Montréal, le 5 mars 2015
Monsieur le Premier Ministre Philippe Couilllard,
Madame Hélène David, ministre de la Culture et des Communications,
Sujet : Questions pressantes au sujet de La Cinémathèque québécoise
La Cinémathèque québécoise est-elle en danger de mort à cause de toutes les réinitialisations de fonctionnement projetées par le Gouvernment du Québec?
La seule cinémathèque au Canada, membre à part entière depuis 1966, de la prestigieuse Fédération internationale des archives du film (FIAF) risque-t-elle d’être sacrifiée, elle qui s’efforce depuis des décennies de préserver les films de la destruction? Il n’y a pas si longtemps, au Québec, un important producteur et exploitant de cinéma ravivait occasionnellement les flammes de sa cheminée en y jetant de vieilles bobines de film au nitrate, souvent des bobines de négatif original.
La conservation du patrimoine cinématographique, une affaire urgente dans tous les pays du monde ayant une production cinématographique, est-elle menacée par les transformations nébuleuses que laisse planer le Gouvernement du Québec au-dessus de la Cinémathèque, fondée il y a 51 ans, et qui fait son possible pour conserver minutieusement tout ce qu’on lui confie?
La Cinémathèque assume pourtant un rôle essentiel à titre de mandataire du dépôt légal du film (patrimoine cinématographique, vidéographique et télévisuel) ce mandat sera-t-il conféré à d’autres qui n’en ont pas la compétence?
Est-il exact que le Gouvernement actuel s’apprête à forcer un mariage entre La Cinémathèque et la BAnQ (Bibliothèque et archives nationales du Québec) deux prétendantes qui, malgré leurs valeurs respectives, ne voudraient pas l’une de l’autre? N’est-il pas évident que ce mariage arrangé entre deux organismes qui n’ont pas les mêmes missions, ni les mêmes champs de compétence, serait voué à l’échec et pire encore? La Cinémathèque disparaîtrait sans doute à jamais, engloutie par la BAnQ.
Pareil accouplement a été tenté en France entre la Cinémathèque française et la Bibliothèque Mitterand, mais on s’est vite rendu compte de l’absurdité de pareilles épousailles.
Suivant la tradition, avant de célébrer un mariage, l’officiant demande toujours à l’assemblée si quelqu’un voit des objections à l’union proposée. Eh bien, oui, plusieurs d’entre nous s’objectent à cette fusion Cinémathèque/BAnQ, deux joyaux qui doivent demeurer indépendants l’un de l’autre.
Au lieu de songer à un mariage forcé, nous demandons instamment au Gouvernement du Québec de revoir sérieusement sa politique vis à vis la Cinémathèque québécoise.
1- En augmentant sa participation financière afin que la Cinémathèque puisse opérer de manière normale et stable.
Actuellement, Québec ne contribue qu’à hauteur de 50% au budget annuel d’opération de l’organisme sur lequel il a lui-même empilé les responsabilités, dont celle du dépôt légal. Le personnel de la Cinémathèque (qui n’a pas eu d’augmentation salariale depuis 2008) est si sollicité que l’archivage des films et des documents est quasiment en panne. C’est le seul musée au monde, nous croyons, qui a imposé depuis cinq ans un moratoire sur tous les dons qu’on lui propose par manque de personnel, de ressources et d’espace. Une complète aberration.
2- En faisant confiance à son conseil d’administration et à la directrice générale actuelle, Mme Yolande Cadrin-Rossignol. Il est faux d’imaginer qu’on économisera en fondant l’administration de la Cinémathèque et de la BAnQ.
3- En permettant à la Cinémathèque de vraiment remplir la mission qui est la sienne comme membre de la Fédération internationale des Archives du Film, c’est-à-dire: consacrer ses activités à la sauvegarde des films, considérés tant comme des oeuvres d’art que comme des documents historiques, récupérer, restaurer et montrer des films et des documents relatifs à l’histoire du cinéma, de ses débuts jusqu’à nos jours. De pouvoir mieux remplir son mandat permettrait même à la Cinémathèque d’augmenter ses revenus.
Restaurer des films. La Cinémathèque n’a jusqu’ici restauré que quelques œuvres, ses budgets ne lui permettant pas de remplir ce devoir de mémoire. Comme l’État du Québec a jusqu’ici complètement laissé au privé le devoir de restaurer le patrimoine cinématographique de long métrage (Voir Éléphant, mémoire du cinéma québécois) on pourrait croire qu’une partie de l’argent ainsi économisé pourrait servir à ne pas troubler la paix de la Cinémathèque et à lui permettre de s’épanouir davantage.
D’autant que pour poursuivre son travail de numérisation, de restauration et de diffusion, Éléphant a besoin de la Cinémathèque québécoise qui a souvent du mal à répondre à toutes les demandes. Il y a déjà un certain fouillis dans l’inventaire du patrimoine cinématographique québécois, n’augmentons pas le capharnaüm en forçant en ménage des prétendants incompatibles, avec toutes leurs dépendances. Mais si votre gouvernement tient vraiment à jouer les cupidons, pourquoi ne songerait-il pas plutôt à réunir la Cinémathèque et la Régie du Cinéma, un autre organisme que nous vous soupçonnons de vouloir aussi démanteler. (La Régie, qui fait de l’argent à même notre industrie, pourrait même devenir une sorte de «sugar daddy» pour la Cinémathèque!)
La Cinémathèque doit vivre telle qu’elle est, et surtout mieux que présentement; nous demandons donc au Gouvernement du Québec d’étudier sérieusement ce dossier avant de décider empiriquement d’un mariage que personne ne souhaite, y compris les protagonistes.
En espérant, Monsieur le Premier Ministre et Madame la Ministre David que vous saurez trouver des réponses satisfaisantes à ces questions vitales pour nous, pour notre industrie, la conservation et le rayonnement du cinéma, nous avons signé:
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Denys Arcand, réalisateur,
Rock Demers, producteur et membre-fondateur de la Cinémathèque
Claude Fournier, réalisateur
Micheline Lanctôt, réalisatrice
André Link, producteur et distributeur
René Malo, producteur, distributeur et mécène,
Gabriel Pelletier, réalisateur, en son nom
et en tant que président de l’Association des Réalisateurs et Réalisatrices du Québec,
Marie-José Raymond, producteur