Le Plan Nord, projet d’une génération? : Perdre le Nord?

Le 9 février 2012, à la suite de l’article de Sylvain Sarrazin «Les jeunes prêts à travailler pour le Plan Nord… à certaines conditions» et au retour de la conférence à HEC Plan Nord: impacts économiques, sociaux et environnementaux, j’ai senti un urgent besoin, comme jeune, d’écrire cette lettre. Ces mots sont écrits avec une réelle préoccupation de l’avenir et pour partager des interrogations profondes concernant la démarche éthique du Plan Nord ayant permis aux marchés économiques mondiaux de rythmer notre propre voix citoyenne.

Premièrement, je m’interroge sur le discours omniprésent des dirigeants présentant le Plan Nord comme une vision et un plan d’avenir pour la jeunesse. Il semble inconcevable d’avoir orchestré un chantier dans un tel silence pour une seule génération sans aucune consultation publique officielle de ceux qui vivront les impacts de ce projet. La génération qu’on appelle Y, j’en suis convaincue, désire plus qu’un équilibre budgétaire, des emplois temporaires et de la création de richesse sur 25 ans. On débat sur les emplois qui seront créés ou consolidés, par contre, aucun véhicule n’a permis qu’on s’exprime en profondeur sur la destination même de ce projet. Cela ressemble plutôt à la génération avec un «X» sur la bouche où aucun espace citoyen n’a été proposé afin que la jeunesse puisse partager ses idées, établir ses priorités, ses préoccupations autant sociales, économiques qu’environnementales. Je n’arrive pas non plus à saisir comment, sans ce processus inclusif de la jeunesse à l’échelle du territoire du Québec comme de celui des Premières Nations, on peut ainsi s’exprimer en notre nom sur toutes les tribunes. Pour soutenir notre futur, il faut diversifier les secteurs, adapter notre économie dans un esprit d’équilibre planétaire avant tout. C’est une urgence considérable provenant des erreurs du passé dont notre génération porte la responsabilité et dont elle doit tenir compte.

Au Québec, les jeunes vivent dans une nation qui brille à l’international pour son éducation privilégiée, ses créateurs hors pair, ses entrepreneurs, ses innovateurs illustres. N’est-ce pas incroyable qu’aucun support n’ait été mis sur pied pour que ces visions et savoirs puissent être canalisés, considérés dans l’élaboration d’un projet dit historique? La seule consultation publique à laquelle nous ayons pu contribuer concernait les orientations de protection de 50% du territoire. Avec notre éducation de qualité, dès l’enseignement secondaire, nous apprenons que la biodiversité, les cycles de vie, c’est un tout. Nous aurions pu demander: pourquoi 50%? Nous aurions pu également, dans le souci de tout proposer, inclure des glossaires pour vulgariser les nouveaux statuts inconnus tels que «Réserves de terre de capital nature».

Il est extrêmement difficile de se prononcer sur autant d’enjeux dans l’ignorance et devant un langage si peu accessible. Avec le souci également des Premières Nations et de la société multiculturelle que nous avons à cœur, nous aurions pu suggérer de traduire ces consultations dans les langues des nations autochtones pour que les aînés surtout et les populations puissent s’exprimer aisément dans leur langue. Cela aurait démontré un véritable respect des communautés dans votre esprit de vision commune. En tant que jeune, je suis terriblement bousculée de voir un train déjà en marche qui porte notre nom et dont nous pouvons déjà entrevoir des impacts beaucoup plus graves à long terme. L’inclusion de nos voix permettrait de proposer des solutions de rechange économiques, environnementales et sociales reflétant beaucoup plus le futur qui nous attend. Derrière les mégaprojets industriels, les jeunes ont une volonté très présente de faire des choix pour la protection de notre air, de l’eau, de la terre.

Maximiser les investissements, les revenus fiscaux et la rentabilité pour payer la dette des aïeux n’est pas une raison justifiable de détruire quelque chose de plus grand et d’effacer nos voix de ces décisions colossales. Nous sommes nés dans un pays où je me croyais citoyenne et lorsque je regarde le rythme du développement et l’exclusion de dialogue, je me sens davantage comme l’enfant d’une dictature des marchés financiers. Le problème n’est pas l’argent car l’économie est un véhicule, mais à quel prix sommes-nous prêts à éteindre nos voix, à fermer les yeux sur un pillage des ressources naturelles (sources de vie, habitats) et avant tout à être exclus littéralement du processus? En tant que jeune, je suis convaincue que l’équilibre de notre avenir économique et social est intrinsèquement lié à la santé du territoire et à l’inclusion de propositions d’avenir formulées par la jeunesse.

À toutes fins utiles, le Plan Nord a oublié, dénié la jeunesse dans la formulation de ses axes. Comme l’a cité le sous-ministre Robert Sauvé à HEC, c’est un triangle qui doit tenir en équilibre sur un crayon. Si les dirigeants avaient pris le temps d’écouter la jeunesse, nous leur aurions rappelé que la nature est déjà un cercle, un cycle qui possède son propre équilibre. Ce cercle ne repose pas certes sur un crayon, mais sur nos actions, nos choix d’êtres humains. Nous, les jeunes, sommes les gardiens de cette Terre, les semences des arbres de demain. Nous avons aussi des solutions, des expériences à communiquer pour que ce trésor terrestre qu’est le Nord du Québec puisse rayonner outre ses minerais. Avec une véritable consultation, les voix des jeunes préoccupés par l’uranium et la contamination auraient été entendues.

L’immensité de nos rêves aurait pu nourrir ce plan d’idées innovantes et varier les secteurs d’activité limités. Nos yeux et notre cœur jeunes savent comment honorer la beauté qui nous entoure et célébrer la vie. Il est impératif également d’écouter les jeunes provenant de communautés et nations qui habitent le territoire depuis des millénaires. Ils ont besoin d’emplois, certes, mais également une urgence identitaire de protéger leurs terres et valoriser les héritages de leurs ancêtres. Ces jeunes peuvent également transmettre une sagesse nouvelle pour que l’économie, l’environnement et le social respectent la vie et reflètent leurs idéaux!!!! Enfin, avec nos yeux neufs provenant de différents horizons, nous aurions pu vous rappeler que les temps ont évolué. Au lieu de recycler les schèmes économiques et historiques vieux de 500 ans, nous sommes prêts à avancer pour un nouveau lendemain avec une véritable vision commune dans le souci de toute forme de vie.

Avec respect pour toutes les jeunes voix déniées dans les grandes décisions économiques historiques,

– Fanny-Pierre Galarneau