Lettre de Victor-Lévy Beaulieu à l’occasion du gala des Gémeaux : J’aime moins la télévision qu’avant
Alors qu’il annonçait ce matin qu’il ne se rendrait pas au Grand Prix de l’Académie du cinéma et de la télévision, Victor-Lévy Beaulieu nous a fait parvenir cette lettre dans laquelle il nous explique pourquoi il aime moins la télévision qu’avant.
J’aime moins la télévision qu’avant. Je trouve qu’elle ressemble à ce qui est survenu à la Ligue nationale de hockey quand celle-ci s’est lancé dans une expansion déraisonnée, avec le résultat qu’on connaît : un sport qui n’en est plus un parce qu’animé par un trop grand nombre de joueurs sans véritable talent qui se servent de leur bâton de hockey comme d’une arme et de leurs corps comme d’un char d’assaut. Une violence toute américaine dont l’accomplissement parfait est celui de tous ces sports dits extrêmes où l’on voit des hommes et des femmes encagés, se frappant de coups de poing et de coups de pied, au grand plaisir d’une foule devenant hystérique quand le sang jaillit.
J’aime moins la télévision qu’avant. Depuis la multiplication des chaînes et sa concentration entre les mains de quelques propriétaires, on ne peut plus parler vraiment de qualité : le petit écran est devenu un gigantesque fourre-tout dont la médiocrité saute aux yeux dès qu’on a le courage de passer une journée devant son téléviseur. C’est que la télévision ne pense plus guère, elle se contente de plus en plus de réfléchir comme un miroir ce qu’elle croit que la société est devenue : un ramassis de faits divers que rien ne relie entre eux, sinon la bonne conscience de ses animateurs qui croient qu’en agissant ainsi, ils vous apportent la démocratisation de la télévision. Tout le monde y a désormais droit de parole, et davantage ceux qui sont tordus que les gens de santé, davantage ceux qui sont malades, paumés, imbéciles, détraqués ou devenus légumes que les citoyennes et les citoyens débordant d’un trop-plein de vie.
J’aime moins la télévision qu’avant. Je trouve qu’elle est devenue bien tonitruante : même ceux qui animent les bulletins de nouvelles ne cessent pas de me crier par la tête. Et que dire de tous ces animateurs de foules qui croient qu’un quizz et qu’un show dit de variétés ne peuvent pas exister sans qu’on ait toujours les baguettes en l’air et la voix à l’avenant!
J’aime moins la télévision qu’avant. Et moins aussi les chroniqueurs qui ont pour métier de me parler d’elle. Ils n’en ont plus que pour le vedettariat : un pet d’André Angelil, la désintoxication d’Éric Lapointe, le divorce des uns et le rabibochage des autres, Danny Turcotte qui joue le fif auprès d’André Boisclair et Guy A. Lepage qui fait une montée de lait, c’est maintenant ce qu’on appelle de la nouvelle et le bon peuple doit en savoir le long et le large. C’est que le monde des vedettes et celui des chroniqueurs forment une société fermée, qui ne s’adresse plus vraiment au monde, mais à elle seule.
J’aime moins la télévision qu’avant. Parce que les émissions dites sérieuses sont devenues les laissés-pour-compte du petit écran. On n’en parle pour ainsi dire jamais. Par exemple, La semaine verte célèbre cette année la quarantième année de son existence et ses concepteurs ont produit quatre merveilleuses émissions qui nous montrent, non seulement son évolution, mais celui de toute la société québécoise. Aucun de nos chroniqueurs n’en a dit un mot. Il en va de même pour Découverte, Planète science, Super science et la plupart des grands reportages que diffuse la chaîne RDI. Qui sait ce que sont Les agents du changement, une formidable série sur l’écologie, le développement durable et cette transvaluation de toutes les valeurs qui fut si chère à Friedrich Nietzsche?
J’aime moins la télévision qu’avant. Ses archives sont pleines de trésors, qu’on aurait grand intérêt et grand plaisir à revoir. Mais ça demanderait du travail, donc de l’argent à investir, et nos grands diffuseurs ne veulent ni de l’un ni de l’autre. Pour la centième fois, on a droit à Scoubidou, à Ma sorcière bien-aimée, à C.S.I. Miami, à La petite maison dans la prairie, à Beverly Hills ou à FBI, flic ou escroc. On peut désormais passer toute sa journée devant son téléviseur à ne voir que ce qu’il y a eu de moins bon à la télévision américaine des années 1960 à 1980.
J’aime moins la télévision qu’avant. On y parle de moins en moins bien notre langue, on l’écrit comme si elle ne nous appartenait déjà plus. Sur ces fils de presse qui défilent au bas de nos petits écrans durant les bulletins de nouvelles, on y fait une faute à tous les cinq mots et personne ne semble s’en préoccuper étant donné que ça ne cesse pas de passer et de repasser inlassablement.
J’aime moins la télévision qu’avant. Depuis qu’elle n’est plus nationaliste, mon être identitaire s’y perd. Dans certains bulletins de nouvelles de la télévision de Radio-Canada, pas moins du tiers qui s’y dit l’est souvent en anglais, puisqu’on n’y traduit plus rien. On peut bien élire dans le comté francophone de Berthier-Maskinongé une unilingue anglophone et l’y accueillir à bras ouverts : n’est-elle pas le nouveau rêve qui nous habite depuis que nous ne sommes plus nationalistes parce que nous avons mis au vestiaire notre être identitaire?
J’aime moins la télévision qu’avant. Tandis que le rêve américain s’effondre, nous importons des États-Unis de plus en plus d’émissions et de films dont on ne prend même plus la peine de traduire les génériques ni les titres (par exemple, The Price is Right). Avez-vous regardé une seule fois Qui perd gagne, cette émission sur des obèses étatsuniens qui sont récompensées quand ils maigrissent et punis quand ils ne maigrissent pas? Au-delà de toute indignité c’est!
J’aime moins la télévision qu’avant. Les publicités, notamment sur la bière, me rendent honteux. Non seulement on y représente toujours la femme comme un objet à consommer au même titre que le houblon, mais la firme Sleeman, sous le prétexte de nous raconter les commencements de la brasserie, nous amène dans le Chicago d’Al Capone, mitraillettes et tueries à la clé. Ce n’était pas bien, nous dit le commentateur de la chose, mais quelle bonne bière cela nous a donné! Mais il y a pire. De plus en plus, notre société se sert des enfants pour mieux vendre ses produits. Je pense notamment à cette publicité qui nous montre un tout jeune garçon qui nous vante la voiture qu’il vient d’acheter et qu’il considère comme sa maison, y jouant, toutes portières accessibles, sans qu’on exerce la moindre surveillance auprès de lui.
J’aime moins la télévision qu’avant. On y privilégie les films américains et les films québécois qui leur ressemblent. Sauf exceptions (celle d’André Forcier notamment), je ne trouve maintenant qu’une différence entre le cinéma américain et le nôtre : alors que le drapeau américain flotte partout et souvent dans tout film hollywoodien, on ne voit jamais le fleurdelisé dans notre cinéma. Rien d’autre qu’un hasard?
J’aime moins la télévision qu’avant. Parce qu’elle ne nous invente plus, elle nous évente. Parce qu’elle ne nous invente plus, elle nous éventre. De quoi comprendre que mon nationalisme et mon être identitaire en saignent comme cochon qu’on égorge.
–Victor-Lévy Beaulieu
M. Beaulieu, Je n’oserais dire que vous m’enlevez les mots de la bouche, n’ayant pas la plume que vous avez, mais je suis à 100 % d’accord avec vous. Et je crois que la radio va imiter sa petite soeur bientôt …
Merci monsieur Beaulieu.
Cela fait maintenant deux ans que j’ai complètement rayé la télévision de ma vie et je dois avouer que je remarque les effets bénéfiques que cela me rapportent. Je suis désormais adepte de la radio de radio -Canada. Très heureux qu’il existe encore une chaîne de diffusion sans publicité abordant une panoplie de sujet intéressant. Mais aussi, je suis indigné. Comment peut-on accepté qu’en moyenne les canadien écoute la télévision 3h par jour !? Trois heures de vide tous les jours; ça l’endort une population profondément !
J’ai toujours été très sélective dans mon choix d’émissions de télévision et malgré tout, depuis quelque temps, je songe sérieusement à sortir cet appareil de mon foyer. Aussi, j’écoute de moins en moins la radio. J’étais une fidèle auditrice de 95,1. Maintenant j’écoute Espace Musique, mais plus souvent qu’autrement j’opte pour le silence.
Je soussigne, en soulignant que la démocratisation de la télévision nous a été volée par les marchands, par ceux qui vendent du « temps de cerveau disponible » et par ceux qui l’achètent afin de faire de tous des machines è consommer, des machines dépossédées de leurs propres vies et de leurs propres rêves.
Parce que la bêtise est devenue reine sur nos grands écrans « plats », je consacrais déjà peu de temps à la télé et beaucoup de temps aux livres. Aujourd’hui, cher Victor-Lévy, je ne consacre plus de temps à la télé et tout mon temps aux livres, dont les vôtres qui sont lumineux.
Même si sur le fond je suis d’accord, quelques remarques tout de même :
– Concernant le grand fourre tout de la médiocrité : certes, mais elle répond à une demande générale et tant qu’on ne s’en plaindra pas la médiocrité restera
– Le télévision bien tonitruante ? Je trouve au contraire les animateurs bien fades, mais ayant effectivement davantage tendance à se mettre en avant qu’à transmettre l’information. On me voit donc j’existe, quand Warhol dépasse Nietzsche….
– Oui je suis étonné que certaines entrevues ou déclarations d’anglophones ne soient pas au moins sous titrées dqns les bulletins de nouvelles.
– « le monde des vedettes et celui des chroniqueurs forment une société fermée, qui ne s’adresse plus vraiment au monde, mais à elle seule ». Ah l’autogratulation ! Je te félicite non pour ta compétence, mais sait on jamais je pourrais avoir à travailler avec ou pour toi en cas de perte de travail ! Les 75 ans de Radio Canada, l’émission qui ressemble le plus à de la télévision d’entreprise, merci je vous aime, on s’aime, on est une grande famille…
– Les plateaux TV où on retrouve toujours le même invité.
– Les chaînes qui se copient : J’aime bien la cuisine, mais là le surnombre me reste un peu sur l’estomac.
Certes on aime ou pas, on peut changer de chaîne, mais l’heure est à la copie et non à la création. A quand du neuf , du jamais vu ? A quand des jeunes ? Autant de questions en attente de réponses.
J’appréciais Canal D et Historia et certains autres postes mais je n’ai plus de télévision depuis maintenant 12 ans… Et toutes les fois où j’ai l’occasion de la regarder, chez des amis, mes parents… Je refais encore le même choix surtout que presque tout ce retrouve en DVD, aujourd’hui!
J’ai aussi couper le câble, à l’époque, lorsque les publicités sont apparues sur le câble… si au moins les publicités permettaient de financer une meilleure télévision avec émission intelligentes… même pas!
J’adhère au commentaires de VLB à 100%… et pas de télévision… on a beaucoup plus de temps pour faire plein d’autre chose!
Ça fait quoi, 3 ans que je n’écoute plus la TV? Cette boite à artifices, criarde oui, pus capable. Et même plus la radio. Leur qualité est comparable à ce qu’on trouve dans une boîte de conserve de repas préparé. Fast food, calories vides, abêtissant. burp! Je préfère de loin le silence, la nature et l’observation personnelle. Salutation!
Merci M. Lévy-Beaulieu,
Je pense exactement comme vous. Et je suis désolée de constater que malgré leurs gros diplômes universitaires, certains de nos jeunes gens sont ignorants de non seulement notre histoire mais de tout ce qui n’est pas véhiculé par les média de masse. Ca se promène en Espagne ou en Algérie sans savoir ou vouloir connaître le moindre fait historique ou social de ces pays. Ca fait bien de dire qu’on est allé dans les Europes !!!! Mais parfois, le vide sidéral semble les habiter. Pas tous mais beaucoup.
Ah non, je ne suis pas d’accord, mais alors là pas du tout. S’il y a quelque chose, la télé est meilleure qu’avant:
http://marieclaudeducas.com/2011/lettre-a-victor-levy-beaulieu-mais-non-la-television-n%E2%80%99est-pas-moins-bonne-qu%E2%80%99avant-s%E2%80%99il-y-a-quelque-chose-elle-est-meilleure/
Encore faudrait-il nous en convaincre avec quelques exemples…
je regarde moins la télévision qu’avant. Je serais mal venu de dire si elle vaut plus aujourd’hui qu’hier. Je ne me reconnais pas en elle quand je la regarde par devers ses pubs désolantes qui me portraiture en débile léger devant sa bière « light » tout heureux de n’être pas souverain.
je regarde moins la télévision qu’avant. Surtout le matin à RDI avant-hier quand les animateurs se trouvent très drôles en nous montrant la femme avec la langue la plus longue au monde, entre deux attentats terroristes et trois ouragans ,aux nouvelles.
Je regarde moins la télévision qu’avant, parce que je trouve plus important de savoir en priorité ce qui se passe dans le monde arabe plutôt que les « quelques gouttelettes » de pluie qui vont tomber sur le tournoi de golf de Saint-Glin-Glin.
je regarde moins la télévision qu’avant, et quand je la regarde, avec ma mémoire radio-canadienne, je trouve TLMEP pas mal niaiseux en comparaison du Point de Mire de René Lévesque en 1958( sur Youtube), toujours actuel, qui nous explique la guerre d’Algérie, ou le Sel de la Semaine avec Fernand Seguin en 1967 (encore sur Youtube) qui interview Jack Kerouak.
je regarde moins la télévision qu’avant. Et à force de la moins regarder, il me semble que le monde autour a plus de vie, de pertinence , ce qui me force à aller jouer dehors et m’en trouver fort agréablement surpris!!
Je suis d’accord avec votre propos et je déplore que Radio-Canada n’ait pas eu le courage de vous remettre votre prix lors de la soirée des Gémeaux. Elle craignait probablement votre critique sur les choix qu’elle fait ces dernières années pour nous livrer des émissions de plus en plus insipides (pensons à « Tout le monde en parle » pour ne nommer que celle-là…). Le coté positif, nous avons plus de temps pour s’adonner à des loisirs gratifiants.
À écouter la faune grouillante des plateaux de télé du grand Mouryal, on a le démonstration criante de la créolisation du français québécois en phase terminale. Nous sommes devenus le petit peuple des « ch’tun artiss », des « tounes » écrites avec un dictionnaire des rimes, des « ça va d’être bon », des belles autobus et des « ça la pas d’allure ». Aussi longtemps que nous courrons payer 50$ pour nous cramper de rire devant les gradués d’une école dont l’humour se tient entre la ceinture et les genoux, nous pourrons ravaler nos aspirations d’être autre chose qu’une petite coquille vide plantée au nord d’un continent appelé america.