L'engagement social et politique des artistes : L'engagement social et politique des artistes : Heille l'artiste, va donc créer
Je pense que

L’engagement social et politique des artistes : L’engagement social et politique des artistes : Heille l’artiste, va donc créer

Le 30 novembre, il ouvrait son émission de radio par un chic «Heille l’artiste, va chier!» Dans le cadre de ce numéro qui donne la parole aux créateurs, Voir a aussi invité Denis Gravel, morning man no 1 à Québec, à développer son point de vue.

Dans la même semaine, plusieurs artistes subventionnés du Québec ont harcelé le travailleur de notre belle province sur plusieurs fronts.

– Ils ont pris l’autobus du show-business avec plusieurs fantômes du passé en direction d’Ottawa pour demander qu’on leur remette une taxe-redevance supplémentaire;

– Ils ont mobilisé plusieurs humoristes qui gagnent leur vie en riant des gens pour demander à nos enfants d’arrêter de rire des gens dans les cours d’école;

– Ils ont produit un beau petit vidéo pour nous faire peur sur le dossier de l’exploitation du gaz de schiste où le meilleur argument reste le mauvais acting à grands coups de «Heille, wô»;

– Ils ont exigé la démission des patrons du meilleur festival de musique en Amérique du Nord (le Festival d’été de Québec) à la suite de deux crimes horribles de leur part: la volonté de faire plaisir aux gens et le fait d’avoir dit «non merci» à des artistes qui voulaient profiter du succès dudit festival;

– Ils ont aussi demandé d’interdire la revente de billets de spectacles au Québec, tout en faisant eux-mêmes la publicité d’un site de revente qui permet aux gens d’aller voir les artistes qu’ils aiment au prix qu’ils sont prêts à payer (scandale!);

Chacun de ces sujets mériterait à lui seul un texte. On pourrait dire aux artistes qu’une taxe de plus est une drôle de façon de dire merci à ceux qui achètent leur musique légalement par voie virtuelle. On pourrait s’étendre sur le ridicule de vouloir materner nos ados alors qu’on ferait peut-être mieux de les préparer à la vraie vie, qui ressemble étrangement à une cour d’école. On pourrait rappeler à la clique des «Heille, wô» que toute action humaine a des conséquences et que l’exploitation du gaz de schiste est loin d’être la façon la plus polluante de profiter de nos ressources.

On pourrait, on pourrait.

Mais revenons-en au problème principal.

La création de l’art ne semble plus être une priorité pour ces artistes devenus protestataires chroniques. On préfère nous materner, nous faire la morale, penser à notre place et, ultimement, demander au contribuable qui remet déjà la moitié de sa paye en taxes et en impôts de payer encore plus.

Après tout ça, ne vous demandez pas pourquoi tant de gens ont le goût de hurler, comme moi: «Heille, l’artiste, va donc chier.» Ou plus poliment: «Heille, l’artiste, va donc créer.»

Non, tous les artistes ne sont pas dans le même panier. Mais vous remarquerez que ce sont souvent les mêmes qui sont de toutes les causes, de tous les enjeux. Dans nos médias, on leur accorde crédibilité et expertise, alors que sont laissés de côté les spécialistes. Un barrage à construire? On appelle Roy. Une forêt à exploiter? On va parler à Richard. Le gaz de schiste? Ah bien, Benoît a regardé Découverte la semaine passée. Et trop souvent, ces artistes veulent donner une impression inquiétante d’unanimité, citant le «nous, les artistes» comme une parole d’évangile.

Les autres? Peut-être sont-ils trop occupés à créer.

Pourquoi j’en ai contre certains artistes qui sont omniprésents dans nos médias? Parce que je n’aime pas l’art et que je suis un inculte qui rêve du jour où les artistes n’auront plus droit de parole? Heille, wô, comme dirait l’autre.

Je suis un consommateur d’art. Je vais voir une centaine de spectacles par année pour lesquels je paie de ma poche. J’achète aussi plus d’une centaine de CD par année, sans compter la musique que je télécharge légalement avec mon iPhone. Je choisis d’encourager les artistes que j’aime, qu’ils soient originaires du Québec, de l’Angleterre ou de l’Australie. J’éprouve le même plaisir à payer pour voir Malajube au Petit Champlain que pour assister au concert de Metallica dans notre vieux Colisée. Je suis un maniaque de musique, de cinéma et de jeux vidéo (je mets quiconque au défi de m’expliquer en quoi la série Assassin’s Creed, bâtie par Ubisoft Montréal, n’est pas une œuvre artistique accomplie). À CHOI Radio X, je me suis battu pendant des années pour l’émergence et la survie de la relève musicale indépendante, qui réussit loin de l’ADISQ et des subventions. Je crois tellement en l’art et au talent des artistes québécois que je crois qu’ils n’ont pas besoin de charité gouvernementale pour briller sur le monde. Le syndrome québécois du porteur d’eau, alors que des artisans d’ici possèdent Vegas et connaissent des succès planétaires, ça ne tient plus. Je crois en l’art qu’on choisit d’adopter et d’encourager. Gardez l’argent dans les poches des gens, des couples, des familles. Les Québécois sont suffisamment intelligents pour choisir eux-mêmes ce qu’ils vont consommer et ce qu’ils vont aimer.

Mais surtout, surtout, chers artistes de toutes les causes, arrêtez de vouloir penser à notre place. Donnez-nous un break. Entre les devoirs des enfants, les semaines de 50 heures à un salaire souvent insuffisant, vous semblez oublier que ceux qui vous font vivre déjà bien grassement en ont peut-être plein le dos de vous entendre vous plaindre. Travaillez donc davantage à essayer de nous sortir de nos vies monotones. Émerveillez-nous.

Et nous paierons volontiers pour vous voir, vous entendre. Plus cher, même.

Patrick Huard peut vendre ses billets deux ans à l’avance à des prix qui rivalisent avec ceux d’un match du Canadien et remplir ses salles. Pourquoi pas vous? Je serai toujours le premier dans une file d’attente à payer le gros prix pour de l’art que j’aime, et je serai fier de le faire. Les Québécois aussi. Et ils sont assez grands pour savoir eux-mêmes ce qu’ils veulent et ce qu’ils aiment. Créez. Vous en serez récompensés.

Et pour les autres? L’art restera un passe-temps, un hobby des plus méritoires. Et qui sait, peut-être que la reconnaissance et le succès viendront aussi frapper un jour à votre porte, à force de travail, de passion et de don de soi.

Merci à Voir Montréal de m’avoir offert ces quelques lignes pour exprimer mon humble point de vue.

– Denis Gravel, CHOI Radio X