Le scénariste coupé au tournage? : Le scénariste coupé au tournage? : L’angle mort du scénariste
Le 25 février 2011, à la suite d’un imposant battage publicitaire, sortait dans les salles de cinéma le long métrage Angle mort, qui raconte le cauchemar d’un couple de touristes québécois pourchassé par un tueur en série dans un pays d’Amérique du Sud. Le film est réalisé par Dominic James et produit par la compagnie Caramel Films. Mon nom apparaît au générique de ce thriller à titre de scénariste. Or, si Angle mort raconte dans ses grandes lignes une histoire proche de celle que j’ai écrite, j’ai tout de même eu peine à y reconnaître mon travail lorsqu’on m’a montré le film terminé, quelques jours seulement avant sa première présentation publique.
Pour commencer, le contexte social, économique et géographique du scénario n’a pas été respecté. Cela peut sembler anodin, mais lorsque sur papier une intrigue se déroule dans un parc national désertique d’un pays développé et qu’à l’écran le désert devient tour à tour un village fantôme et un abattoir de cochons dans un pays sous-développé, le résultat n’est pas le même d’un point de vue dramatique et esthétique. En outre, lorsqu’une scène de suspense est conçue pour tirer parti de l’habitacle feutré d’une berline de luxe, mais que la scène est transposée à l’écran dans une Lada décrépite, elle risque d’y perdre en vraisemblance.
Ensuite, le film contient des scènes que je n’ai jamais écrites, notamment celles de la location de voiture, de l’arrivée du couple à l’hôtel suivie d’une relation sexuelle ou encore la fuite des époux dans la porcherie. On retrouve même dans ce film des personnages qui n’ont jamais existé sur papier, comme ceux joués par Claire Pimparé et Sophie Cadieux. Quant aux dialogues, pratiquement aucun n’est vraiment fidèle à ceux du scénario, dont il ne reste à l’écran que quelques bribes.
Par ailleurs, plusieurs scènes du scénario ont tout simplement disparu, comme par exemple toutes celles qui expliquent le passé et les motivations du tueur. D’autres ont été profondément transformées ou dénaturées, au point où elles n’ont plus, à mon avis, l’impact dramatique ou l’authenticité que j’avais souhaités.
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que certains de ces changements sont imputables à un manque de budget et à des conditions de tournage difficiles. De toute façon, il y a toujours des différences entre un scénario et le film qu’on en tire. Toutefois, les considérations budgétaires ou techniques ne peuvent pas tout expliquer, ni tout justifier. Réécrire au complet une scène de dialogue entre deux personnages attablés dans un restaurant, ça devient un choix créatif. Lorsque cette réécriture est faite sans en informer le scénariste et certainement sans obtenir son consentement, ça devient problématique. Surtout si le nouveau dialogue transforme les enjeux dramatiques prévus à l’origine dans le scénario.
Cette situation n’est pas la première du genre à survenir dans l’industrie du cinéma. Je crois pourtant nécessaire d’informer le public et mes pairs que ce film, peu importe ses qualités ou ses défauts, n’est pas celui que j’ai écrit.
Martin Girard
Scénariste
Et si le contraire s’était produit?Si le film était un immense succès,diriez-vous la même chose?
Les artisans d’un film ont toujours le choix de retirer leur nom aux crédits d’un projet, et ce tout au long du processus. Vous avez eu amplement le temps de réagir avant la sortie du film, alors pourquoi maintenant?
Notre J.D. Shapiro québécois!
@Denis LaRocque : J’imagine que c’est fâchant de se faire casser son travail dans toute situation, succès ou non. S’il y a succès (critique et/ou public), évidemment, il y a moins de chance qu’on en entende parler, mais les artisans du film, eux, peu importe le cas risquent de le savoir!
@Denis LaRocque: votre question est intéressante et voici mon point de vue en tant que scénariste. Il n’aurait probablement pas fait de sortie publique, mais pour deux bonnes raisons. 1- l’atteinte à sa réputation serait beaucoup moins importante parce que son nom ne serait pas associé à un désastre à la fois critique et commercial. 2- les gens de Remstar aurait alors prouvé que leur propre vision du cinéma est assez développée pour se permettre de tenir à l’écart le scénariste du film qu’ils produisent. C’est moins nécessaire dans ce cas d’alerter les autres scénaristes qui pourraient éventuellement avoir à travailler avec eux. De toute évidence, ce n’est pas le cas.
@Catherine: C’est très facile pour un producteur de tenir un scénariste à l’écart. Si, comme il le dit, on ne lui a permis de voir le film que quelques jours avant la première, il ne lui restait plus vraiment le temps pour réagir…