Modification de la loi sur le droit d'auteur : Modification de la loi sur le droit d'auteur : C-32 pour les nuls
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Modification de la loi sur le droit d’auteur : Modification de la loi sur le droit d’auteur : C-32 pour les nuls

Figure emblématique de la lutte pour le respect des droits d’auteur, Claude Robinson remet en question, à travers un dialogue exclusif entre lui et Hélène Messier, directrice générale de Copibec, le très contesté projet de loi C-32

Le projet de loi C-32 sur la révision de la Loi sur le droit d’auteur est une menace pour les créateurs et la culture. Comme le sujet lui tient particulièrement à cœur, Claude Robinson veut en savoir plus. Car Claude Robinson n’est pas seul sur son île et le respect des droits des auteurs et des artistes s’inscrit dans la continuité de son propre combat. Il discute avec Hélène Messier, directrice générale de Copibec.

CLAUDE ROBINSON –      Hélène, en quoi ce projet de loi constitue-t-il une menace pour les créateurs ?

HÉLÈNE MESSIER –     Claude, tu connais bien l’actuelle Loi sur le droit d’auteur et tu sais qu’à la base cette loi vise à assurer que les créateurs puissent autoriser ou non la production et l’exécution de leurs œuvres et toucher des redevances en contrepartie des autorisations qu’ils donnent. C’est ainsi qu’ils peuvent espérer gagner leur vie.

Le projet de loi vient dénaturer complètement cette loi. Il introduit une quinzaine de nouvelles exceptions dans la loi, ce qui veut dire que pour ces utilisations, les créateurs n’auront pas à donner d’autorisation et ils ne toucheront aucune rémunération non plus.

CR-      Donne-moi des exemples.

HM-     On va créer une exception pour l’utilisation des œuvres pour fins d’éducation. Ça semble sympathique comme ça de favoriser l’éducation mais il existe déjà des ententes entre les établissements d’enseignement et  les sociétés de gestion collective des droits d’auteur qui permettent justement aux enseignants de pouvoir reproduire des extraits d’œuvres littéraires ou encore des œuvres artistiques, audiovisuelles ou musicales. Ces ententes permettent de reverser 10 millions de dollars annuellement aux créateurs du Québec. Et ça fonctionne très bien depuis de nombreuses années.

CR-      Mais où est le problème ?

HM-     Il semble que les ministres de l’Éducation des autres provinces canadiennes se plaignent du coût des licences.

CR-      Ils ont raison ?

HM-     Pour l’ensemble des licences de reproduction offertes par des sociétés de gestion au Canada, on parle d’environ 40 millions $ sur un budget total consacré à l’éducation de 72 milliards $. Et encore, une partie de ces coûts est directement absorbée par les étudiants qui défrayent le prix des recueils de textes. Parmi ces exceptions, il y a aussi une exception visant le contenu généré par l’utilisateur.

CR-      C’est quoi ce charabia ?

HM-     On la surnomme l’exception You Tube car elle permet à toute personne de créer une nouvelle œuvre à partir d’œuvres existantes et de la diffuser sur une plateforme comme You Tube.  Créer une nouvelle œuvre à partir d’œuvres existantes sans payer et sans demander l’autorisation, ça te rappelle quelque chose ?

CR-      Oui, un cauchemar.

HM-     Alors tu peux imaginer combien de créateurs feront désormais des cauchemars. Il y a cependant une différence avec ta propre situation, l’utilisation doit être faite à des fins non commerciales. Mais c’est un concept bien vaste. Si tu veux faire des collages artistiques, des anthologies de textes et les diffuser sur You Tube pour la postérité, ce sera permis.

CR-      Et le créateur des œuvres utilisées, là-dedans?

HM-     S’il est chanceux, il sera mentionné comme l’auteur des œuvres originales, sinon s’il trouve que l’utilisateur dépasse les bornes, il devra prouver que cette nouvelle utilisation a «un effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation  – actuelle ou éventuelle» de ses propres œuvres.

CR-      C’est du charabia tout ça. Si je comprends bien, les avocats seront les seuls gagnants avec un projet aussi nébuleux.

HM-     Tu as raison Claude, les créateurs devront comme toi, devenir des habitués des tribunaux. Le bâtonnier du Québec, Gilles Ouimet, a même écrit récemment aux ministres Moore et Clement, les responsables du projet, pour s’inquiéter du libellé de plusieurs dispositions qui allait selon lui,  créer de l’incertitude juridique et encourager les recours devant les tribunaux.

CR-      Mais les créateurs pourront compter sur les sociétés de gestion pour les défendre ?

HM-     Tu sais si ce projet de loi passe tel quel, plusieurs sociétés de gestion seront dans une situation précaire. Toutes ces nouvelles exceptions auront un impact très considérable sur les créateurs mais également sur les sociétés de gestion qui assurent le respect de leurs droits. Par exemple, en coupant les redevances que les radiodiffuseurs paient actuellement aux sociétés de gestion pour reproduire des œuvres musicales et les mettre sur des serveurs afin de les diffuser ultérieurement,  les interprètes et les compositeurs perdront près de 20 millions $ annuellement. Les créateurs perdent non seulement des sommes qu’ils touchent déjà mais on les prive d’avoir accès à de nouveaux revenus.

CR-      Comment ça ?

HM-     Actuellement une disposition dans la Loi sur le droit d’auteur, te permet, pour tes propres fins, de reproduire des enregistrements musicaux sur une cassette ou un CD vierges. À chaque fois que tu achètes ce genre de support audio, quelques sous sont remis à la société de gestion qui s’occupe de la copie privée. Depuis une douzaine d’années, on a ainsi versé 180 millions de $ à plus de 97 000 auteurs, compositeurs, musiciens, interprètes et producteurs.

CR-      Des cassettes pour la musique? Je suis sûre que ta fille n’en a jamais vues.

HM-     Tu as bien raison et c’est pour ça que de moins en moins de redevances sont perçues. Mais ma fille possède un iPod et les créateurs de la musique demandent depuis des années que le même type de redevances leur soit versé lorsque quelqu’un reproduit ses CD sur son iPod.

CR-      Ça semble logique.

HM-     Ça l’est mais les ministres Clement et Moore rétorquent à chaque fois qu’ils ne veulent pas imposer une nouvelle taxe aux Canadiens.

CR-      Mais ce n’est pas une taxe !

HM-     Tu as raison c’est le paiement d’une licence pour obtenir à l’avance l’autorisation de transférer des œuvres sur un autre support. Les créateurs désirent plus que tout que leurs œuvres soient accessibles mais ils veulent aussi gagner leur vie et pour la majorité tu le sais, on ne parle pas de gros revenus.

CR-      C’est quoi la logique d’un tel projet qui fait perdre leur salaire à des créateurs? Tu crois que Moore et Clement accepteraient eux d’être privés de leur salaire ?

HM-     On peut toujours leur demander…Les ministres disent qu’ils veulent légaliser les utilisations courantes et non commerciales des œuvres. Que si les créateurs ne veulent pas qu’on utilise leurs œuvres, ils n’ont qu’à y mettre des verrous numériques. Mais les créateurs ne veulent pas verrouiller leurs œuvres, ils veulent qu’elles circulent en contrepartie d’une rémunération équitable.

CR-      Le gouvernement conservateur donne donc aux utilisateurs les œuvres des créateurs. C’est facile d’être généreux dans ces conditions-là. C’est comme dire aux gens qu’ils paieront moins cher leur panier d’épicerie mais oublier de leur dire que pour y arriver, on va arrêter de payer les agriculteurs. Et si on arrête de payer les agriculteurs, on ne produira plus rien chez nous.

HM-     C’est tout à fait ça.

CR-      On peut faire quelque chose pour dénoncer cette injustice?

HM-     Oui. On peut s’informer et on peut démontrer sa solidarité. Le site www.cultureequitable.org  contient de l’information, une pétition et un modèle de lettre à envoyer à son député.

Lire aussi : La lettre de Christian Bédard, Directeur général du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV)

Crédit Photo : Laurent Boursier.