Le passage des salles de cinéma au numérique : Cinéma en danger
Le passage des salles de cinéma au numérique engendre des coûts considérables pour ces dernières, alors depuis peu, de nouveaux intervenants les soutiennent financièrement afin de faciliter la transition. Si plusieurs voient la chose d’un bon œil, d’autres considèrent que cela peut s’avérer fort néfaste pour l’avenir du cinéma d’ici, et pour les cinéphiles. Parmi eux, le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec, qui nous a fait parvenir le communiqué que voici.
Nous portons à l’attention du public québécois le très important sujet du passage des salles de cinéma au numérique, le mode de financement des équipements nécessaires à ce changement et les conséquences qui en découlent pour l’avenir de la cinématographie et des distributeurs garants de sa diversité au Québec.
L’Intégrateur, son mode de fonctionnement et les conséquences sur l’accès des films auprès d’un public en région.
Plusieurs exploitants de salles au Québec font financer leur équipement numérique avec l’appui d’un intégrateur qui a la tâche de collecter les frais de copies virtuelles (VPF: Virtual Print Fee) de tous les distributeurs qui désirent présenter leurs films sur un écran de cinéma numérique. Les VPF servent à rembourser le financement des équipements. L’exploitant cède à l’intégrateur le droit d’autoriser un distributeur à présenter un film sur son écran. À l’exception de Cinéplex qui a créé son propre intégrateur canadien avec Empire Theatres (un important exploitant présent dans d’autres provinces canadiennes), les intégrateurs sont des compagnies américaines, sans aucun lien administratif, décisionnel ou autre avec le Québec. La réalité est que la décision finale de la programmation des salles de cinéma au Québec est prise par des compagnies étrangères.
De plus, ces compagnies imposent des VPF totalement prohibitifs qui dépassent la marge de bénéfice des distributeurs indépendants qui fournissent des films aux salles en régions.
Cette situation contribue donc à fermer les régions du Québec au cinéma documentaire et de fiction, qu’il soit étranger ou québécois. Nous ne parlons pas bien sûr des très gros films commerciaux québécois ou européens. Nous pointons en fait la majorité de l’offre de films des cinémas nationaux en région. Un retour en arrière qui mettra en péril tout le système de la distribution des films au Québec.
Par exemple, l’étau se resserre aussi autour des salles desservies par la programmation de L’Association des cinémas Parallèles en région(Réseau Plus) qui programme des documentaires et des films québécois et internationaux dans plus de 50 salles réparties partout au Québec. À mesure que dans les villes en province s’installent des projecteurs numériques, les films de répertoire disparaissent. Des années de fidélisation du public aux œuvres cinématographiques internationales sont en train d’être détruites par cette technique et son mode de financement. Ceux-ci asservissent les exploitants aux doléances des intégrateurs étrangers.
Il faut savoir aussi que tout retard de paiement des VPF interdit aux distributeurs de rejouer un film dans la même salle. Autrement dit, nos films sont radiés des villes là où nous avions déjà perdu de l’argent pour en avoir présentés. Notre marge de profit étant allée à l’intégrateur étranger.
L’exploitant n’a plus le contrôle de sa salle de cinéma
L’exploitant perd le contrôle sur sa programmation privant ainsi le public de toute une diversité de films. Pour avoir main mise sur la programmation des salles de cinéma, les intégrateurs exigent que les exploitants se débarrassent de leurs projecteurs 35mm et lecteurs Blu-Ray/DVD de manière à rendre techniquement impossible toute autre programmation que celles qu’ils vont autoriser en vertu des paiements des VPF. Sans cette condition, ils ne consentent pas au financement qu’implique le renouvellement technologique des salles du Québec.
On a voulu laisser le « marché » se débrouiller avec cette situation de rééquipement des salles en numérique, système qui n’est installé que pour servir les intérêts des Majors. Or, cela a engendré une situation de débalancement économique à notre détriment.
Proposition du RDIFQ: un intégrateur québécois
Le RDIFQ demande au Gouvernement du Québec de mettre en place un Intégrateur québécois. Cet Intégrateur pourrait être géré par la Régie du Cinéma qui émet les visas des films et en perçoit la taxe ainsi que celle des timbres des DVD. La Régie possède déjà une expertise en la matière. Il s’agit de suivre le modèle européen, d’arracher les salles du Québec au contrôle des compagnies étrangères qui imposent leurs tarifs sans tenir compte du caractère particulier du Québec et de ses distributeurs qui alimentent le marché en films québécois et en films provenant du monde entier. Pour le moment, les régions du Québec ne nous sont plus accessibles et cela représente pourtant la moitié de notre marché intérieur.
L’Intégrateur québécois pourrait fixer un tarif de VPF raisonnable, et non la taxe des VPF qui équivaut à 950$ US par film ( plus les frais de virement à l’étranger) et par salle, pour ainsi rendre viable la distribution régulière de nos films partout en région. La programmation de tous les films reviendrait à l’exploitant et serait géré par un organisme québécois chargé d’émettre les visas.
Situation urgente : le Gouvernement du Québec doit émettre un énoncé d’intention
La situation est urgente et nous demandons à notre Gouvernement de mettre en place un dispositif : La création d’un intégrateur québécois. Ce système implique de racheter les contrats des exploitants signés avec les compagnies étrangères et de regrouper, autour de cet intégrateur québécois, les salles indépendantes qui ont ou qui vont s’équiper de nouveaux projecteurs. Cela implique aussi de ne pas obliger les exploitants de salles à se départir de leurs projecteurs 35mm ou leurs lecteurs Blu-Ray/DVD, et autres formats, garantissant ainsi la possibilité de programmer une variété de films dans différents formats et de conserver une place aux productions locales, aux courts-métrages, aux documentaires, aux films d’auteurs et aux films de toute provenance.
LE RDIFQ rend publique sa position
Le RDIFQ, qui rassemble la majorité des distributeurs indépendants de films au Québec trouve aberrant et économiquement impossible le paiement des droits de passage de nos films sur le territoire québécois à des compagnies étrangères. Dans cette voie, nous régressons 50 ans en arrière en nous donnant le sentiment que les distributeurs nationaux sont inexistants. Nous considérons que nous n’avons pas à demander la permission à ces compagnies de présenter nos films en régions.
Par la présente, le RDIFQ rend publique sa position et les demandes qui en découlent, et nous souhaitons qu’une action soit entreprise dans les pus brefs délais, avant que les dommages à notre économie des cinémas nationaux ne soient irréversibles. Autrement, il n’y aura plus d’industrie de présentation des cinémas nationaux car ses distributeurs vont disparaître, faute de marché.
– Le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec
(Antoine Zeind de A-Z FILMS, Armand Lafond d’AXIA FILMS DISTRIBUTION, Jeanne Ritter de DOMINO FILM, Stéphanie Trépanier d’EVOKATIVE FILMS, Andrew Noble de FILMOPTION INTERNATIONAL, Emmanuelle Dessureault et Martin Desroches de FUNFILM DISTRIBUTION, Louis Dussault de K-FILMS AMÉRIQUE, Anne Paré des FILMS DU 3 MARS, et Marc S. Grenier de LOCOMOTION DISTRIBUTION)
Avec un certain retard lié à des questions de santé, je me dois de dire que ce texte me sied et me ravit parce qu’il aborde une question essentielle, celle de l’avenir du cinéma indépendant, du cinéma moins commercial, du cinéma d’auteur.
JSB