Élection fédérale 2011 : Majorité conservatrice appréhendée : Élection fédérale 2011 : Majorité conservatrice appréhendée : Péril en la demeure
Je pense que

Élection fédérale 2011 : Majorité conservatrice appréhendée : Élection fédérale 2011 : Majorité conservatrice appréhendée : Péril en la demeure

À dix jours des élections fédérales, nous vous proposons un «Je pense que» un peu particulier, un texte rédigé en tandem en réaction au triste spectacle auquel assistent, en ce pays, ceux qui ont encore à cœur les notions de démocratie, de vision politique et de liberté d’expression.

Nous sommes deux jeunes dans la trentaine qui ne partagent pas les mêmes opinions politiques. Tristan est souverainiste. Simon croit qu’il est encore possible d’aménager une réelle confédération canadienne. Nous travaillons cependant ensemble, au sein d’une entreprise vouée à la diffusion culturelle.

Il n’en faut pas davantage pour être suspectés par certains d’être des gauchistes membres de la Clique du Plateau. Et pourtant, notre entreprise publie un hebdomadaire francophone dans six régions du Québec, un hebdomadaire anglophone à Montréal, un autre à Ottawa et réalise une émission de télévision témoignant des différents courants de la culture au Québec et ailleurs au Canada.

Nos collègues et nous faisons preuve, il nous paraît difficile d’en douter, d’une ouverture à l’autre, d’un parti pris pour le dialogue.

Oui, nous sommes politiquement différents, mais nous défendons des valeurs communes: la liberté d’expression, la libre circulation des idées, la liberté de presse, la liberté d’association. Ces valeurs ne sont ni fédéralistes, ni souverainistes. Ce sont des valeurs libérales, au sens fort du mot, et nous voyons dans les mouvances politiques actuelles de bonnes raisons de croire qu’elles sont en péril.

Une liberté dénaturée

N’hésitons pas à les pointer du doigt. Nous parlons de certains animateurs de radio et chroniqueurs de la presse écrite pour qui le sens du mot liberté se limite au droit de dire tout ce qui leur passe par la tête. Nous parlons de regroupements tels que le Réseau Liberté-Québec, pour qui la liberté se résume à la vague dénonciation des gauchistes de Montréal, des souverainistes, des journalistes, des travailleurs culturels, des environnementalistes et des syndicats. Nous parlons aussi, et surtout, du Parti conservateur du Canada, qui trouve dans ce discours un terreau électoral fertile et une voix médiatique inespérée.

On nous promet moins d’État, moins de taxes, moins d’impôts, moins de subventions mais aussi moins de cotisations… Voilà qui suffit pour séduire ceux qui croient que «liberté» est synonyme de «dépenser». Comme si l’exercice de la citoyenneté se résumait à la simple gestion d’un portefeuille.

Il y a de quoi s’indigner à entendre ces protagonistes de droite se faire les hérauts de la «liberté» pour mieux dissimuler un conservatisme, un conformisme et un traditionalisme flirtant avec le fondamentalisme religieux. Si on nous promet plus d’argent et moins d’État, jamais la tendance d’un gouvernement à intervenir dans les libertés individuelles et la vie privée des citoyens ne nous est apparue plus menaçante.

Jamais, depuis la Révolution tranquille, un parti politique ne s’est approché plus près de la négation de la liberté. Au cours de la présente campagne, Stephen Harper a simplement refusé de répondre aux questions des journalistes, son département des communications se contentant d’envoyer chaque semaine des dizaines de communiqués de presse dépourvus de toute substance («Le PM Harper et son épouse Laureen font de la motoneige en compagnie d’enfants», se borne à dire l’un de ces communiqués, reçu le 18 avril).

Des citoyens qui désiraient participer à des assemblées du Parti conservateur s’en sont vu refuser l’accès. Les raisons? L’une avait diffusé une photo avec Michael Ignatieff dans son album Facebook, une autre avait participé à des activités environnementalistes. Ce ne sont que deux cas. Avant de reconnaître ces faits troublants, Stephen Harper se contentait de répondre par une boutade: «Mieux vaut refuser des gens que ne pas être capable d’en attirer.»

Il faut bien prendre la mesure de ces faits et le sens des propos de l’actuel premier ministre: les conservateurs menés par Stephen Harper nient la liberté de presse, tandis que ceux qui usent de leur liberté d’expression et d’association sont tout simplement écartés du débat politique.

Telles sont les rides au visage du conservatisme et du conformisme. Toute opposition est suspecte, toute dérogation à la loi et l’ordre du Souverain est passible d’exclusion. Mais il y a pire: de ce conservatisme émane un parfum de plus en plus fort de fondamentalisme religieux.

Il y a plusieurs années maintenant qu’on craint d’assister à une réplique chez nous de ce qui gangrène la politique aux États-Unis: l’influence de la droite religieuse sur le débat public. Là-bas, les fous de Dieu n’ont aucun mal à agir directement sur les rouages politiques (on sait en outre que les créationnistes ont l’oreille de décideurs influents, eux qui croient dur comme fer que les dinosaures et les hommes se côtoyaient tranquillement sur la Terre il y a 4000 ans).

De ce côté de la frontière, nous nous consolons en disant: «Mais pas chez nous, voyons…» Nous tenons la laïcité pour acquise. Et pourtant.

Nous sommes-nous assez inquiétés, en 2009, de l’ambiguïté de la réponse du ministre d’État (Sciences et Technologie) Gary Goodyear, qui répondait par cette formule énigmatique à un journaliste lui demandant s’il croyait en la théorie de l’évolution: «Je suis chrétien et je ne crois pas que ce soit approprié de me poser une question sur ma religion»?

Avons-nous bien compris Stephen Harper qui, en 2005, face à ceux qui déclaraient que le mariage gai allait à l’encontre de la création de Dieu, n’hésitait pas à déclarer qu’ils étaient porteurs des «vraies valeurs canadiennes»?

Nous sommes-nous assez étonnés que des groupes évangélistes de tout acabit influent sur les positions politiques du Parti conservateur, y voyant un climat favorable à leurs préjugés contre les homosexuels, l’avortement et tous ceux qui ne partagent pas leur confession?

Les protagonistes de droite proclamant la liberté sur leur plaque de voiture n’hésitent jamais à dénoncer les extrémismes religieux des autres. Pourquoi ferment-ils les yeux sur le fondamentalisme qui pénètre les bases du Parti conservateur?

L’enjeu du 2 mai 2011

Une idée circule de plus en plus dans les cercles souverainistes, cette idée voulant qu’un éventuel gouvernement conservateur majoritaire entraînerait certaines des fameuses «conditions gagnantes» nécessaires au déclenchement d’un processus référendaire sur l’avenir du Québec.

À l’opposé, il se trouve des fédéralistes pour penser qu’un gouvernement conservateur majoritaire pourrait assurer une certaine unité canadienne.

L’un comme l’autre, nous jugeons ces théories non seulement opportunistes, mais aussi carrément malsaines. À l’ère où les courants de pensée politiques se résument à des slogans et à du marketing clientéliste, nous refusons de brader nos idéaux démocratiques dans quelque calcul stratégique, dans l’unique but de faire mousser telle ou telle option. La liberté et l’égalité des citoyens ne sont pas des valeurs négociables.

Avancer dans cette voie marquerait un recul pour les deux options: autant le projet d’une confédération canadienne renouvelée que celui de la souveraineté du Québec s’en trouveraient ternis, affaiblis. Car ces deux projets reposent sur une base libérale. Que nous penchions pour l’un ou pour l’autre, ils ne sauraient exclure tel ou tel groupe d’individus selon des critères religieux et encore moins la liberté d’expression et d’association.

Qu’on nous comprenne bien: nous sommes ouverts à un débat sur la réduction de la taille de l’État, il nous apparaît sain de questionner le rôle et le poids politique des syndicats tout comme il nous semble fondamental de remettre en question le pouvoir, parfois démesuré, des empires de la finance. Que nous soyons fédéralistes, souverainistes, de droite ou de gauche, nous ne pouvons, selon nous, accepter qu’un simulacre de liberté fragilise les acquis du passé.

Le conservatisme et le fondamentalisme ne représentent en aucun cas des avenues orientées vers l’avenir.

Nous invitons tous nos concitoyens canadiens à ne pas voter, le 2 mai prochain, pour le Parti conservateur.

Simon Jodoin
Chroniqueur et directeur du développement des nouveaux médias au Voir

Tristan Malavoy-Racine
Rédacteur en chef au Voir