Mouvement global d’occupation : Politique de la rue
Alors que des milliers d’indignés partout dans le monde prennent d’assaut les places boursières afin de protester contre le capitalisme sauvage, nous publions ce texte de Marc-André Cyr qui s’interroge sur le rejet des partis politiques et du parlementarisme sous-entendu par cette « politique de la rue ».
Le « Mouvement des indignés » semble prendre une ampleur considérable depuis quelques mois. Partant des chambardements historiques d’Afrique du nord, le mouvement s’est rapidement étendu à l’Europe et à l’Asie, et c’est désormais en Amérique que ce propagent ces manifestations. L’étendue du mouvement est telle que ce samedi, c’est dans 662 villes de 79 pays que des gens prendront la rue afin d’affirmer, comme le dit la déclaration commune, que « nous ne sommes pas des marchandises » au service des banques et des politiciens. Comment expliquer la popularité fulgurante de ce mouvement ? Pourquoi délaisse-t-il les formes traditionnelles et institutionnelles de contestation? L’histoire récente de la gauche contemporaine, de même que le discours même des indignés dont il est le prolongement immédiat, semblent nous offrir quelques éléments de réponses.
Pour la frange la plus combative de la gauche, qui critique à la fois les politiciens et le pouvoir de la haute finance, les ressources institutionnelles sont inefficaces, épuisées. Ce ne sont ni les partis, ni les syndicats, ni même les mouvements sociaux traditionnels qui peuvent porter le « changement mondial » nécessaire et indispensable au bien-être commun. En fait, comme le disent les indignés, ce serait du « peuple » – lui-même! – que le changement devrait venir, et de nulle part ailleurs. C’est pour cette raison que ce mouvement se dit « a-partisan » et, du moins dans ses déclinaisons montréalaises, « a-syndical ». Historiquement, ce rejet des formes traditionnelles d’expressivité n’est toutefois pas nouveau. Il s’inscrit dans le prolongement des préceptes théoriques de la mouvance altermondialiste qui refuse depuis de s’aligner aux partis et aux syndicats, et qui carbure, elle aussi, aux grands rassemblements internationaux.
Des parlements unidimensionnels
Pourquoi un tel rejet des partis politiques et du parlementarisme ? Les altermondialistes l’affirment depuis plus de 20 ans : il y a des décennies que les partis politiques dits « de gauche » (Parti socialiste français, Parti travailliste anglais, Parti québécois…) ont dans les faits mis en œuvre des politiques de droite (privatisation, déréglementation, militarisme …). Comme le souligne Serge Halimi d’ATTACT, nous n’assistons pas, depuis 1990, à la « fin de l’histoire » comme le veulent certains penseurs de la postmodernité, mais bien au « triomphe » d’une seule et unique idéologie néolibérale. Cet aplatissement du débat gauche/droite n’est pas étranger à la baisse constante du taux de participation aux élections. D’ailleurs, si le vote des abstentionnistes était compté, ils seraient au pouvoir, à Québec comme à Ottawa!
Le changement réel, l’alternative qualitativement différente au pouvoir en place semble définitivement avoir fui les parlements. Et c’est à la rue, par la force des choses, qu’il s’est retrouvé. En ce sens, nul doute que le vaste mouvement de contestation des indignés américains trouve son écho dans l’immense déception ressentie à l’égard de l’administration Obama, qui peine à effectuer les changements qu’elle avait pourtant promis.
Syndicalisme et corporatisme
Mais il y a plus… Car ce ne sont pas seulement nos parlements qui, selon cette gauche, sont discrédités, mais bien l’ensemble des formes traditionnelles de contestation. En premier lieu, on pense ici, bien entendu, aux syndicats. Au Québec, la participation des grandes centrales aux nombreuses compressions budgétaires (dont l’atteinte du déficit zéro), leur corporatisme généralisé, leurs investissements dans l’économie mondialisée et leur manque de combativité expliquent en partie la méfiance qu’une certaine gauche verbalise à son égard. Ajoutons également que le droit de grève, et les agents de bord d’Air Canada en font la preuve encore une fois cette semaine, semble de plus en plus difficile à faire valoir; ce qui n’est évidemment pas sans conséquence quand au pouvoir réel des travailleurs.
À toutes les périodes de l’histoire, les sans-voix, qu’on les identifie comme « plèbe », « peuple », « classe ouvrière », « prolétariat » ou « multitude », ont toujours su se faire entendre. Tout au long du 20ème siècle, des institutions ont prétendu incarner, défendre et représenter ces gens qui autrement étaient invisibles. L’altérité des exclus s’en trouvait, pour ainsi dire, pacifiée. Mais les « sans-voix » sont de plus en plus nombreux à considérer que ces institutions sont détournées de leurs vocations historiques pour servir les intérêts particuliers de certains privilégiés. Seul l’avenir nous dira si les « indignés » réussiront à secouer le spectacle du consensus et deviendront, quoiqu’imparfaitement et sans garantie de succès, des acteurs de l’histoire.
Marc-André Cyr
Historien des mouvements sociaux