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Dédé et Nino

 Je venais d'arriver à Montréal, ça devait être en 1999 et là, je le
vois de l'autre côté de la rue. Il était dans une espèce de Jeep et il
avait l'air d'avoir du fun. Quelques semaines avant ça, je l'avais vu
au Festirame d'Alma et je me rappelle, la foule était pas possible. Il
y avait du monde à ne pas finir. Ce soir-là, la nouvelle était sortie
comme quoi Nino Ferrer s'était suicidé et si ma mémoire est bonne, il avait chanté La maison près de la fontaine a cappella.
Juste avant, il avait parlé de Nino et de la façon qu'il était mort
mais nous, on avait aucune idée de ce qui allait arriver dans les mois
qui s'en venaient alors on a tous fait comme une caméra qui ne fait que
filmer sans être en mode d'enregistrement.

Le 8 mai 2000, je ne
pouvais pas m'enlever ça de la tête. Le soir, je me souviens que sur le
Plateau, tout le monde avait une gueule d'enterrement. Je pense qu'on
était allé au Verre-Bouteille et qu'on s'était sifflé un shooter à la mémoire de Dédé mais c'était le genre de cheers où personne n'a vraiment de fun. Un shooter qui puait la mort. Shooter funéraire genre…

On
était reparti à pied en direction de notre appartement miteux dans
Hochelaga et par le plus bizarre des hasards, on a emprunté un chemin
qu'on ne prenait jamais d'habitude et on est tombé pile en avant de
chez-lui. Il y avait une trentaine de personnes rassemblées avec des
chandelles et là, mon coloc et moi, on a comme mal feelé. On s'est tenu à l'écart en fumant un joint et tout comme le shooter, c'était un de ces joints qui puait la mort. Batte funéraire genre…

Vous l'aurez deviné, cet après-midi, je suis allé voir Dédé à travers les brumes
et j'ai versé une coupelle de larmes. Le genre de films où l'on attend
la fin du générique pour se lever en souhaitant que ça ait duré assez
longtemps pour ne pas avoir l'air du gars qui a braillé au cinéma en
sortant de la salle.

J'ai de la difficulté à croire que
quelqu'un qui a vécu dans les années 90 ne puisse pas être, ne
serait-ce, qu'un petit peu touché par ce film. En fait, la seule
personne qui a dû sortir de la salle en ciboulette, c'est Mononc Serge
qui, n'ayons pas peur de le dire, passe pour l'ami de la gang qui
souffre d'un léger déficit intellectuel. Un peu plus et ils le
faisaient jouer par une marionnette avec les yeux attachés à de longs springs.

Mais
bon… je vous invite à écouter cette chanson de Nino Ferrer et si
jamais ce n'est pas celle que Dédé avait chanté ce fameux soir de
Festirame, il reste que les propos qui y sont véhiculés ressemblent
drôlement à ceux de La rue principale. Le bulldozer en moins…