L'état et le vieillissement de la population au Québec : Nous sommes plus pauvres et surtout moins nombreux
Je pense que

L’état et le vieillissement de la population au Québec : Nous sommes plus pauvres et surtout moins nombreux

Dans le cadre de la sortie de son livre L’état contre les jeunes nous avons invité l’auteur et chroniqueur Éric Duhaime à expliquer son point de vue, pour le bénéfice de nos lecteurs. Un conflit de classe générationnel?

« Je pense que » si l’on ne s’intéresse pas rapidement à l’iniquité grandissante entre les générations au Québec, un conflit éclatera inévitablement entre les jeunes opposés à la confiscation d’une trop grande part de leurs revenus et les retraités hostiles à toute réduction de leurs privilèges.

Les électeurs de la génération du baby-boom avaient intérêt à élire des politiciens qui proposaient un accroissement de la taille de l’État. Plus d’État signifiait pour eux plus d’emplois assortis d’une sécurité en béton et plus de services publics toute sorte (infrastructures, santé, éducation, services sociaux et régimes de retraite), le tout étant rendu possible par le transfert d’une partie de la facture à ceux qui allaient suivre, notamment sous forme de dette publique. On voit donc que l’intervention l’État – lire aussi l’investissement public– aura suivi cette génération tout au long de sa vie. Ainsi, on s’intéressera à l’éducation au début des années 1960 avec la commission Parent. Vingt ans plus tard, la priorité ira aux baisses d’impôts alors que la même génération sera établie sur le marché de l’emploi. Et au cours des dernières années, la grande affaire est naturellement devenue la santé alors que, vieillissants, les boomers commencent à s’en inquiéter. On discutera aussi de plus en plus, soyons-en assurés, de sécurité publique, même si le taux de criminalité diminue. C’est que, plus on vieillit, plus on a peur.

En revanche, les électeurs des générations dites« X », « Y » et bientôt « Z », ont eux intérêt à ce que soient réduites la taille et l’intervention de l’État. Pour nous, l’État, c’est le relevé de compte négatif de la carte de crédit de nos parents, transféré à notre nom. Nous payons certes pour une partie des services que nous utilisons, mais nous écopons aussi et surtout pour les dépenses qui ont été effectuées par ceux qui nous précédaient. Si les plus jeunes réclament en grand nombre que la société se libère de l’étatisme, ce n’est pas parce que la jeunesse a changé dans son essence, mais bien parce que le Québec a changé : nous n’avons collectivement pas les mêmes intérêts que ceux et celles qui avaient notre âge il y a vingt, trente ou même quarante ans.

Je suis toujours exaspéré quand certains boomers accusent leurs enfants d’être des « Tanguy », ces fainéants qui ne décollent jamais du nid et abusent de la générosité de leurs parents. Ce que les boomers laissent ainsi sous-entendre, c’est qu’ils ont une éthique du travail supérieure à celle de leurs cadets, eux qui à notre âge travaillaient déjà, avaient des enfants, une maison, etc.

Il y a d’intéressantes données de Statistique Canada qui montrent qu’effectivement, les enfants restent aujourd’hui plus longtemps dans le foyer familial. Toutefois, on découvre vite que ce n’est probablement pas par choix. L’écart économique entre les générations s’est creusé de façon alarmante au cours des trente dernières années. À titre d’exemple, les 24-34 ans se sont appauvris de 12 % entre 1984 et 2005, tandis que les 45-54 ans et les 55-64 ans voyaient leur richesse augmenter de 53 % et 69 % sur la même période. Résultat : si en 1984, les jeunes de 25 à 34 ans étaient trois fois moins riches que leurs parents de 55 à 64 ans, ils sont aujourd’hui près de six fois plus pauvres, et le fossé continue de se creuser.

Nous sommes plus pauvres et surtout moins nombreux. En 1986, on comptait sept travailleurs par retraité. Aujourd’hui, il y en a seulement trois, et en 2020, soit dans huit ans à peine, cette proportion tombera à deux travailleurs par retraité. L’impact sur nos politiques publiques sera majeur.

« Je pense que » la définition même de la jeunesse change au Québec. En 1960, être jeune, c’était avoir moins de 20 ou 25 ans. Aujourd’hui, on peut être dit « jeune » à l’orée de la cinquantaine. Prenons l’exemple patent des douze « jeunes » députés du Parti québécois qui invitaient publiquement en juin 2011 l’ancien premier ministre Jacques Parizeau à leur faire une place dans le débat. La moyenne d’âge de ces douze jeunes autoproclamés était de plus de 35 ans, et certains d’entre eux avaient la quarantaine bien entamée.

Par son extension troublante, c’est aussi cette définition de la jeunesse qui bloque professionnellement de nombreux membres des générations X, Y et Z. Dans de nombreuses entreprises ou dans la fonction publique, les gestionnaires boomers s’accrochent. Ils se disent sans doute que ces « jeunes »de 40 ans passés peuvent bien attendre encore un peu avant de prendre la relève.

Le 29 avril 1970, les Québécois élisaient au poste de premier ministre Robert Bourassa, alors âgé d’à peine 36 ans. Quand les boomers ont ainsi porté au pouvoir l’un des leurs, personne n’a prétendu qu’il était « trop jeune ». Durant la campagne électorale québécoise de 2007, Mario Dumont avait le même âge, et on le lui a souvent reproché. Cherchez l’erreur… On peut même penser que ce reproche a pu le priver des quelques votes qui lui ont manqué pour gagner.

Aujourd’hui, la première cohorte de boomers a atteint l’âge de la retraite. Selon l’Institut de la statistique du Québec, le pourcentage de personnes âgées de 65 ans et plus au Québec se hissera de 16,5 %en 2011 à 27,4 % en 2033.

Ceux qui s’inquiètent de la surreprésentation politique des boomers doivent donc savoir que la situation ne fera qu’empirer. Contrairement à leurs parents, les boomers bénéficient de gros fonds de pension et ont plus de temps pour s’impliquer socialement ou politiquement. Présentement, le « lobby gris » prend d’assaut de nombreux organismes dans lesquels, bénévolement ou non, ils sont engagés pour faire avancer leurs propres causes et intérêts. « Je pense que » ce militantisme accru des retraités fera pencher encore davantage la balance des faveurs politiques en direction de cette génération du Peace and love