Bertrand Cantat au TNM : Bertrand Cantat au TNM : Bertrand Cantat au TNM : Libre ou pas?
Je pense que

Bertrand Cantat au TNM : Bertrand Cantat au TNM : Bertrand Cantat au TNM : Libre ou pas?

Lorraine Pintal, qui vient de dévoiler la programmation 2011-2012 du Théâtre du Nouveau Monde, institution dont on souligne cette année le 60e anniversaire et dont elle est la directrice, nous a adressé cette réflexion au sujet de la polémique Bertrand Cantat.

Concocter une programmation pour la saison d’un théâtre qui s’apprête à célébrer son 60e anniversaire comporte ses zones de rêves et de risques. Parmi les rêves, il y a celui de réunir sur notre scène des raconteurs d’histoires qui s’abreuvent autant à la pensée de Molière, de Réjean Ducharme, de Feydeau, de Shakespeare et de Sophocle et des artistes d’ici et d’ailleurs qui viennent nourrir de leur imaginaire ces univers multiples.

Parmi les risques, il y a celui de présenter des productions dont la vision artistique nécessite des choix qui heurtent notre système de valeurs sur lequel s’appuient notre démocratie et notre sens de la justice. Le cycle Des femmes de Sophocle, que mettra en scène cet été Wajdi Mouawad pour le Festival d’Athènes et celui d’Avignon et qui s’installera au TNM en mai et juin 2012, fait déjà partie de ces décisions controversées puisqu’il impliquera Bertrand Cantat à titre de compositeur et de musicien. Le passé criminel de Bertrand Cantat, qui a causé la mort de sa conjointe la comédienne Marie Trintignant en 2003, lui colle encore à la peau comme une tache de naissance. La mémoire collective est puissante et c’est sans doute pour cette raison que l’annonce de sa présence sur la scène du TNM a causé un tel émoi.

Depuis le dévoilement de la saison, je me suis refusée à jouer le rôle du deuxième juge puisque le procès de Bertrand Cantat a bel et bien eu lieu et qu’un juge et des jurés l’ont condamné pour homicide involontaire, qu’il a purgé sa peine, a été libéré par la suite et tente depuis de réintégrer la société en portant publiquement l’odieux de son geste et en payant chaque jour le prix de sa culpabilité.

Loin de moi l’idée de banaliser la violence impardonnable dont il a fait preuve à l’égard de Marie Trintignant ni les torts inexcusables qu’il a causés à sa famille; loin de moi l’idée d’inviter le public à applaudir un criminel sur la scène du TNM. Je tiens simplement à poser les questions suivantes: si l’on est contre la peine de mort qui mettrait une fin irrémédiable au lourd passé d’un criminel, comment fait-on pour faciliter sa réhabilitation? Comment fait-on pour l’aider à réintégrer la société et à retrouver une certaine dignité? Comment fait-on pour lui donner une deuxième chance?

Je ne peux répondre seule à ces questions cruciales. Je suis peut-être trop idéaliste, mais j’ai cru profondément qu’en invitant le public à découvrir la vision de Wajdi Mouawad des grands personnages féminins de Sophocle, l’œuvre primait par-dessus tout. La réalité me rattrape et par respect pour l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde qui se montre solidaire dans les choix accomplis, je ne peux qu’y faire face avec sincérité et honnêteté en invitant le public à faire la part des choses et s’ouvrir à l’acte théâtral qui lui est proposé.

– Lorraine Pintal, directrice artistique et générale du Théâtre du Nouveau Monde

Merci à Mathieu Poulin de laswompe.com pour le montage photo