Pussy Riot : La démocrature russe
Je pense que

Pussy Riot : La démocrature russe

En réaction au verdict condamnant les trois femmes, membres de la formation russe Pussy Riot, à deux ans de détention pour avoir effectué une « prière punk », dans une église, Olivier Lamoureux-Lafleur, étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQÀM, nous a fait parvenir cette lettre au sein de laquelle il dénonce ce que certains appellent la « démocrature russe ».

La sentence est tombée, trois des jeunes féministes du groupe punk-rock russe Pussy Riot passeront les deux prochaines années dans une colonie pénitentiaire, communément appelée en Russie un camp. La raison semble très évidente pour les juges qui ont traité le dossier, ces opposantes du gouvernement de Vladimir Poutine auraient «violé l’ordre public», et «offensé les sentiments des croyants». Pourquoi cela ? Pour avoir chanté une prière punk anti-Poutine dans la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou le 21 février 2012. Une performance artistique qui aurait bien pu porter le nom du manifeste des futuristes russes, La gifle au goût public. En 1912, du haut des gratte-ciel, les futuristes russes contemplaient la nullité des classiques de la littérature russe. Ils étaient provocateurs, avant-gardistes, ils voulaient chambarder le monde de l’art tout en repensant les mœurs sociales. La conjoncture socio-artistique n’est certainement pas la même aujourd’hui et les buts bien différents, mais le moins que l’on puisse dire c’est que les Pussy Riot, en présentant des performances artistiques très provocatrices, contemplent et critiquent à leur tour la nullité de cette démocratie d’apparence, de ce que les soviétologues russes ont nommé la démocrature. Le poète futuriste russe Maïakovski, dénonçant le silence coupable des indifférents écrit en 1915, dans le Nuage en Pantalon, «La rue se tord dans son mutisme – Elle n’a rien pour crier ni faire la conversation». Et bien les Pussy Riot auront osé briser ce mutisme qui règne en Russie depuis trop longtemps, elles ont tenté par le biais de l’art de passer un message très clair : la société civile doit réellement s’implanter en Russie, l’État de droit ne doit plus être un mythe, ou plutôt une fiction commanditée et contrôlée par Gazprom.

Il faut bien se le rappeler, c’est dans une perspective totalitariste que Staline purgera les éléments antisoviétiques dans le milieu des années 1930. Seulement entre 1936 et 1938 deux millions de personnes seront assassinées pour des motifs extrêmement douteux. Les grandes purges venaient de voir le jour et le goulag, acronyme de Glavnoïé oupravlénié laguéreï, et qui signifie Administration principale des camps, allaient accueillir beaucoup de nouveaux visiteurs, entre 10 et 18 millions au total. Le goulag comportait deux sections distinctes, un camp de travail, d’où peu en sont sortis vivants, et un autre qui portait le nom de colonie de travail. Aujourd’hui en Russie, la grande héritière du Goulag s’appelle la colonie pénitentiaire. Les trois jeunes dames des Pussy Riot, âgées de 22, 24 et 30 ans iront passer les deux prochaines années de leur vie dans ce type d’établissement, qui est à glacer le sang, pour la simple et bonne raison qu’elles se sont levées debout devant la dictocratie de Vladimir Poutine. Revenons-en au système carcéral russe. À titre informatif, avec ses 900 000 détenus, la Russie se place au deuxième rang dans le monde pour son taux d’incarcération, tout juste derrière les États-Unis et ses colonies pénitentiaires ne sont pas reconnues pour être un camp de vacances, au contraire. Sur les 700 colonies, dans 50 d’entres elles la torture est pratique courante. Seulement en 2008, quatre détenus ont été battus à mort dans la colonie numéro 1 de Kopeisk. Certains ont bel et bien tenté de faire l’éclairage sur ces pratiques, notamment Alexei Sokolov, grand défenseur des droits et libertés qui fut, à notre grande surprise, arrêté et emprisonné en 2009 après la sortie de son film L’industrie de la torture.

Ce pays qui se revendique du communisme, même si cette année le Classement Forbes nous apprenait que Moscou est devenu la ville du monde qui compte le plus de milliardaires, est bien loin de rendre hommage à la théorie d’un certain Karl Marx. Comme l’aurait exprimé le penseur russe Roman Jakobson, cessons de gaspiller nos générations d’artistes messieurs les gouvernants de la Russie. De la même manière que plusieurs l’ont fait, j’applaudis les gestes inspirants posés par les Pussy Riot tout en saluant leur courage et leur ténacité. Artistes de tous les pays, unissez-vous !

Olivier Lamoureux-Lafleur
Étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQÀM