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L’impensable se concrétise

Ce que je n’osais envisager, ce que je me refusais de croire arrive! Trump élu président. Au-delà des raisons politiques qui expliquent cette victoire, par-delà les défaillances des spécialistes de la politique états-unienne et au premier chef des sondages, qui n’ont pas été en mesure de mesurer l’intention cachée d’une très grosse portion de l’électorat, ce qui fait frissonner le politologue que je suis, c’est que la victoire de Trump illustre le triomphe de l’ignorance, de la superficialité, du mensonge et de la mauvaise foi, du racisme, de la misogynie, de l’incitation à la violence, de l’égocentrisme extrême, et quoi d’autre?

Cette figure de la télé-réalité nous annonce que nous sommes bel et bien entrés dans ce que l’on appelle l’ère post-factuelle: les faits ne comptent plus. Le débat démocratique est aujourd’hui dominé par les émotions. Les gens consomment leur «information» par l’entremise des réseaux sociaux et sur le fil de presse de ceux-ci, les informations crédibles relevant des médias d’information traditionnels sont mis sur un même pied que les rumeurs, les mensonges et théories du complot les plus farfelues. Et les réseaux sociaux renforcent nos a priori, les «infos» qui y circulent étant le reflet de nos propres convictions. La diversité des points de vue fout le camp. Le dialogue disparaît. Nous en sommes rendus à vivre dans nos bulles médiatiques respectives. La vérification des faits que proposaient les médias américains sérieux ou les humoristes des émissions de fin de soirée n’a pas eu d’effets sur cette population qui a osé voter Trump. L’image d’un «self-made man» qui s’insurge contre une élite politique, médiatique et financière largement décriée et discréditée, l’a emporté sur l’option «réaliste» d’une femme présidente compétente mais largement méprisée par un électorat qui a perdu confiance dans la capacité de la classe politique traditionnelle à résoudre certains problèmes persistants (la précarisation des conditions de vie d’un très grand nombre de familles, la crise de l’immigration, la violence généralisée, la perception d’un déclin de la puissance états-unienne – perception qui paradoxalement se concrétisera avec la figure polarisante de Trump).

Cette gueule de bois politique qui est la mienne touche davantage aux conditions de délibération de nos supposées démocraties électorales. Il n’y a plus de références communes dans nos sociétés. Le débat se tient dorénavant devant des clientèles étanches qui se côtoient sans se toucher. Et les politiciens pour lesquels on vote confortent nos certitudes. Peu importe s’ils mentent et disent des énormités, l’important est que l’on ressente qu’ils nous parlent. «At least, Trump tells it like it is! He addresses the real issues» disaient les Américains avec qui je jasais l’hiver dernier de l’ascension du clown inquiétant. Et tous affirmaient entretenir un mépris envers «the Clintons», ces menteurs arrivistes.

Alors, où va-t-on? Je suis sans mot. Pour reprendre certaines expressions de notre propre culture télévisuelle, je suis tenté de dire comme les concurrents de l’émission «Le banquier»: «offre re-fu-sée» ou encore, de chanter «la fin du monde est à sept heures»… Mais ce qui me revient, c’est le rêve impossible que Marty McFly, ce héros du film Back to the Future, vienne à notre rescousse pour remonter dans le temps et empêcher Biff (véritable sous-produit caricatural de Trump) de triompher:

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