Le débat sur la hausse des frais de scolarité se meurt-t-il à petit feu? Bien loin de l’effervescence des premières semaines de grève, au cours desquelles foisonnaient les interventions riches de sens, nous nous butons désormais à un cul-de-sac idéologique où personne ne sait plus quoi dire sans ressasser les mêmes vieux slogans. L’argumentaire sur la hausse des frais de scolarité se travestit lentement pour devenir un dialogue stérile où se multiplient les attaques personnelles et où les idées perdent de leurs poids. La responsabilité ne peut incomber exclusivement au gouvernement. Si l’on espère pouvoir un jour sortir de l’impasse présente, il est impératif que les représentants du gouvernement et des étudiants reconnaissent les erreurs qui ont été commises de part et d’autre.
À commencer par les étudiants, qui ont choisi dès le départ de militer pour la mauvaise cause. En faisant du montant des frais de scolarité l’enjeu central de leurs revendications, ceux-ci ont perdu un nombre important d’appuis. Car si tous n’adhèrent pas à l’idéologie qui prône le gel des frais ou la gratuité scolaire, aucun individu sensé n’est contre le maintien de l’accessibilité aux études. En mettant d’emblée l’enjeu financier plutôt que l’enjeu moral à l’avant-plan de ses demandes, le mouvement étudiant a déplu à tous ceux qui ne croient pas à l’État-providence. Il a mis de côté tous ceux et celles qui rêvent toujours d’une société au sein de laquelle les privilèges se méritent par l’ampleur et la sincérité des efforts investis plutôt que par l’entremise du statut socioéconomique. C’est-à-dire la majorité des contribuables, et une large portion des étudiants. Il a ainsi donné la triste possibilité au gouvernement Charest de se bâtir du capital politique sur le dos de la jeunesse québécoise. En reconnaissant cette erreur, et en recentrant le débat sur l’accessibilité aux études, il y a fort à parier que les étudiants pourraient décrocher d’importantes concessions de la part du ministère de l’Éducation.
Du côté du gouvernement, il faut que soit reconnue publiquement l’erreur qui a été commise en n’acceptant pas immédiatement de s’asseoir avec les étudiants pour discuter de la hausse. Par jeu politique, le gouvernement Charest a raté une opportunité en or de créer un espace de dialogue inclusif où les intérêts de tous les groupes citoyens auraient pu être exprimés et débattus de manière pacifique. En agissant de la sorte, M. Charest s’est montré un bien piètre élève de celui qui a pourtant donné son nom à l’avenue au coin de laquelle siège son cabinet à Montréal. Il s’agit de John F. Kennedy, qui anticipait il y a 50 ans que «ceux qui rendent impossible une révolution pacifique rendront une révolution violente inévitable.»
Il est également indispensable que M. Charest se porte responsable des nombreuses violations de la liberté de presse et du droit à la réunion pacifique qui ont été rapportées dans les dernières semaines au Québec. Contrairement aux représentants des associations étudiantes, qui n’ont qu’un ascendant symbolique sur leurs membres, le gouvernement Charest peut et doit être tenu directement responsable de l’agir des forces de l’ordre. Journalistes poivrés et bousculés, étudiants matraqués et arrêtés arbitrairement, certains policiers faisant la loi dans les rues sans aucun respect pour l’état de droit : toutes les raisons pour une condamnation publique de ces abus sont en place. Il est possible et souhaitable de véhiculer un tel message sans discréditer le travail de tous les agents de la paix qui auront su bien porter leur nom au cours de ce conflit.
Évidemment, personne ne s’excusera. Tous ont l’orgueil écorché et l’égo à vif. Pourtant, si l’on n’enterre pas la hache de guerre, le mois de mai risque de devenir le théâtre d’une crise qui laissera de profondes cicatrices dans l’histoire du Québec. Non pas par la violence de son déroulement, mais par les lourdes conséquences qu’elle aura sur l’avenir de toute une génération de jeunes.
Louis-Antoine Mullie
Étudiant en médecine à l’Université McGill
À mon avis, c’est de se fermer les yeux que de dire que »les étudiants militent pour la mauvaise cause ».
Le maintien de l’accessibilité aux études est au centre du débat, et sur les lèvres de tous les porte-parole des associations étudiantes. La hausse, dont on entend majoritairement parler, oui, est la représentation, la concrétisation de l’obstacle, de l’embûche à l’accès aux études.
Évidemment, le noeud du conflit est clair: l’accessibilité aux études qui se voit bafouée par une hausse des frais de scolarité est ce pour quoi se battent les étudiants.
Le sujet est large: il faut comprendre qu’en luttant contre la hausse des frais de scolarité, les étudiants expriment leur mécontentement face aux choix du gouvernement: les coupures dans les services sociaux, dans les services de santé versus l’investissement dans le Plan Nord, pour n’en citer que quelques uns…
Oui, les étudiants se sont concentrés sur la hausse des frais de scolarité. Seulement, cette hausse n’est qu’un des innombrables symptômes d’une société mal en point…
« le moi de mai » (dernier paragraphe)… le « lapsus » est mordant.
Puisque tu cites Kennedy (!), permets-moi de citer cette phrase de Raymond Aron à propos de mai 68 et des objectifs accomodants d’un enseignement supérieur de masse : « Si l’université ne prépare à rien, qu’elle soit réservée à une minorité. Ouverte au grand nombre, elle doit préparer à autre chose qu’à la lecture de Virgile, d’ailleurs avec l’aide d’un dictionnaire. »
Pourquoi vouloir régler ce conflit à tout prix ? Jamais vu une si belle démonstration d’éveil de conscience collectif. Il est temps que nous tenions tête à ce gouvernement sans scrupule et qu’une véritable démocratie soit rétablie.
Ouais! Pourquoi vouloir regler ce conflit? Je suggere que les etudiants (par statut social uniquement parce que ca etudie pas vraiment a l’UQAM) paie la facture TOTALE pour leur prochaine session pour eviter que la classe moyenne encaisse encore. C’est une bonne idee ca non?
La mentalite quebecoise me pue au nez. Des scandales gouvernementaux il y en aura toujours et oui il faut les denoncer mais c’est un probleme different que notre retard enorme sur les frais de scolarite. Que nos super « etudiants » aillent aux Etats-Unis ou bien MEME en Ontario s’ils croient que la scolarite est inaccessible ici apres l’augmentation.
Nous sommes les plus taxés en Amerique en Nord et avons eu une augmentation des taxes de ventes de 2% sur 2 ans. Je n’ai pas vu personne manifester pour ca et pourtant les repercussions economiques sont 500x pires. Pourquoi? Parce que toute cette merde est basee sur une vision court terme et de l’egoisme.
@Charlotte Si les étudiants militent vraiment pour l’accessibilité, pourquoi tiennent-ils mordicus à discuter de frais de scolarité, au risque de se voir fermer la porte aux nez par le gouvernement? À mes yeux, le noeud du problème n’est pas le niveau absolu des frais, c’est la compensation relative qu’offrent les bourses. L’injustice n’existe pas à partir du moment où les frais sont « trop chers » (selon qui? en comparaison avec quoi? en se basant sur quels critères?); elle existe à partir du moment où tous, riches et pauvres, doivent payer les mêmes frais. C’est-à-dire lorsque l’on ne tient pas compte de la capacité relative de chacun à payer. Je te l’accorde, ma phrase est provocatrice (malheureusement, il faut être un tant soit peu cinglant pour être publié de ces temps-ci). Mais si les étudiants tiennent tant à l’accessibilité plutôt qu’au montant absolu des frais, alors pourquoi parlent-ils sans cesse du montant absolu des frais, et rechignent lorsque le gouvernement propose des mesures concrètes visant à améliorer l’accessibilité?
@Antoine Le « lapsus » est, tu l’auras compris, bien intentionnel. Et puis, ne faudrait-il pas nous concentrer à faire en sorte que nos étudiants sachent lire et écrire, avant même de penser à enrôler nos jeunes dans cet « enseignement supérieur de masse » dont tu parles? Tu me trouveras peut-être arbitrairement attaché au passé, mais je crois fermement que l’analyse, la traduction et la lecture critique des grands classiques, dont Virgile, forment l’âme d’une manière qui ne peut être égalée par la lecture de romans de plage tels que l’on en sert dans nos institutions secondaires et collégiales au Québec.
@Véronique et @Charlotte Que le débat s’élargisse pour finir par inclure des enjeux qui n’ont au final qu’un lien philosophique avec la hausse des frais de scolarité est une bonne et une mauvaise chose. C’est une bonne chose au sens où ça dénote une prise de la conscience de la jeunesse par rapport à tous ces enjeux qui reçoivent moins d’attention qu’ils ne le devraient, comme vous le soulignez. C’est une mauvaise chose au sens où ces enjeux ne seront certainement pas réglés dans le cadre de la grève étudiante, et parce que les étudiants n’ont pas de revendications claires en ce qui les concerne. De faire durer la crise présente au nom de ces autres débats est dangereux. Simplement parce que le temps fait défaut, et que le risque de nuire sérieusement à la qualité de la formation de toute une génération de jeunes deviendra dans les prochains jours bien réel. Mon article n’est pas un appel à un abandon de la lutte pour une meilleure gouvernance et de meilleurs services sociaux. Tout ce que je souligne est que des gains importants sur l’accessibilité scolaire ont été obtenus dans les dernières semaines, et que d’autres concessions du gouvernement sont probablement à venir. Dans ce contexte, je crois qu’il serait sage d’accepter ce que le gouvernement met sur la table. Rien n’empêche de continuer à militer par après, et avec les élections imminentes, je ne crois pas que le mouvement de contestation risque l’essoufflement.