Je viens de terminer la lecture d’un essai fabuleux, érudit et accessible: Bienvenue au pays de la vie ordinaire, de Mathieu Bélisle. Un grand essai. Je suis gêné de chercher à en faire ressortir ici quelques idées-forces, mais allons-y tout de même: Le pays de la vie ordinaire, c’est celui axé sur la vie concrète, la vie vécue: celle du travail, de la famille. Et selon la thèse de Mathieu Bélisle, le Québec est la société par excellence de la vie ordinaire. Le concept de vie ordinaire provient d’une typologie élaborée par Charles Taylor selon laquelle il y aurait: 1) le monde de la vie ordinaire, caractérisé par les choses prosaïques, terre-à-terre; 2) la vie de contemplation: celle des arts, de la spiritualité et de la philosophie et 3) la vie de participation, caractérisée par un engagement dans la vie collective. Le Québec serait donc la société de la modernité qui a le plus accordé d’importance à la vie ordinaire par rapport aux autres formes de l’existence.
Et Mathieu Bélisle remonte le fil de notre littérature pour en extraire les nombreux exemples de valorisation de la vie ordinaire au sein de la nation québécoise. C’est comme s’il réussissait à tisser une toile qui exposait nos propres contradictions: l’absence d’ambition de la nation québécoise (2 refus de l’indépendance) et sa résilience. C’est drôle, mais j’ai eu l’impression que Mathieu Bélisle faisait ressortir par une autre lunette des thèmes présents chez plusieurs auteurs québécois : la permanence tranquille (Jonathan Livernois), l’impossibilité historique du Québec (Maurice Séguin), le coin dans la mémoire des Canadiens-français (Yvan Lamonde), nos tiraillements entre aspirations et résignations, nos éternels retour de la survivance (Éric Bédard) y sont explorés sans que nécessairement les livres dont je viens de faire mention y soient mentionnés, mais en puisant dans la littérature québécoise d’hier à aujourd’hui avec une sensibilité unique dans une écriture élégante.
C’est fou comme, à la lecture de Mathieu Bélisle (en le lisant, on plonge dans ses lectures), toutes sortes de lien avec l’actualité ou avec ce qu’on pourrait chercher à identifier comme relevant de «l’essence» de la nation québécoise surgissent. Par exemple, l’achat récent de la brasserie Trou du diable de Shawinigan par Molson-Coors ne serait-il pas la dernière illustration de la petitesse de nos ambitions? De notre incapacité à faire perdurer dans le temps ces success story pour devenir des rentiers qui aiment la vie simple? Ou mieux? Peut-être est-ce simplement parce que les Québécois rêvent essentiellement d’un bonheur tranquille, pas de la richesse clinquante! Serait-ce alors un Fuck You Trump? Une réponse au Think Big d’Elvis Gratton?
Si tout cela est plausible, cela nous fournit une explication supplémentaire de la victoire de Projet Montréal: ce parti et la campagne inspirante menée par Valérie Plante ont porté des préoccupations concrètes (transports, taxes, logements, espaces verts) par rapport à Denis Coderre qui ne cherchait qu’à faire flasher Montréal… La vie ordinaire contre le pouvoir des clinquants.
On voit donc, à la lumière de ces derniers commentaires, que la vie ordinaire n’est pas nécessairement malsaine, car la quotidienneté est ce qui fait nos vies, mais il ne faudrait pas non plus qu’elle prenne toute la place, sans quoi la valorisation de la vie ordinaire devient ce populisme des «vraies affaires» de Philippe Couillard et du «fardeau fiscal de la classe moyenne» de Justin/Justin Trudeau/Trudeau. (Et les Paradise papers?)
Las survalorisation de la vie ordinaire, c’est la CAQ qui s’en vient dans pas long avec son discours ordinaire. Vous allez voir que les vagues politiques de l’électorat québécois sont intempestives ces temps-ci! Mais peut-être entrons-nous dans une nouvelle phase politique? Celle marquée par le goût d’une aventure? Je préférerais que ce soit le goût de l’aventure, ce qui n’est pas la même chose, on en convient.
Revenons à Mathieu Bélisle et à son essai, que j’ai adoré. Il avait le mérite pour moi de ressasser des lectures qui m’ont été marquantes: Ringuet, Fx Garneau, etc. (je ne veux pas tracer le filon élaboré par Bélisle, je n’aime pas quand on dévoile toute la trame d’un livre). Si vous êtes prêts à plonger dans un essai littéraire, en voici un important. Une autre poutre à la charpente de notre littérature vient de s’écrire. Et Bélisle semble conclure que la littérature québécoise actuelle nous laisse entrevoir une sortie de la vie ordinaire. Je vous laisse découvrir les auteurs qu’il identifie à cette nouvelle sensibilité qui, contrairement à la thèse élaborée par Isabelle Daunais dans son essai sur l’absence d’aventure dans le roman québécois, renouerait peut-être avec l’esprit plus aventurier de notre «premier» roman national, L’influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé fils…
Bonne lecture, l’hiver s’en vient, autant s’équiper!
Je dirais que, sans l’avoir vraiment connu la génération d’aujourd’hui, bousculée par les nombreuses déceptions que nous offres sur un plateau »intrigant » et à un rythme effréné le monde actuel, sent que son coeur appartient à un ailleurs tranquille. Elle cherche à, au travers la hâte et les milliers d’obligations, à se donner un espace qui se rapproche le plus de la liberté en laquelle son coeur croit depuis ses premiers gazouillis…
Bien difficile d’écouter son coeur dans un tel brouhaha pourtant il le faut, si on interagit pas avec son propre coeur, il est bon pour l’orphelinat.
Les structures du monde actuel axées sur le profit font la satisfaction d’une poignée d’individus. Ils ont mis en place des entonnoirs perfectionnés, les villes, qui aspirent l’énergie de la masse et la transforme en dollars, en puissances militaires, en religions contrôlantes etc.
La sensation d’isolement se fait sentir le jour ou contre vents et marées nous remettons en question toutes les structures fondées sur le profit, si nous le faisons c’est uniquement parce que notre coeur nous réclame un répit, quand il n’en peux plus du béton et de l’asphalte…
Il sait lui que la liberté vient avec la gratuité et la spontanéité. Deux valeurs vite mises au broyeur dans les »entonnoirs ».
Comme dirais Harmonium: » Le paradis perdu au bout des yeux »…
J’ajouterais le paradis perdu derrière nos yeux…