Je pense que

Hausse des frais de scolarité : Hausse des frais de scolarité : une mesure économiquement sensée?

La hausse des frais de scolarité touche, directement et indirectement, une grande partie des Québécois. D’ailleurs, le nombre de lettres que nous avons reçues en lien avec ladite hausse en témoigne. En voici quelques unes.

Plus de 200 000 étudiant(e)s sont aujourd’hui en grève et la hausse des frais de scolarité de 1625 $ est sur toutes les lèvres. En tant qu’étudiant(e)s en économie, nous remarquons que plusieurs défenseurs de la hausse des frais de scolarité évoquent des arguments économiques discutables pour justifier la hausse. Étant formés précisément à l’analyse économique, statistique et à l’analyse des politiques publiques, nous tenons à rectifier certains de ces arguments.

On entend souvent que les frais de scolarité doivent augmenter parce qu’ils sont gelés depuis maintenant plusieurs années. Ainsi, la hausse des frais permettrait un rattrapage par rapport au niveau de 1968, en tenant compte de l’inflation. Nous ne souscrivons pas à cet argument. D’abord, les frais de scolarité sont dégelés depuis 2007. Ensuite, les frais de scolarité ne représentent qu’un élément de la facture totale. Il faut y ajouter les frais institutionnels obligatoires, ce panier de frais administratifs, technologiques et autres. Ces frais ont augmenté à une telle vitesse depuis le milieu des années 90, malgré un prétendu « gel » des frais de scolarité, que la facture étudiante moyenne a cru au rythme de l’inflation pendant treize des dix-huit dernières années. Il est donc erroné de parler de simple « rattrapage ». Même en se comparant au plus haut niveau de tarification jamais enregistré dans l’histoire du Québec, soit celui qui prévalait dans les années 60, cette hausse nous mène, si l’on prend en compte les frais institutionnels obligatoires, à un record de tarification jamais égalé. Au demeurant, la décision de choisir 1968 comme année de référence nous apparaît arbitraire.

On entend aussi fréquemment que la hausse n’affectera pas l’accessibilité aux études supérieures puisqu’elle sera compensée par une bonification du régime d’Aide financière aux études. Cela est faux ; le gouvernement n’offre qu’aux étudiant(e)s ayant déjà atteint le maximum admissible de bourses, soit environ 17 % des étudiant(e)s, une bourse supplémentaire de valeur égale au montant de la hausse. Pour 83 % des étudiant(e)s n’ayant pas accès à cette mesure, soit la vaste majorité des étudiant(e)s, la hausse sera pigée directement dans leurs poches souvent déjà vides. Bref, la mesure de protection annoncée ne couvre qu’une fraction des étudiant(e)s, et exclut d’emblée toute la classe moyenne. Résultat : la hausse proposée, même en tenant compte de l’aide aux plus démunis, entraînera une baisse estimée de la fréquentation universitaire de 5000 à 7000 étudiant(e)s.

En somme, les arguments économiques évoqués à l’appui du projet de hausse semblent enracinés dans la tradition dite néoclassique, un courant de pensée économique dans lequel les considérations d’équité sont absentes et où les considérations d’efficience prennent toute la place. Ainsi, de ce point de vue, une mesure sera jugée efficiente du moment qu’elle maximise les revenus. Disons les choses simplement : alors que la hausse permettra d’augmenter un peu le revenu des universités, soit d’environ $ 150 M par année, elle se fera au détriment de la participation des étudiant(e)s issus des milieux moins favorisés. Aussi, si un(e) étudiant(e) est issu d’un milieu moins favorisé et un(e) autre d’un milieu aisé, est-il équitable que le premier débute sa vie adulte avec une dette de 25 000 $ alors qu’ils ont tous deux le même talent? En ce sens, l’accessibilité aux études supérieures est une condition sine qua non du respect du principe d’égalité des chances. Si l’on tient ce principe en haute estime, il est logique de s’opposer à une telle mesure et de privilégier des formes de financement progressives telles que l’impôt sur le revenu.

Nous, étudiant(e)s d’économie, sommes donc fiers de joindre nos voix à celles des milliers d’étudiant(e)s qui se battent pour l’accessibilité aux études supérieures et pour une société plus juste.

Ont signé cette lettre les 56 étudiant(e)s en économie suivants :

Virgine Allard-Goyer, premier cycle, Université Laval ; Vincent Barbe Beauchemin, deuxième cycle, UQAM ; Évelyne Beaudin, deuxième cycle, Université de Sherbrooke ; Evans Beaulieu, deuxième cycle, Université Laval ; Aghiles Belhadef, premier cycle, UQAM ; Thomas Booker, premier cycle, UQAM ; Louis-Philippe Boulianne, premier cycle, Université Laval ; Félix-Antoine Bouchard, premier cycle, UQAM ; Pier-André Bouchard St-Amant, troisième cycle, Université Queen’s ; Minh Nhat Bui, premier cycle, Université de Montréal ; Sébastien Charron, premier cycle, Université Laval ; Hubert Chicoine, deuxième cycle, UQAM ; Cédric Côté, premier cycle, Université Laval ; Aurélie Côté-Sergent, premier cycle, UQAM ; Alexandre Desmeules, deuxième cycle, Université Laval ; Nicolas Després, premier cycle, UQAM ; Camille Deteix, premier cycle, Université Laval ; Moctar Diassiguy, deuxième cycle, UQAM ; Juliette Dubois, premier cycle, Université Laval ; Catherina Dumont, premier cycle, Université Laval ; Flore Dupoux, premier cycle, UQAM ; Antoine Gagné, premier cycle, Université Laval ; Alexis Gauthier, premier cycle, Université Laval ; Antoine Genest-Grégoire, premier cycle, président de l’Association des étudiants en sciences économiques de l’UQAM ; Guillaume Germain, deuxième cycle, UQAM ; Pierre-Luc Germain, premier cycle, Université Laval ; Renaud Gignac, deuxième cycle, UQAM ; Anthony Grillo, premier cycle, UQAM ; Lukas Jasmin-Tucci, premier cycle, UQAM ; Louis-Maxime Joly, premier cycle, UQAM ; Alexis Lacombe, deuxième cycle, Université de Sherbrooke ; François Laliberté-Auger, deuxième cycle, UQAM ; Marie-Ève Lamoureux, deuxième cycle, Université de Sherbrooke ; Annabelle Lamy, premier cycle, UQAM ; Étienne Lamy, premier cycle, Université Laval ; Dominique Lapointe, premier cycle, UQAM ; Hugo Leblond, premier cycle, Université Laval ; Tommy Lemieux-Cloutier, premier cycle, UQAM ; Raphaël Liberge-Simard, premier cycle, Université Laval ; Philippe Alexandre Maltais Lajoie, deuxième cycle, UQAM ; Marc-Alain Marcotte, premier cycle, Université Laval ; Francis Melançon, premier cycle, UQAM ; Simon Mercille, premier cycle, Université Laval ; Geneviève Morency, deuxième cycle, UQAM ; Kevin Morissette, premier cycle, Université Laval ; Elio Moussa, premier cycle, UQAM ; Samuel Paré, premier cycle, UQAM ; Marc-André Pharand, premier cycle, Université Laval ; Katherine Pineault, deuxième cycle, UQAM ; Karène Potvin, deuxième cycle, Université Laval ; Adam Ross Pelletier, premier cycle, Université Laval ; Simon Roy, premier cycle, Université Laval ; Pierre-Guy Sylvestre, économiste, Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ) (en appui) ; Billal Tabaichount, premier cycle, UQAM ; Patrice Vachon, troisième cycle, président de l’Association des gradués en économique de l’Université Laval ; Thomas Vigneault, deuxième cycle, Université Laval.