Conflit étudiant : Contre la loi 78
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Conflit étudiant : Contre la loi 78

Près de deux semaines après l’adoption de la loi 78, un collectifs d’artistes, intellectuels et syndicalistes nous ont fait parvenir cette lettre dans laquelle il demande au gouvernement Charest d’abroger cette loi qui, selon eux, est une grave entrave à la liberté d’expression citoyenne.

Nous artistes, intellectuels et syndicalistes, nous levons pour dénoncer la loi 78 qui attaque les droits et libertés fondamentaux garantis par les Chartes canadienne et québécoise.

Nous constatons notamment que la liberté d’expression est bafouée par les limites intolérables imposées aux manifestations dans le temps, le nombre et l’espace; que la liberté de conscience est violée par la création du délit d’opinion; que la liberté d’association est menacée par des mesures sans précédent contre le droit de s’organiser.

L’article 30 de cette loi, en stipulant que « quiconque aide ou amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi commet lui-même cette infraction », ouvre la porte à toutes sortes d’interprétations, jusqu’aux plus farfelues, qui en viennent, au final, à laisser l’application de ladite loi au jugement arbitraire des policiers ou des directions d’établissements d’enseignement.

Un enseignant qui propose la lecture des Misérables de Victor Hugo, où l’on voit le peuple se soulever contre un gouvernement injuste, et suscite ce faisant l’exaltation d’un de ses élèves qui, contaminé par Gavroche, décide de descendre dans la rue, devient-il un contrevenant en vertu de la loi 78 ? Quelqu’un qui offre de l’eau aux gens qui brandissent des pancartes par grande chaleur est-il hors-la-loi ? Le professeur qui décide de ne pas punir l’élève gréviste à qui l’on enseigne l’implication citoyenne depuis son entrée à la maternelle, est-il coupable d’une infraction ? Qui déterminera à partir de quel moment l’acte de liberté d’expression devient prohibé ?

Non seulement cet article de loi est-il remarquable par l’absurde impossibilité d’une rigoureuse mise en application sans faire appel au jugement personnel — et donc subjectif — du détenteur de l’autorité, mais aussi ouvre-t-il la porte à la dangereuse logique de la dénonciation, selon laquelle celui qui, effrayé par les menaces d’amendes et se sentant menacé par tel voisin ou collègue exerçant simplement sa liberté d’expression, portera plainte à la police.

Nous ne pouvons donc que condamner cette loi qui, en plus de brimer certains des droits humains fondamentaux, ouvre la porte à la délation politique, ce à quoi les citoyens libres d’un pays démocratique se doivent de s’opposer de toutes leurs forces.

Parce que la parole citoyenne nous est chère et parce que nous voulons continuer de la chérir. Parce que nous sommes mus par l’espoir d’une démocratie citoyenne, ouverte, perméable à la divergence d’opinion, à la différence et à la marginalité qui en font la richesse.

Nous croyons fermement que la loi 78, en l’occurrence en son article 16, est une grave entrave à la liberté d’expression citoyenne, brimant les droits de gens de toutes les allégeances, de tous les âges, de toutes les provenances. Parce que refuser à la parole d’être spontanée, c’est d’abord refuser la parole.

Nous, artistes et écrivains, croyons que l’expression des idées, des émotions, des points de vue, ne tolère aucune censure, aucun étouffement. Nous savons qu’empêcher la prise de parole, pendant huit heures comme pendant mille heures, en un lieu ou un autre, ou l’assujettir à la force physique, à l’intimidation et à la peur, sont des actes liberticides. Nous dénonçons la loi 78, éteignoir de consciences érigé en système juridique, bâillon légal destiné à étouffer la voix de la contestation et de la colère dans la gorge citoyenne. Nous refusons d’admettre, de cautionner le recours à des pratiques légales détournant les principes fondateurs de notre démocratie, comme la liberté d’expression. Nous savons que taire est totalitaire. Nous prenons la parole.

La loi 78 comporte plusieurs atteintes à la liberté académique des enseignants et notamment leur liberté de conscience et d’enseignement.

La loi réprime le droit de grève des étudiants en faisant des enseignants des agents de répression. Ceux-ci sont instrumentalisés dans la mesure où ils doivent contribuer à transformer la grève en boycott. Ainsi, la négation du droit de grève des étudiants n’a d’efficacité que si les enseignants mettent en échec les étudiants qui ne sont pas présents en classe à la reprise des cours, lorsque ceux-ci demeurent en posture de « boycott ». Comme les enseignants sont forcés d’enseigner, c’est donc par leur action que les étudiants subissent la contrainte de la loi 78.

Dans plusieurs conventions collectives, les libertés académiques de conscience et d’enseignement sont des libertés reconnues. Concrètement, cela veut dire que les professeurs sont les mieux à même de juger dans quelles conditions les cours peuvent être poursuivis. Les enseignants pourraient décider pour des raisons de liberté de conscience ou tout simplement de bon sens académique qu’il est inacceptable d’enseigner à 25% de la classe dans un contexte de conflit social. L’enseignant pourrait également décider qu’il est problématique d’enseigner à un groupe d’étudiants appartenant à une association qui aurait majoritairement voté en faveur de la grève. Il peut estimer que les tensions et conflits entre étudiants qui seraient engendrés par cette décision ne sont pas propices à un enseignement de qualité.

En somme, la liberté individuelle qui a été privilégiée dans les injonctions accordées aux étudiants qui voulaient reprendre leurs cours ne fait pas que porter atteinte à la démocratie au sein des associations étudiantes. Elle heurte aussi de plein fouet les libertés académiques de conscience et d’enseignement des enseignants.

D’autres dispositions dans la loi portent atteinte à la liberté de conscience et à la liberté académique des enseignants.  Les étudiants jouissent d’une option fast track pour déclencher un recours collectif contre l’enseignant. La loi prévoit de surcroît que les syndicats et «associations de salariés» (sic) doivent tout mettre en oeuvre pour forcer les enseignants à donner leurs cours à la reprise. S’ils ne le font pas, ils sont passibles d’amendes extrêmement importantes. Ces deux dispositifs pervertissent l’accès au savoir et liquident le droit de grève étudiant. Chaque enseignant sera alors confronté au mois d’août à une décision individuelle extrêmement importante, peut-être la plus importante de sa vie d’enseignant: choisiront-ils d’être des agents de répression qui liquideront le droit de grève des étudiants ainsi que leur propre liberté académique ?

Nous, intellectuels et enseignants, nous levons contre une loi qui bafoue la liberté académique et la liberté de conscience.

La loi 78 attente gravement au droit d’association, surtout celui des étudiantes et étudiants en prévoyant des amendes excessivement lourdes et abusives à son article 26, ce qui risque de détruire toute association étudiante et tout syndicat qui aurait le malheur de ne pas dénoncer un de ses membres qui n’obéit pas à la loi.

En soumettant les syndicats et associations de salariées et de salariés à des amendes si démesurées dès que l’un de ses membres n’obéit pas aux articles 10 et 11, elle punit les syndicats d’enseignantes et enseignants, d’employées et employés de soutien, de techniciennes et de techniciens pour des faits qui, éventuellement, ne seraient pas de leur connaissance.

Elle prévoit même, chose totalement inusitée, à son article 19, que des membres d’une association étudiante soient exemptés de leur obligation de cotiser à leur association si celle-ci manifeste son opposition par des piquets de grève ou des levées de cours.

Nous, syndicalistes, pour ces raisons et pour d’autres encore, nous levons contre la loi 78 qui bafoue le droit d’association.

Nous, artistes et écrivains, intellectuels et enseignants, syndicalistes, condamnons une loi abusive, liberticide et totalitaire.

Nous exigeons l’abrogation immédiate de cette loi.

Michel Seymour, philosophe
Christian Nadeau, philosophe
Hugo Latulippe, cinéaste
Dominic Champagne, metteur en scène
Éric Pineault, chercheur
Marie Blais, syndicaliste
Francis Lagacé, syndicaliste
Jean-François Caron, écrivain
Marie-Christine Bernard, écrivaine
Alain Deneault, chercheur
Guy Rocher, sociologue
Michel Duchesne, syndicaliste
Aldo Miguel Paolinelli, syndicaliste
Pascale Dufour, professeure
Raphaël Canet, sociologue
Camil Bouchard, professeur associé
Atïm Leon, syndicaliste
Martin Léon, auteur-compositeur-interprète
Francine Pelletier, journaliste et documentariste
Annie Roy, artiste interdisciplinaire
Pierre Allard, artiste interdisciplinaire
Alexis Martin, dramaturge
Louis-Philippe Blanchette, professeur au cégep
Alain Vadeboncoeur, médecin et enseignant
Patrick Duguay, coopérateur
Christian Vanasse, auteur et humoriste