Cuisine de rue à Montréal : Monsieur Coderre, répondez!
Je pense que

Cuisine de rue à Montréal : Monsieur Coderre, répondez!

Montréal, lundi le 5 mai 2014

Monsieur Coderre, SVP répondez-moi! Ma PME qui emploie plus de 80 personnes dans votre arrondissement et qui a participé au projet-pilote de cuisine de rue 2013, ne mérite pas de subir les impacts d’un tel dérapage.

L’Assommoir Mobile fut sélectionné pour le projet pilote de cuisine de rue lors de l’été 2013. Il participa activement à son essor et son rayonnement. Toutefois, mercredi, le 23 avril 2014, à une semaine du début de notre seconde saison, notre PME s’est vue écartée du projet, sans plus d’explications qu’un courriel de trois lignes sans signature ne faisant état d’aucune faute. Comme entrepreneur ayant investi plus de 200 000$ afin de respecter les exigences de la ville, je m’indigne! M. Coderre, est-ce que l’appellation « pilote » du projet cuisine de rue vous permet de justifier l’improvisation et l’incompétence qui transpire du processus?

Cela fait plus d’une semaine que je tente de vous parler. Lundi le 28 avril, une lettre signée par quatre des propriétaires de camion-restaurant ayant participé au projet pilote 2013 vous a été déposée, laquelle faisait l’étalage de toutes les invraisemblances dans ce projet. Par la suite, je me suis buté à une somme de fonctionnaires arrogants, ignorant les véritables enjeux et impacts du dossier qui nous concernent! Ils ont  cherché, par tous les moyens, à cacher les erreurs d’un projet outrageusement bâclé. Vos belles promesses de transparence, d’imputabilité et d’incorruptibilité n’étaient-elles qu’un leurre destiné à vous faire élire ? Suis-je moi-même tombé dans le piège en votant pour vous ?

Mon nom est Emmanuel Lopes, je suis restaurateur de métier, président-fondateur des restaurants L’Assommoir, lesquels fêtent cette année leurs dix ans dans le Mile-End, et leurs cinq ans sur la rue Notre-Dame, en plein cœur de Ville-Marie. Je vous écris en tant que citoyen, mais aussi en tant que propriétaire dirigeant de PME scandalisé et en colère. Mon entreprise génère un chiffre d’affaires qui dépasse les cinq millions de dollars, et ce dans un secteur d’activité périlleux, qui encaissera, encore cette année, des baisses drastiques en matière de profitabilité. Les restaurants rentables sur l’île de Montréal sont de plus en plus rares : plus de 70% des restaurants ferment leurs portes au cours des cinq premières années de leur vie. Est-ce acceptable? Ne voyez vous pas toutes ces vitrines couvertes de papier brun? Vous comparez Montréal à New York en affirmant que les restaurateurs d’ici n’ont pas à avoir peur de la cuisine de rue? Selon les statistiques[1], il y a un permis de restaurant pour 292 personnes à Montréal, tandis que le ratio est d’environ un pour 1350 pour la métropole américaine. Sinon, vous n’êtes certainement pas sans savoir qu’à New York, il y a plus de 55 millions de visiteurs chaque année, alors que Montréal peine à atteindre les huit millions. Vous comparez donc une belle grosse pomme avec notre ville faisant figure de pomme d’api dans cette analogie. En affirmant que la ville est mûre pour la cuisine de rue, vous faites abstraction également de l’information se dégageant de l’expérience d’une ville comme Boston, laquelle a publié un rapport complet avant l’implantation de la cuisine de rue[2].

En outre, en appuyant le projet pilote dans sa forme actuelle, vous soutenez, favorisez et privilégiez une concurrence déloyale. L’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) ne vous lâchera pas à ce sujet. Comment voulez-vous que nous nous battions contre des gens qui ne partagent pas du tout la même structure de coûts fixes? J’occupe un loyer dans le vieux Montréal de 30 000$ par mois. Les taxes d’affaires sont de 75 000$ par année. Je ne peux accepter qu’un camion qui a son lieu d’affaires à 30 km d’ici vienne me concurrencer dans mon quartier sans payer le « bill ». La même maison identique vaut-elle le même prix dans Outremont et dans Montréal Nord? Vous devez absolument et inconditionnellement prioriser les restaurants installés dans les secteurs où vous implantez la cuisine de rue afin de leur donner une arme de plus pour garantir leur survie et non une concurrence supplémentaire.

Au niveau du processus de sélection, plusieurs éléments importants n’ont pas été pris en compte. Je vous relève ainsi plusieurs aberrations :

  • Comment peut-on exclure le critère de proximité des camions de leur lieu de production? Plus proche, c’est moins d’essence, donc moins d’impact environnemental, moins de risques liés aux déplacements et plus de garanties en matière de qualité et de fraîcheur. C’est la seule façon d’arriver à atteindre votre critère de bas prix sans affecter la qualité, le goût ou la quantité.
  • L’absence d’étude sectorielle sur la restauration permettant de connaître les enjeux importants reliés à l’industrie. Le responsable du comité a timidement avoué qu’ils avaient sélectionnés les camions offrant les plus bas prix parce qu’ils avaient eu des pressions venant de la population et qu’ils désiraient s’ajuster aux demandes. Tout cela, sans se questionner sur l’impact pour les entrepreneurs et leur rentabilité. Ils ont choisi pour le client que la qualité ne serait pas un critère et que le nivelage vers le bas était la solution. Faites l’exercice : allez à l’épicerie, achetez pour deux dollars et essayez d’impressionner vos convives.
  • Est-ce normal qu’un comité de sélection puisse juger d’une offre gastronomique sans goûter un plat? Est-ce qu’il serait jugé adéquat que les Oscars soient décernés par un jury qui n’a vu aucun des films en nomination ? Comment le seul chef de cuisine de votre panel a pu accepter d’annoter, sur papier, de la nourriture? N’importe qui peut copier la meilleure recette du monde et la mettre sur papier… Si l’on fait le calcul, neuf camions auront été admis sur le projet sans que la ville n’ait goûté leur produit.
  • Est-ce normal que les clients ayant mangé dans nos Food Trucks l’année dernière n’aient pas été consultés? Dans le cas de L’Assommoir, c’est environ 10 000 personnes qui ont apprécié l’expérience. C’est aussi plus de 100 000 personnes qui, chaque année, passent dans mes restos. C’est la loi du marché, c’est le client qui choisit et dans mon domaine c’est l’unique vérité qui compte.
  • Comment des critères comme la salubrité et la sécurité ont-ils pu être oubliés ? Personne n’est jamais venu voir nos camions. Le mien est l’un des plus avancés techniquement. Il me permet, entre autres, de maintenir mes températures aux niveaux exigés par le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), en plus de respecter les normes de sécurité, d’incendie et d’hygiène. Comment la sécurité a pu ne pas être considérée? Nous conduisons des bombes sur roues dans les quartiers de Montréal et personne n’a pensé évaluer et encadrer ce point ?

Depuis l’année passée, nous avons demandé à plusieurs reprises, via l’Association des restaurateurs de rue du Québec (ARRQ), d’avoir du feedback de la part de la ville, quant à notre participation au projet pilote 2013. Un feedback qui n’est jamais venu, puisque votre équipe n’a jamais daigné se présenter aux rencontres pour nous écouter.

Depuis le début de ce projet pilote, nous nous sommes présentés jour après jour sur des mauvaises locations d’exploitation sachant pertinemment que nous étions pour manger nos bas. C’est plus de 60 000 dollars que nous avons perdus, en plus des investissements originaux pour le camion, sans compter les 20 000 $ investis pour la préparation de la saison 2014. Tout ça pour apprendre une semaine avant le début du projet que nous n’étions pas retenus. Pour notre organisation, c’est plus de dix personnes à temps plein qui ne travailleront pas cet été, un avis donné à une semaine du début de la saison. Dites-moi qui peut traiter ses partenaires de la sorte?

Je travaille plus de 60 heures par semaine depuis 10 ans et je me dois d’être inventif, créatif, persuasif et performant afin de pouvoir mener mon bateau à bon port. Le plus drôle dans tout ça c’est que j’ai l’impression que vous et votre équipe avez maintenant le contrôle sur le vent… Comme père de deux jeunes garçons, je suis enragé de voir qu’impunément, vous mettez à risque la sécurité financière de mon ménage et ce, malgré les aveux de vos fonctionnaires, lesquels ont tous fini par admettre que le processus de sélection n’avait pas de bons sens, que c’était injuste, mal fait, mal pensé, mal planifié, mal défini, mal défendu, parce qu’indéfendable… Monsieur le maire, la semaine dernière, dans la presse, vous vous cachiez sous une annonce glorieuse de la nouvelle saison de cuisine de rue et de ses camions choisis, pendant que vos fonctionnaires nous ressassaient la même ligne plate qu’on leur avait clairement ordonné de nous servir. Le tout, dans un contexte où on apprend que madame Gaëlle Cerf de l’ARRQ, responsable de l’horaire des camions dans Ville-Marie, vous a officiellement recommandé d’avoir au moins 35 camions cette année, et ce afin de  pouvoir combler son horaire. On nage totalement dans le délire M. Coderre.

Le comité de sélection a-t-il vraiment suivi la liste des critères émise ou a-t-il simplement profilé ceux qui ne partageaient pas la même vision de la cuisine de rue. Dans notre cas, après qu’on se soit expliqué de long en large devant des fonctionnaires, aucun argument valable expliquant notre refus n’a été mentionné. De plus, l’un des cinq membres du comité écoutant chacune de nos questions a fini par nous dire et je cite : « dans votre cas, c’est le prix ». Depuis le début, j’essaie de ne pas égratigner ce comité que vos gens ont pris tant d’ardeur à défendre, mais à voir votre relationniste de presse raconter que nous n’avons pas fait la cote afin d’être sélectionné, là je retire mes gants blancs et je mets mes gants de boxe… Quel mauvais message cela envoie-t-il à ma clientèle ? Quel message cela envoie-t-il aux bons entrepreneurs ? Aucun homme d’affaires averti ne se lancera dans un tel projet dorénavant et vous vous ramasserez avec des rêveurs qui travailleront sous le salaire minimum pour respecter vos critères sans aucune garantie de loyauté de votre part et sans aucun engagement. Investir intelligemment sur 1 an ?  C’est franchement débile.

Finalement, comme restaurateur du Vieux-Montréal, je m’opposerai farouchement à cette totale injustice en matière de saine concurrence. Je me suis commis dans ce projet parce que moi, j’avais fait mes devoir et j’avais compris qu’il était essentiel au succès de l’implantation de cuisine de rues que les restaurateurs montréalais appuient cette initiative remplie de tant de possibilités. Ma Société de développement commercial (SDC) sera aussi du nombre des opposants. Comment voulez vous qu’il en soit autrement ?

Je vous aurais écrit encore plus M. Coderre, mais le soleil se lève et mon plus jeune vient de se réveiller, c’est une autre journée qui commence pour moi,  je dormirai à un autre moment. Le 7 mai au conseil d’arrondissement, je m’attends à ce que vous me répondiez publiquement. Suite à vos promesses de transparence, d’intégrité et d’imputabilité, saurez-vous agir en conséquence et redresser une situation autant  préjudiciable ?

Que dire de plus…

P.S. J’aurais aimé venir avec mon camion, afin de vous faire goûter à nos produits, mais il sera à Toronto afin de promouvoir le Festival de Jazz en collaboration avec Tourisme Montréal qui l’a nommé cette semaine comme l’un des 10 food trucks les plus attendus cet été à Montréal.

Emmanuel Lopes
Propriétaire, restaurant L’Assommoir
[email protected]

 


[2] http://www.cityofboston.gov/cityclerk/hearing/upload_pdfs/docket_pdfs/160411282010.pdf

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Photo 1 : L’Assommoir Mobile à la Cité du Multimédia, en juillet 2013.

Photo 2 : L’Assommoir Mobile devant le restaurant de la rue Notre-Dame ouest, dans l’arrondissement Ville-Marie.

Photos par Vincent Vaillancourt-Séguin.