Je pense que

Hausse des droits de scolarité : Le malentendu démocratique

La hausse des frais de scolarité touche, directement et indirectement, une grande partie des Québécois. D’ailleurs, le nombre de lettres que nous avons reçues en lien avec ladite hausse en témoigne. En voici quelques unes.

Présentement, dans les débats au sein du mouvement étudiant, une question revient. Elle n’est pas nouvelle, d’ailleurs quiconque a réfléchi un tant soit peu à la manière de transformer la société ne peut y avoir échappé. Cette question, c’est celle des tactiques : quels moyens adopter pour obtenir des gains. Apparemment, dans une démocratie comme la nôtre, la question est toute résolue : pour obtenir des gains, un groupe doit se mobiliser autour d’actions pacifiques et ordonnées, telles que des manifestations et des interventions rigoureuses dans les médias, en vue d’obtenir un fléchissement de l’opinion publique qui, elle, sera en mesure d’influencer les décisions prises par le gouvernement qui les représente, car un gouvernement qui refuserait d’obéir à ses électeurs se verrait, à terme, évincé au prochain scrutin. Jolie histoire, non? C’est celle à laquelle on a bercé mon enfance politique. C’est, surtout, celle à l’aune de laquelle les actions de celles et ceux qui décident de faire entendre leur voix sont jugées. Et condamnées.

Les mouvements de contestations, celui des étudiants inclus, se débattent actuellement avec la fausse présomption de démocratie qui perdure chez une majorité d’individus. Une présomption qui s’effrite pourtant assez rapidement lorsque l’on commence, un, à lire des articles de plus de cent mots dans des journaux comportant moins de quatre-vingt pourcent d’espaces consacrés à la publicité et, deux, à tenter de mettre en pratique les dites actions pacifiques et ordonnées – précisément ce que font quelque deux cent mille étudiants depuis deux mois. Or, de quoi s’aperçoivent ces étudiants? Que les actions pacifiques et ordonnées, dont on leur a tant vanté les mérites, ne donnent rien. Qu’elles ne font que décorer l’abattoir avec des géraniums, pour reprendre l’expression du poète Günter Eich. Que dans le circuit démocratique allant de la volonté des citoyens aux prises de décisions du gouvernement, il manque un élément : la volonté des citoyens. Oups! Il ne reste donc que les décisions du gouvernement, prises en vase clos. Il est où, le circuit?

Pour l’étudiant qui s’entête à mettre en péril sa session, pour le citoyen qui, n’ayant pas complètement abdiqué, s’obstine à croire que ses maigres cris au milieu de la foule valent encore mieux que son corps inerte assis sur son divan, le conte de fée démocratique n’opère plus. Ils s’aperçoivent, s’ils en doutaient encore, que le gouvernement ne daigne même pas recevoir avec un minimum de respect – sans même parler de considération – leurs demandes répétées, si légitimes soient-elles. Que les médias évoqués dans le schémas décrit plus haut ne sont pas indépendants et relayent de préférence les informations pouvant être synthétisées en grosses lettres jaunes sur la page frontispice de leur publication (et avec beaucoup de points d’exclamations si possible). Que l’opinion publique, fatiguée, tend à s’arrêter à ces grosses lettres jaunes, rendant du coup bien inutile la nécessité pour le gouvernement de s’intéresser à ce qu’elle pourrait penser (il lui suffira plutôt de financer l’amphithéâtre ou de séjourner au domaine de ceux qui possèdent les médias en question…). Que la Loi qui doit garantir sa liberté d’association et d’expression s’efface bien commodément derrière le discours sécuritaire des forces de l’ordre, auxquelles il suffit de déclarer un rassemblement – fut-il pacifique – illégal pour lancer grenades sonores et lacrymogènes, pour foncer dans le tas et pour arrêter tout le monde.

Le problème, c’est que la majorité silencieuse, pendant ce temps, n’est pas allée manifester. Elle ne s’est pas pointée aux assemblées générales, elle n’a pas discuté avec les grévistes ; elle est restée bien tranquillement dans sa voiture, à pester contre ces geignards qui bloquent le pont (son pont!) et l’empêchent d’atteindre dans les plus brefs délais ce divan d’où elle pourra gober de plus belle le récit des événements que voudront bien lui présenter les médias. N’ayant jamais senti l’odeur des fumigènes, n’ayant jamais vu de près les rangées de flics en armures frappant leurs matraques contre leur bouclier pour lui faire peur, n’ayant jamais été taxée d’illégale sous des prétextes fallacieux, n’ayant pas subit le mépris généralisés de ceux qui sont pourtant payés pour l’écouter, ne s’étant pas fait retiré son droit de grève par les tribunaux ou l’administration d’un Cégep, n’ayant enfin jamais frappé le mur de silence contre lequel ne se heurtent que ceux qui prennent la peine de protester hors de leur salon, cette majorité silencieuse ne semble pas s’être aperçu que la démocratie, telle qu’on la lui vend depuis des lustres, n’est qu’un mirage. C’est donc selon les principes de ce mirage qu’elle juge de la validité des actions de ceux et celles qui, eux, n’y croient malheureusement plus.

Nous voici donc avec, d’un côté, un nombre important de gens qui, s’étant butés à la réalité d’une démocratie hors d’usage, tendent à chercher d’autres manières de donner un poids à leurs demandes et, de l’autre, un nombre – malheureusement encore plus important – d’individus qui ne voient dans ces nouvelles tactiques que violence gratuite, enfantillages et dérapages. J’aimerais bien que ceux qui croient encore que nous vivons dans une démocratie aillent voir quelques vidéos sur le net. Celle, par exemple, où un étudiant reçoit une grenade dans l’œil[1], ou encore celle où des journalistes indépendants se font bousculer et menacer d’arrestation par une dizaine de policiers[2], alors qu’ils tentent simplement de faire leur travail en filmant les événements. J’aimerais qu’ils se demandent ce qu’eux feraient si, après deux mois d’assemblées, d’ateliers de fabrications de pancartes, de flashmobs militants, de manifestations de toutes tailles, de publications d’articles, de débats enflammés, de piquetage, de cours improvisés dans les rues et les cafétérias, on se contentait toujours de leur opposer, par médias interposés, une fin de non-recevoir. Si, après un scandale de l’industrie de la construction et du financement des partis politiques, après l’octroi biaisé de places en garderie, après le Mont Orford, après le Suroît, après la grande braderie de nos ressources naturelles, l’auteur même de toutes ces belles démonstrations d’éthique et de justice le traitait toujours d’enfant gâté, d’irréaliste qui ferait mieux de se taire? Et si, depuis la Révolution française, mère de cette démocratie qui lui promettait l’égalité des droits, l’éducation citoyenne et le partage des pouvoirs, il s’apercevait qu’il se débat depuis des siècles dans le grand théâtre d’une comédie politique dont il serait l’un des milles bouffons?

Allez, manifestez maintenant, en silence, et en rangs deux par deux s’il vous plaît…

Edith Brunette, artiste visuelle


[1] Aussi racoleur qu’il puisse être, ce montage vidéo n’en demeure pas moins instructif pour ceux qui croient encore que les policiers n’emploient la force que de manière proportionnelle et justifiée : http://www.youtube.com/watch?v=H75-2OEA_ck

Edith Brunette, artiste visuelle