Élections 2012 : Cachez cette jeunesse que nous ne saurions voir, de préférence sous le tapis
Je pense que

Élections 2012 : Cachez cette jeunesse que nous ne saurions voir, de préférence sous le tapis

Tandis qu’il ne reste qu’une semaine à l’actuelle campagne électorale, plusieurs ont noté le fait que les principaux partis n’ont pratiquement pas évoqué le conflit étudiant qui dure depuis février dernier. Tel est le cas de Benoît Coutu, chargé de cours à l’UQAM et directeur des éditions libres du carré rouge, qui nous a fait parvenir cette lettre.

Il y a quelque chose d’étonnant lorsqu’on réalise une veille médiatique, matin et soir, pour un parti politique pendant une campagne électorale, surtout après avoir participé à la constitution d’une imposante banque de données médiatiques sur la grève étudiante. L’obligation d’une lecture soutenue des nombreux articles parsemant les journaux francophones et anglophones, donne le privilège d’être au fait de l’actualité, de lire l’ensemble des différents discours et points de vue, tout en les inscrivant dans une globalité. La consigne veut que je me retienne d’émettre des commentaires. Mais après plusieurs semaines de campagne électorale et la récente « confusion » (c’est un euphémisme) entourant la rentrée universitaire, je ne peux m’empêcher d’outrepasser ce devoir de réserve.

Comme plusieurs personnes, j’ai remarqué l’étrange et éloquent silence des candidats concernant les enjeux soulevés par la jeunesse québécoise, et ses sympatisants, depuis le début du « printemps érable ». Inlassablement, jour après jour, les trois principaux partis politiques promettent vents et marées à une population éreintée, surendettée et désenchantée, tout en faisant du mieux qu’ils le peuvent pour éviter de s’étendre sur les charbons ardents des inquiétudes, volontés et espérances de notre jeunesse en soif d’un avenir viable d’égalité, de justice sociale, de bien-être et de liberté, tant à un niveau individuel que collectif. Celle qui a « crié plus fort pour que personne ne l’ignore », et qui, adulte, participe déjà pleinement à notre société, a su s’imposer comme un acteur politique majeur et incontournable. À nos problèmes sociaux, économiques, politiques, écologiques, elle a présenté des pistes de solutions réalistes et réalisables, à condition d’accepter la nécessaire transformation d’un mode de vie désuet nous entrainant vers le fond d’on ne sait quoi. Paradoxalement, on ne saurait la voir, et elle semble n’avoir eu aucune incidence, positive ou négative, sur les programmes présentés les candidats aux élections, qui préfèrent éviter les questions à ce sujet.

À l’encontre de la profondeur et de la maturité de cette jeunesse, les candidats font preuve d’un incroyable manque d’imagination. Outre quelques éléments périphériques, dont celui de faire sortir le vote des jeunes – pensée qui implique a priori que les jeunes sont apathiques, réduisant par le fait même la participation politique au seul vote électoral -, les chefs des partis ne tiennent qu’une seule et même position : celui de la moralisation culpabilisante et de la réduction à la variable budgétaire socioéconomique. Car c’est bien la seule chose que les trois « grands » partis offrent à la jeunesse québécoise : « soyez une bonne catégorie socioéconomique majoritaire silencieuse, et alors peut-être nous vous écouterons ». Les accusant à tort de nuire à l’économie du Québec, Charest tient les étudiant-e-s pour responsables d’une crise sociale latente dont ils ont eu le courage d’en manifester l’existence. À leurs demandes, il répondit par la matraque. Pauline Marois annonce « préventivement » qu’ils porteront le fardeau d’un possible gouvernement minoritaire et les appelle à obéir à une loi indigne qu’elle veut abroger, tout en leur rappelant par la bande les coûts de leur éducation. François Legault les accuse d’être des fainéants et des irresponsables, comme si toute la vie de la jeunesse se résumait au travail ardu afin de travailler toujours encore plus après et ce, sans reconnaitre qu’ils travaillent déjà amplement comme le prouvent les statistiques. Tous les accusent implicitement d’être responsables de la répression qu’ils subissent.

Définitivement, dans l’imaginaire social, la catégorisation « jeune », qui a fait l’âge d’or de nos sommets socioéconomiques, les a isolé des autres générations. Chaque parti impose aux étudiant-e-s de faire leur « juste part », chaque parti réduit la crise sociale à un supposé drame psychosociologique d’intégration sociale, chaque parti ne leur promet rien, tout en leur demandant une allégeance pleine et entière. Même la proportionnelle tant réclamée depuis des années ne vaut pas la promesse, aussi fausse soit-elle. Cette jeunesse est toujours traitée comme un être à part, à elle de l’accepter ou non. Une catégorie sociale, une boîte, pas de vase communiquant. Toute la richesse du mouvement social soulevé par la jeunesse étant évacuée d’un seul clin d’œil, encore une fois, le Québec s’apprête à faire du surplace dans la servitude volontaire. Chaque parti parle la langue du changement dans la continuité.

Le résultat de cette vision des « choses » s’exprime dans le mépris manifesté par les trois partis et les directions d’universités qui encouragent l’intervention des gardes de sécurité et des forces policières contre des étudiant-e-s et des enseignants au sein même des universités – pratique dont on accusait autrefois les pays dits non-démocratiques. Et voilà que l’UQAM, où nombre d’employés et enseignants ont témoigné du calme relatif dans lequel se sont déroulées les levées de cours de lundi et mardi derniers, a décidé de suivre le chemin tracé par l’université de Montréal et la loi 12. Pourquoi agir ainsi? Pour faire comme un gouvernement dont très peu de personnes espèrent la réélection, c’est-à-dire simplement pour continuer d’obtenir leurs privilèges, de gérer les apparences de paix sociale avec des œillères bien serrées, ce qui leur évite de se sentir responsable de prises de décisions qui octroieraient de facto un minimum de reconnaissance à ceux dont on veut taire les voix, et ainsi ouvrir la porte à un réel changement tant espéré. Non, un étudiant, c’est de l’argent, point à la ligne. Avec d’un côté, la légitimation de l’impunité policière, que seul un policier à la retraire a osé dénoncer dans les pages du Devoir, et de l’autre, un tel « oubli de la société » contre les jeunes, il ne faut pas s’interroger longtemps pour comprendre pourquoi ceux-ci n’iront plus voter, du moins contre les trois partis monolithiques. Mais je me dis que, finalement, peut-être c’est ce que ces partis veulent, alors qu’ils devraient suivre l’exemple que la population québécoise et sa jeunesse leur a démontré dans les derniers mois.

Benoît Coutu
Chargé de cours, sociologie, UQAM.
Directeur des éditions libres du carré rouge