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Le storytelling à la Harper

Dans ma chronique du 28 août, je décortiquais l'utilisation abondante du storytelling dans les campagnes à la présidence américaine une technique prisée dans l'industrie du marketing où on «raconte» l'histoire d'un produit ou d'une companie pour mieux les vendre.

Le storytelling fait surtout appel aux émotions et moins à la raison. En politique, il sert à «humaniser» un chef en favorisant l'identification émotive de l'électeur à lui. Ce qui, évidemment, a l'immense avantage de mettre moins l'accent sur le véritable contenu de son programme. 

Ce matin, et dans son premier discours électoral et dans une entrevue exclusive sur le réseau CTV, (et sans compter les pubs pré-électorales du PC où il déclare sa grande fierté d'être un bon père de famille), il est clair que Stephen Harper entend se servir de cette technique de manière certes plus mesurée qu'aux États-Unis. Ou, si vous préférez, en doses homéopathiques. Mais il s'en servira néanmoins.

À CTV, le voilà qui parlait de sa femme, de sa fille et de son fils. Le voilà plus souriant, la voix plus douce et plus posée. Le voilà déclarant que sans sa famille, il n'aurait jamais l'«équilibre» nécessaire dans sa vie pour faire ce qu'il fait. Etc., etc., etc..

«A kinder, gentler Prime Minister», observait Llyod Robertson de CTV. Oui. Mais l'image d'un «kinder, gentler Prime Minister» essentiellement concoctée par des stratèges en communication visant à remplacer la pensée par l'émotion.

À cette enseigne, notons aussi quelques autres «lignes» visant également à «personnaliser» et donc, à éloigner le débat plus idéologique que tentent d'amorcer les partis d'opposition contre le conservatisme, pourtant connu, de M. Harper.

1) Stephen Harper prédit que la campagne des partis d'opposition contre le PC sera «very nasty and personal» – très méchante et personnelle. Son message: les attaques et les critiques venant du PLC, du NPD, du Bloc et des Verts sont contre MA PERSONNE et donc, pas contre mes idées…. Attendez-vous aussi à ce que certaines critiques envers les idées du PC soient représentées comme une tentative de «diaboliser» M. Harper.

2) «I believe that we'll get a second minority government» (je crois que nous obtiendrons un second gouvernement minoritaire». Le fait est, bien sûr, qu'il recherche une majorité – c'est le but de notre système parlementaire! -, mais pour tenter d'apaiser les craintes contre, justement, certaines de ses idées plus conservatrices, M. Harper dit aux électeurs de ne pas craindre de voter PC pour la raison qu'un gouvernement Harper majoritaire serait encore plus à droite.

3) «I'm not in this election running for any big or grandiose ideas». Encore, M. Harper tente de s''éloigner de la notion même d'«idée» pour mettre plus l'accent sur la «gérance» prudente du Canada.

(En passant, vous avez vu ça souvent, un premier ministre qui dit qu'il ne veut PAS d'un gouvernement majoritaire, ni défendre des idées?…)

4) Lorsque Robertson lui demande s'il entend rendre le «conservatisme» plus populaire au Canada que le «libéralisme» – une question claire portant sur un objectif réel de M. Harper selon son propre conseiller privilégié, Tom Flanagan (*) – le PM fait une diversion complète et instantanée en répondant ceci: «what excites me the most, Llyod, is what we can do in Northern Canada». C'est comme si je vous demandais ce que vous pensez de Britney Spears, et que vous me répondiez que le saumon que vous venez de manger était très bon…

 (*) Voir ma chronique «Harper hopes to dethrone Liberals as Natural Governing Party. Three-step party strategy would see conservatism as over-riding political thought», The Gazette, 5 sept. 2008.