Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault: Si j'étais ministre de la culture
Je pense que

Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault: Si j’étais ministre de la culture

Dans le cadre de la campagne électorale, le Conseil Québécois du Théâtre compte bien inclure l’art et la culture dans les débats. Pour ce faire, ils publieront une lettre par jour signée par une personnalité qui doit répondre à la question: « si j’étais ministre de la culture ».

Nous publions aujourd’hui la lettre de Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault, Codirecteurs artistiques du Carrousel, compagnie de théâtre qui ont accepté de participer à cet exercice.

Si j’étais ministre de la Culture et des communications… Finies les communications et vivement la Culture. Je décaperais d’abord le mot des sens restrictifs et réducteurs qui lui collent à la peau depuis 50 ans. La culture comme commerce, marché, entreprises qui s’achète et se vend. La culture comme revendication identitaire qui se demande si elle porte ou non le foulard et non comme richesse collective. La culture comme fourre-tout pratique pour les jeux vidéo, tricot, bricolage, recettes de cuisine et écrans qui se vendent, s’achètent, tuent le temps, l’imaginaire et l’énergie. Je définirais la Culture que je veux défendre par le mot : désir. Désir d’inconnu, d’intangible, d’étrange et d’étranger, désir d’échapper au ronron et de se mesurer à plus grand que soi…

Je me souviendrais que Ti-Jean dans les longues soirées d’hiver au coin du feu appelait déjà à l’aventure, au rêve, à la démesure. Je me souviendrais que nous avons de solides repères qui ont fondé la Culture d’ici, lui ont donné son panache et sa grandeur, de la classe dans un « parler de circonstance », disait Michèle Lalonde. Je nommerais à haute voix Le Refus global qui en désobéissant ouvrait les portes. Je me souviendrais que

Jordi Bonet, dans un éblouissant scandale, éveillait la conscience québécoise de sa raisonnable torpeur en reprenant le cri du cœur de Claude Péloquin Vous êtes pas écœurés de mourir bandes de caves? C’est assez! Je me souviendrais que la Nuit de la Poésie racontait un passé de colonisateurs colonisés dans des mots aussi grands que les plus grandes tirades de Racine. Je me souviendrais…

Je reviendrais à la Culture contemporaine fort de notre histoire.

2014… Pasolini est plus actuel que jamais, lui qui voyait la Culture comme résistance à la distraction… omniprésente. Cette phrase devient mon plan d’action.

– Être un lien vivant et vibrant de la culture la plus contemporaine entre passé et futur.

– Aimer notre culture, la connaître, la fréquenter dans son foisonnement délirant et savoir convaincre que la Culture d’ici, d’une vitalité exceptionnelle, s’impose comme une des plus originales dans le monde.

– Revoir l’équation entre Culture, mieux être ensemble, fierté, rayonnement et les trop chiches moyens accordés sur de fausses prémisses : la Culture n’est pas dépense. Elle est investissement durable, propre et ses effets multiplicateurs sont exponentiels.

– Savoir convaincre les institutions : gouvernement, ministères (celui des finances), médias et même les mécènes dont le pouvoir grandit de sortir des chemins battus balisés de grands noms, de gros égos, de grands moyens et de chercher la culture porteuse de grands espoirs.

– Savoir convaincre le gouvernement et le ministère de l’Éducation que la Culture se fréquente dès le premier souffle et que les images offertes à l’âme ne sont pas seulement représentatives, mais constitutives. La Culture est connaissance, de soi, de l’autre, du monde.

– Me souvenir que Small is beautifull et répartir les fonds en conséquence : ARRÊTER D’ARROSER OÙ C’EST MOUILLÉ, pour que la Culture dans toutes ses manifestations fasse vivre ses artistes dignement. Tous ses artistes.

NE PAS OUBLIER D’ÉCRIRE EN GROSSES LETTRES AU-DESSUS DE MON BUREAU la phrase de Pierre Péju : « Il s’agissait […] de ce besoin de l’être humain de maintenir le monde en ordre et d’en maîtriser les puissances et les terreurs à l’aide d’un récit. Ce récit […] faisait toute la différence entre la survie et la vie humaine donc communautaire. » Placer la phrase de Péju à côté de celle de René Lévesque : « Nous sommes peut-être quelque chose comme un grand peuple. », et me souvenir que c’est à sa Culture que l’on reconnaît un peuple.

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