Lettre ouverte : Plaidoyer contre le Théâtre cannibale
Je pense que

Lettre ouverte : Plaidoyer contre le Théâtre cannibale

Considérant que chaque année les Auditions générales du Quat’sous sont un véritable marché ouvert d’acteurs à la recherche de pain pour survivre;

Considérant que le théâtre québécois actuel sert en grande partie le simple divertissement prêt à être mis sous la dent plutôt que l’expérience scénique transcendante qu’il pourrait rechercher;

Considérant les études menées par le milieu sur la formation professionnelle, proposant de fermer des programmes de jeu pour des raisons de quantité, non de qualité, considérant que ces études n’interrogent aucunement ce que devrait être le contenu de la formation d’un créateur scénique;

            Le Théâtre de l’Odyssée a souhaité s’attaquer à ces célèbres auditions publiques au Théâtre Quat’sous. Notre collectif autodidacte et autogéré s’est lancé dans une série de guérillas artistiques. Le 26 mai était pour nous l’occasion de dénoncer la tendance du théâtre québécois actuel à se consumer lui-même. Les Auditions générales du Quat’sous représentent sans nul doute le phare de cette réalité. Chaque année, environ 70 interprètes théâtraux s’arrachent les plumes et exposent leur chair fraîche lors de ce meatmarket devant agents et directeurs de casting, public affamé et impatient de garnir son estomac gourmet.

            Pendant que les gouvernements égorgent la culture, que les écoles de formations professionnelles les plus reconnues ignorent la recherche fondamentale et les voies alternatives au culte du personnage psychologique et textocentriste, hommes et femmes  de théâtre au Québec ne s’inquiètent encore que de la grosseur du plateau de viande fraîche qu’on leur offrira et des moyens qu’ils auront pour la consommer.

            À notre époque où la consommation est au centre des mœurs, où nous avons tendance même à nous entre-consommer, où nos vies souvent frivoles et superficielles débordent de Profane, il est de notre devoir d’artistes d’aller à contre-culture et de retrouver le Sacré de l’œuvre théâtrale, de les couvrir de questionnements universels. C’est une question de vie et d’essence.

            L’adoration aliénante du Dieu-Viande a beaucoup trop duré. Rares sont ces créateurs omnivores que nous pouvons regarder comme des exemples d’audace et de risque. Rares sont ces artistes sans OGM qui nous inspirent en créant leur propre manière de faire du théâtre.  Rares sont ces troupes, ces metteurs en scène, ces acteurs, ces performeurs qui arrivent à créer des courants et des axes de recherche. Rares sont ceux qui n’ont pas été formatés sur le convoyeur des écoles-usines. Il est temps de sortir de l’abattoir.

Nous savons très bien que la pratique artistique est un terrain ardu, et nous serons les premiers à exiger des gouvernements l’oxygène dont ils privent leurs créateurs. Cependant, que les mesures d’austérité ne servent pas de bouc émissaire à ces éleveurs de bétail. Sortons du confort. Apprenons à apprendre. N’ayons pas peur de débattre sur des enjeux de fond.

Place à la recherche fondamentale.

Place aux risques, à la relève des alternatives.

Place aux brèches dans cette épaisse bulle hermétique qu’est devenu le théâtre.

Cessons le cannibalisme théâtral et nourrissons réellement les rêves révolutionnaires qui sont l’étendard des artistes depuis toujours.