Montée de la droite et inaptitude de la gauche : Montée de la droite et inaptitude de la gauche : Inquiétez-vous
Citoyen, payeur de taxes, Daniel Giguère dessine un impitoyable portrait de la nouvelle droite, mais il écorche aussi rudement une gauche inapte, en décalage avec le réel, dans un texte dense où il cite Finkielkraut et évoque le souvenir d’un socialisme conservateur à la Mitterrand.
L’ADQ, dont le congrès se tenait ce week-end, avait convié ses membres à un buffet à volonté, offrant un avant-goût d’un gouvernement de droite à saveur toute québécoise, ce qui n’avait rien de bien rassurant. Selon ce que j’ai pu lire ici et là, il était proposé, entre autres choses, de privatiser Hydro-Québec, de légiférer pour retirer aux centrales syndicales leur droit de parole public, lequel est tout à fait démocratique, faut-il le préciser.
«Lâchés lousses dans la nature», pour reprendre une expression toute québécoise, les porte-paroles de la nouvelle droite expriment leurs souhaits sur toutes les tribunes, qui vont, pour l’un, à l’extermination souhaitable du Bloc, et pour l’autre, au retrait pur et simple du mécénat public. Dans ce dernier cas, une seule idée domine, comme un mantra aux effets vaporeux. Laisser le libre marché faire son travail.
La culture québécoise, malgré sa remarquable créativité, saurait-elle survivre dans la mer anglo-saxonne sans l’aide de l’État? Pour la droite, c’est le moindre de ses soucis.
L’excellence n’est pas un produit de consommation comme les autres. Dans bien des cas, et l’histoire l’a démontré plus d’une fois, la qualité et l’originalité ne rejoignent pas toujours leurs publics, question de timing, comme dirait l’autre. Rien d’élitiste là-dedans, mais si cela devait être, je l’assumerais sans problème.
Sans le Conseil des Arts du Canada, le ministère du Patrimoine canadien et la SODEC, l’un des plus grands philosophes modernes, et j’ai nommé Charles Taylor, ne serait pas traduit en français. Pourrions-nous vivre sans ses livres? Bien entendu. Mais une fois son œuvre connue et reconnue, n’a-t-on pas la responsabilité morale de lui permettre une plus large diffusion possible, à défaut de le lire?
Les grands ténors de la droite n’ont-ils pas eu, eux aussi, quelques grands penseurs dont les œuvres, essentielles sans doute, ne pouvaient en termes de vente se comparer aux produits de masse? Fallait-il pour autant leur interdire les subventions?
En lisant certains commentaires sur le blogue de Simon Jodoin, lequel revenait sur la question du mécénat public – à la suite du texte de Nathalie Elgrably-Lévy –, j’ai pu observer comme une tendance lourde, sorte de bruit de fond qui résonne comme un acouphène dont on n’échappera plus. La culture est désormais une question purement mathématique. L’art est un produit de consommation comme les autres. En conséquence, comme le disait Alain Finkielkraut (intellectuel de droite, avec qui pourtant j’ai beaucoup de points en commun), «la pensée calculante découvre l’utilité de l’inutile, investit méthodiquement le monde des appétits et des plaisirs, et, après avoir ravalé la culture au rang des dépenses improductives, élève maintenant toute distraction à la dignité culturelle: nulle valeur transcendante ne doit pouvoir freiner ou même conditionner l’exploitation des loisirs et le développement de la consommation1».
Un peu plus loin, il lance cette attaque: «[…] l’intellectuel contemporain s’incline devant la volonté de puissance du show-business, de la mode ou de la publicité, et la transformation extrêmement rapide des ministres des Affaires culturelles en gestionnaires du délassement ne suscite, de sa part, aucune réaction2.»
La qualité d’une œuvre (qu’on nomme désormais coup de cœur) semble obligatoirement proportionnelle à la quantité vendue. Le travailleur (et j’en suis!), à qui on arrache son argent si chèrement acquis pour financer les «artisses», se révolte contre cette mainmise d’un État aux tendances ouvertement socialistes, diront-ils le plus sérieusement du monde.
Nicolas Dickner, lui, s’intéresse assez mollement à la question. Il lui suffit, semble-t-il, de mettre sur la table l’étude du Forum international sur l’économie créative pour considérer le débat clos.
Erreur, bien entendu. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Les études sont contestées, sujettes à la suspicion de la droite qui ne reculera devant rien pour discréditer tout travail prouvant le nécessaire investissement de l’État dans la culture.
Pendant ce temps, nos chroniqueurs, parmi les meilleurs, se contentent de raconter leur quotidien, creusant toujours le même sillon, celui de la désespérance, entrecoupée parfois de quelques moments de bonheur. Ils n’appellent pas à la révolte, à la prise de conscience, eux-mêmes n’ayant pas cette ambition.
La gauche, en conséquence, serait-elle le rempart face aux adeptes de la tronçonneuse? Pas dans les conditions actuelles. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est principalement parce qu’elle a fait preuve d’un laxisme incroyable en banalisant l’excellence, tout autant en culture, en éducation, que dans les finances publiques. Et quand les représentants syndicaux, gens du bel âge comme dirait la pub, se présentent devant nous avec un discours digne des années 70, je hurle! Comment peut-on être aussi déconnecté de la réalité et croire encore détenir la vérité suprême alors que les fondements mêmes de notre identité en tant que nation sont désormais remis en question? Allons-nous laisser encore longtemps Amir Khadir parler en notre nom? Un homme sans doute aux nobles intentions, mais dont les délires frisent parfois l’intolérance et le racisme.
Une dernière citation du philosophe français.
«À la différence de toutes les autres figures répertoriées de l’humain, l’homme démocratique se conçoit lui-même comme un être indépendant, comme un atome social: séparé à la fois de ses ancêtres, de ses contemporains, et de ses descendants, il se préoccupe, en premier lieu, de pourvoir à ses besoins privés et il se fait l’égal de tous les autres hommes3.»
En laissant le populisme s’élever au rang des dignes penseurs d’une société nouvelle – et enfin débarrassée de son maillon le plus faible, la gauche bien entendu –, celui-ci met en place tous les ingrédients pour aplanir la nécessaire réflexion, laquelle ne peut s’offrir le luxe de mettre les intellectuels sur la touche. Mais ceux-ci, allez savoir pourquoi, se retranchent dans le silence, comme si la connaissance était maintenant une tare.
Pour finir, je vous renvoie à l’excellent papier de Christian Rioux sur François Mitterrand, paru dans Le Devoir du samedi 14 mai.
«J’irais jusqu’à dire qu’il était (Mitterrand) d’une gauche qui savait être conservatrice. N’ayons pas peur du mot! De ce ”conservatisme éclairé” dont nous entretenait récemment Nathanaël Dupré La Tour dans un très beau livre intitulé L’instinct de conservation (éditions Le Félin). […] Il ne s’agit pas d’un conservatisme du refus ou de la mélancolie, encore moins de la réaction, mais d’un conservatisme qui, contrairement à cette gauche libertaire sans racines qui prétend chaque fois tout reconstruire à zéro, prend garde de préserver ce qui, dans le passé, peut rendre l’avenir possible. D’où l’importance que Mitterrand accordait à l’histoire, aux traditions, à la transmission, à la culture classique et tout particulièrement à la littérature.»
Paradoxalement peut-être, il faut convier la gauche à entrer dans la modernité en se faisant les défenseurs de l’excellence et de l’histoire. Si cela ne se fait pas, le populisme aura de très beaux jours devant lui.
Inquiétez-vous.
– Daniel Giguère
[1] Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Folio, p. 162.
2 Ibid.
3 Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Folio, p. 163-164.
Sauf erreur j’appartiens à la caste des «gens du bel âge». Cet état inévitable, j’essaie de bien l’assumer. Et surtout cela ne m’empêche pas d’entériner et de savourer les propos de Daniel Giguère, propos que je trouve brillants et pertinents, propos dont la justesse ne peut que me réjouir.
Il est vrai que l’actuelle situation est déprimante et peu réjouissance. Et le laxisme de la gauche nous amène quasiment à vivre dans un climat de stagnation et d’immobilisme.
Comme je le disais dans le blogue de Simon Jodoin (je vais donc me répéter un peu), nous sommes dans l’ère du post-communisme et dans l’époque de l’ultra libéralisme conquérant et souvent méprisant pour diverses catégories de la population comme les pauvres ou les artistes «inutiles» dont le travail n’est pas rentable, n’est pas source de profit.
En fait, le communisme totalitaire était basé sur l’idée que la totalité des activités humaines devait être contrôlée, guidée et vérifiée par L’ÉTAT-TOUT.
Depuis l’effondrement presque total du bloc communiste, les ultralibéraux, les assoiffés du pouvoir et du fric, ont repris du poil de la bête. Alors, fini le règne de l’État totalitaire et vive le nouveau règne, celui du profit totalitaire, celui de la privatisation maximale.
En fait, si je me laisse aller à mes réactions de sociologue (cela fait une quarantaine d’années que j’ai terminé mes études universitaires en socio), je dirai que ce qui m’angoisse, c’est l’éclipse, bien pensée, de la société et de la vie sociale. Parallèlement à cela il y a la prépondérance absolue, pour ne pas dire absolutiste, de l’économie, de la sphère économique, laquelle écrase la sphère sociale, la sphère culturelle et la sphère de l’État.
Je rappelais dans le blogue de Jodoin que Margaret Thatcher qui a été, pendant longtemps, la 1ère ministre du Royaume-Uni affirmait, très sérieusement, que LA SOCIÉTÉ N’EXISTE PAS.
D’ailleurs, si je me permets une certaine redondance, je présente ici un extrait significatif d’un discours de Thatcher.
VOICI DONC CES PROPOS DE LA «LIBERTARIENNE» THATCHER:
*****
Epitaph for the eighties? ‘there is no such thing as society
« I think we’ve been through a period where too many people have been given to understand that if they have a problem, it’s the government’s job to cope with it. ‘I have a problem, I’ll get a grant.’ ‘I’m homeless, the government must house me.’ They’re casting their problem on society. And, you know, there is no such thing as society. There are individual men and women, and there are families. And no government can do anything except through people, and people must look to themselves first. It’s our duty to look after ourselves and then, also to look after our neighbour. People have got the entitlements too much in mind, without the obligations. There’s no such thing as entitlement, unless someone has first met an obligation. »
Prime minister Margaret Thatcher, talking to Women’s Own magazine, October 31 1987
*****
Moi, je pense qu’ils sont nombreux à partager une telle attitude et je crois savoir que notre premier ministre actuel, réélu avec une majorité de sièges, partage cette doctrine «libertarienne». Harper est l’un des «penseurs» de l’école intellectuelle de Calgary et ces gens-là ont un programme et une perspective, tout comme les anciens leaders du communisme avaient leur programme et leur perspective.
Je pourrais, au risque d’ennuyer les lecteurs, en dire plus, développer ma modeste analyse mais étant ces jours-ci dans un état de santé précaire, je vais m’arrêter là en soulignant que j’aime bien lire Finkielkraut et en disant à quel point une personne comme moi (j’ai presque 68 ans) qui a beaucoup agi et pensé à gauche se sent actuellement un tantinet déprimé et cherche des pistes pour un avenir meilleur. Je pense aux jeunes et aux enfants (ma petite-fille a 9 ans) et je me dis qu’il ne faut pas leur promettre le meilleur des mondes. Toutefois nous devons mettre en place les attitudes, les mentalités, les structures et institutions qui vont freiner la montée d’une droite dangereuse, vorace et dévastatrice.
Je termine pour de vrai en disant à Daniel Giguère que son texte est ce que doivent être les bons textes: il est lucide, clairvoyant, lumineux et il ouvre les portes sur un essentiel effort de réflexion, d’analyse et d’action.
MERCI!
Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias
L’article aurait été plus compréhensible avec un titre différent:
« La Gauche étant inapte, il ne faut pas s’étonner de la montée de la Droite »
pour contrer cette « peur » de le dire , je vais le répéter 3 fois:
La Gauche est inapte d’où la montée de la Droite
La Gauche est inapte d’où la montée du Populisme
La Gauche est inapte quand elle définit le corporatisme syndical et le maternage de la « gratuité » comme le véhicule de la « transcendance »social