Mise en marché et distribution des produits culturels : Mise en marché et distribution des produits culturels : Films du monde
Je pense que

Mise en marché et distribution des produits culturels : Mise en marché et distribution des produits culturels : Films du monde

En cette saison de blockbusters, Stéphanie Trépanier, fondatrice d’Evokative Films, nous rappelle que chacun est un peu responsable de la qualité de la programmation des cinémas d’ici.

Il y a presque 2 mois, j’ai publié une lettre sur Facebook traitant de la difficulté qu’éprouve le cinéma international à atteindre son public. La note a été abondamment partagée et commentée, a été ajoutée à des blogs et sites Internet, a fait le sujet d’éditoriaux et de podcasts. Pourtant, le film subséquemment distribué à Montréal, Down Terrace, a subi le pire échec de box-office de l’histoire de la compagnie. Serait-ce que seuls ceux qui font partie de l’industrie du film se sont intéressés au sujet, alors que c’est au public que je m’adressais? Peut-être que la publication de cette lettre dans Voir permettra finalement d’atteindre le bon public.

Depuis un bon bout de temps, de l’époque où j’attendais en ligne au festival Fantasia et plus tard faisant partie de l’équipe, j’entends un grand nombre de cinéphiles se plaindre du manque de films internationaux décents ici. Ils blâment les Méchants Distributeurs qui ne donnent pas l’attention nécessaire aux films qu’ils distribuent et déplorent tous les films qui ont été écartés, même après leur succès en festival, pour avoir été considérés Sans Potentiel Commercial par les Méchants Distributeurs. J’étais totalement d’accord avec ce discours.

J’ai fini par me dire: «N’y a-t-il pas un marché ici, des gens suffisamment passionnés par l’art qui apprécieraient que quelqu’un prenne en main de tels films? N’en seraient-ils pas heureux, ne soutiendraient-ils pas une compagnie qui irait à l’encontre de la mentalité des Méchants Gros Distributeurs en étant un Gentil Petit Distributeur?»

Je me suis donc lancée dans l’aventure, et parfois des gens d’expérience me disaient à quel point j’étais «courageuse» de travailler dans ce type de cinéma. Je répondais toujours avec assurance que je savais qu’il y avait un auditoire, seulement on ne l’avait jamais vraiment écouté convenablement.

J’ai donc commencé à sélectionner des films qui, selon moi, manquaient à notre paysage cinématographique. J’ai testé des films provenant de plusieurs pays et de nombreux genres pour voir ce qui trouverait le plus son public. J’ai dorloté ces films pendant des mois, les ai fait projeter dans des festivals pour amorcer le bouche à oreille le plus rapidement possible. Lorsqu’ils arrivaient à leur sortie en salle, nous recevions (majoritairement) des critiques extraordinaires, un lot d’étoiles, les textes affirmant qu’il s’agissait du meilleur film à voir au cinéma cette semaine-là. Nous faisions tout le bruit possible sur Facebook et par courriel afin de vous supplier d’aller les voir à leur premier weekend. Puis nous nous croisions les doigts tout ce weekend en attente des chiffres de box-office du lundi matin. Et ils arrivaient, désespérément bas, avec l’annonce que la salle devait cesser la projection du film à la fin de la semaine en cours. Le manque de disponibilité des écrans fait en sorte que les salles ne peuvent conserver à l’affiche un film qui performe faiblement dans l’attente que le bouche à oreille fasse son chemin. Nous pouvions être chanceux et obtenir une seconde semaine. Mais jamais une troisième.

Je me disais que tout n’était pas perdu, tout cet effort promotionnel aiderait la sortie du DVD un peu plus tard. Nous travaillions pendant des semaines afin de trouver des suppléments intéressants, créer les sous-titres et concevoir un design de pochette attrayant. Tous ces trucs sont beaucoup plus dispendieux qu’une simple sortie en boîte noire, mais je me disais que ça en valait la peine, afin de donner au film la sortie qu’il méritait. Puis il fallait vendre le film et j’ai rapidement réalisé que les acheteurs de la majorité des clubs vidéo et autres détaillants se soucient très peu du cinéma. Ils vendent des pommes et des oranges, et j’offrais un fruit de la passion qui risquait de pourrir sur la tablette par sa différence. C’était un investissement trop risqué pour eux. J’ai donc mis sur pied un magasin en ligne afin de contourner cette barrière à l’entrée et vous offrir directement les films, à des prix encore plus bas que ceux en magasin. Hélas, encore une fois, les chiffres n’ont pas été au rendez-vous.

Que se passe-t-il lorsqu’on n’atteint pas ses objectifs de vente? On perd de l’argent. Acquérir et distribuer des films est une opération dispendieuse, même lorsqu’on fait attention aux frais. J’ai été très chanceuse, car j’ai pu profiter d’un fonds personnel d’investissement qui m’a permis de démarrer mon entreprise. J’aurais pu m’acheter une belle maison, voyager à travers le monde ou faire des études supérieures avec cet argent. Mais j’ai décidé d’investir dans ma propre entreprise. Je n’espérais pas devenir riche, mais je ne pensais pas tout perdre non plus. Si c’était le cas, j’aurais pu le donner à une œuvre de charité avec des résultats plus bénéfiques d’un point de vue humain. Mais je croyais aux possibilités, et au cours des deux dernières années, j’ai supposé que si je n’arrivais pas à atteindre mes objectifs, c’est que je ne m’acquittais pas assez bien de ma tâche, que je n’avais pas encore choisi le bon film ou que la compagnie n’était pas encore assez connue, et que les choses s’amélioreraient avec le prochain film.

J’ai assisté récemment à une conférence sur la distribution de films où l’un des conférenciers parlait du marketing en ligne. Il disait qu’il y a deux façons de recenser son public: par sa quantité, soit le nombre de personnes qui nous suivent dans les différents médias, et par sa qualité, soit les gens qui vont réagir et poser un geste concret, par exemple commenter une nouvelle ou faire un achat. Si la quantité est élevée mais que la qualité est faible, vous avez un problème car votre public s’est endormi au volant. Et j’ai affronté une réalité que je repoussais depuis trop longtemps: mon public, vous, s’est endormi au volant. Il faut s’éveiller parce qu’on fonce dans un mur.

La triste vérité, c’est que la plupart des cinéphiles sont hypocrites. Ils aiment se plaindre de l’état lamentable de l’industrie du cinéma international, mais quand vient le temps de se déplacer dans une salle de cinéma au bon moment, ou d’acheter un DVD avant qu’il ne soit rendu dans les bacs à 15 $ et moins, ils se désengagent. C’est facile de se plaindre du manque de diversité au cinéma et dire que nous vivons dans une ère de stupidité culturelle où nous sommes envahis par les blockbusters américains. C’est plus demandant de faire les efforts nécessaires pour garder notre économie culturelle en vie.

Je vous pose donc une question: quelle est l’importance que vous accordez à une grande disponibilité de films internationaux de qualité? Si c’est très important pour vous, faites les efforts. Ne téléchargez pas. Allez au cinéma le premier weekend et contribuez au bouche à oreille à propos des films. Achetez les DVD et dites à vos amis de les louer. Nous sommes dans une économie de marché. Vos dollars votent. Vous êtes responsable de votre diversité culturelle. Le même principe s’applique pour l’état général de notre économie, de notre environnement et de nos questions politiques. Rien ne s’améliorera si chacun n’y va pas de son petit effort. Si ce n’est pas si important pour vous, alors conservez les choses telles qu’elles sont présentement. Je fermerai ma compagnie, comme plusieurs autres distributeurs indépendants devront le faire. Nous trouverons autre chose à faire, ne vous inquiétez pas pour nous. Mais n’allez jamais, plus jamais vous plaindre de la pauvreté des films offerts sur le marché, car vous aurez été en partie responsable de cette carence.

Pour l’amour du cinéma,

– Stéphanie Trépanier (Evokative Films)

Crédit photo : Robin Hart Hiltz