que la lecture de ce petit livre interdit par le régime va transformer notre prof de littérature jusqu’alors fidèle dans ses enseignements comme dans ses actes à ce qu’exigeait le régime stalinien.

Et ce qui est fort dans le livre de Kokis, c’est qu’il décrit très bien comment le régime soviétique détruisait les liens de confiance entre les gens. Une culture de la suspicion permanente entre les individus s’y était installée et cette peur de l’autre comme dénonciateur potentiel de nos petites dérives non conformes au dogme officiel empêchait de véritables relations franches avec quiconque: notre amoureuse, nos collègues, nos amis, nos parents, tous  finissent par entretenir avec nous et nous avec eux une relation essentiellement superficielle. Jamais le fond de notre pensée ne sera divulgué à l’autre, étant donné le risque que ce dévoilement de notre intimité encourt…

L’effet d’une telle crainte permanente sur les individus génère également une culture sans imagination, lisse, conforme à la propagande du régime. Kokis nous offre alors de très belles pages sur la littérature officielle de l’époque, qualifiée de réalisme socialiste. Et sa connaissance des classiques de la littérature russe approfondit sa réflexion, qui est à la fois politique et littéraire, sur le pouvoir des mots, des livres et des arts comme outils de subversion dans un contexte d’extrême rigidité des institutions.

Un petit livre, de Sergio Kokis est un livre admirable. Et malgré son titre, je dirais que c’est quelque chose comme un grand livre, pour parler comme René Lévesque.