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Un député en colère

Entendant Henri-Paul Rousseau noyer le poisson des pertes de la Caisse de dépôt et placement sous un flot de «graphiques», «tableaux», «annexes» et «onglets» à n'en plus finir, voici ce qu'en disait Pierre Goyette sur RDI – un ancien membre du CA de la Caisse et ancien chef de la direction de la Banque laurentienne: «Je suis abasourdi d'entendre les âneries que j'ai entendues aujourd'hui!». Verbatim…

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Aujourd'hui, au comité des finances publiques, le député de Québec solidaire, Amir Khadir, avait peu de temps pour interroger Henri-Paul Rousseau.

Mais il l'a utilisé à plein, se faisant le reflet de la colère de bien des citoyens face au sentiment évident de non imputabilité qui habite de plus en plus les «élites», qu'elles soient du monde de la politique ou de la finance.

Comme les députés expriment rarement des points de vue, disons, aussi tranchés et aussi indépendants d'esprit, voici de larges extraits de la transcription de ce moment fort de l'auience d'aujourd'hui, tirée du site de l'Assemblée nationale:

http://www.assnat.qc.ca/fra/39Legislature1/DEBATS/epreuve/cfp/090519/1130.htm

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M. Khadir: Merci, M. le Président. Bonjour à tous mes collègues. Bonjour, M. Rousseau. D'abord, je pense que, si on est ici, tout le monde, j'espère… en fait, je crois qu'il y a la même… j'ai déjà entendu la même profession de foi de la part de tous les partis, à l'Assemblée nationale, sur l'importance de la caisse dans le développement économique du Québec. Au-delà de ça, dans l'idée que se fait un peuple de lui-même, de ses capacités, de ce dont il a besoin pour assurer totalement sa souveraineté économique, son indépendance, sa force, d'avoir confiance en quelque sorte pour agir sur son destin, ne pas être voué, sans défense, être à la merci des puissances financières qui sont importantes, qui aujourd'hui se mesurent aux États, dans les mêmes proportions avec les mêmes capacités. Autrement dit, si on est là, dans le fond, c'est pour faire en sorte que ce qui est arrivé à la caisse, où le passage… votre passage à la caisse et celui qui va vous remplacer, de celui qui vous remplace actuellement, M. Sabia, ne soit pas instrumental, ne soit pas responsable du démantèlement, du démembrement ou de l'affaiblissement de la caisse, mais qu'on apprenne de ces erreurs pour faire de la caisse le véritable instrument de développement économique du peuple québécois qu'on s'attend. Je suis sûr, M. Rousseau, vous n'aimeriez pas, si au bout de l'exercice, au bout, éventuellement, d'une enquête publique sur ce qui s'est passé à la caisse, que l'histoire retienne de vous et de M. Sabia comme ayant été les fossoyeurs de la Caisse de dépôt et de placement du Québec.

Vous étiez banquier, vous êtes maintenant au sommet ou enfin dans la direction de Power Corporation, une multinationale tentaculaire, qui a un pouvoir économique et politique considérable dans ce pays. Vous êtes donc de la race de ces élites économiques que les évangélistes du libre-marché érigent en gloire, chantent la gloire, mais qui sont devenues ces nouveaux monarques qui se croient tout permis et au-dessus de tout jugement. Et comme, malheureusement, j'imagine M. Rousseau ne s'attend pas à un quelconque compromis de la part de nous sur ce qu'on pense vraiment. On est ici dans la Chambre du peuple et on doit dire ce qu'on pense.

(…)

M. Khadir: Alors, vous avez donc manqué, je dirais, tout le courage nécessaire pour rester dans la tourmente. Vous avez préféré vous mettre dans la réserve du secteur privé pour vous soustraire au jugement du public et éviter de rendre des comptes à la population, à ses représentants jusqu'à ce que, finalement, vous avez été forcé par les événements de vous expliquer, et alors, à ce moment-là, vous avez encore choisi le confort de vos amis de la Chambre de commerce de Montréal pour nous expier comment vous avez joué et perdu 40 milliards de dollars des épargnes de notre peuple.

Pour illustrer, s'il en fallait plus, ce que j'appelle quand même un mépris profond pour les intérêts de notre nation, c'est que vous avez refusé ce que plusieurs vous ont demandé gentiment, à mots couverts, plus directement, c'est-à-dire de renoncer à votre prime de départ, comme vient de le mentionner mon collègue de Shefford. Vous comprendrez alors qu'il est assez difficile pour le peuple en général ou pour ses représentants d'ici, de ne pas mettre ça sur le compte – ce comportement – sur le compte d'une certaine culture, culture qui, aux États-Unis maintenant, on le reconnaît, c'est dit sur la place publique, la culture de la cupidité qui a régné dans les milieux financiers américains et qui a malheureusement déteint sur aussi nos milieux financiers, nos banquiers qui, à l'exemple malheureusement des patrons américains sans vergogne, donnent tous les droits à ces chefs d'entreprise, y compris celui de donner des primes et des bonus, qu'ils soient compétents ou incompétents, qu'ils fassent fortune, la fortune du public ou qu'ils ruinent les déposants ou les petits actionnaires de leurs compagnies.

Je crois d'ailleurs que c'est assez peu rassurant, et ça m'emmène à ma question, pour les petits actionnaires de Power Corporation, de savoir que quelqu'un qui a négligé les intérêts de ses déposants quand il était…

Le Président (M. Paquet): M. le député.

M. Khadir: …dans le secteur public peut avec autant de légèreté penser qu'il est au-dessus de toute responsabilité. Parce qu'à chaque fois qu'on vous en a parlé, par exemple le 9 août 2007, c'était la tempête parfaite, c'était un moment fatidique comme une calamité du ciel que personne n'aurait pu prédire. Or, vous le savez et je suis sûr que vous le savez si, moi, je le sais, depuis des années, depuis au moins 10 ans, les exemples foisonnent à travers le monde comment cette spéculation peut mener à la ruine des déposants, des petits épargnants, du public en général.

En 1992, nul autre que Galbraith de Harvard a écrit un livre qui a fait école, Euphorie financière , qui explique l'histoire des crises financières successives depuis quatre siècles. Vous devez être au courant. Si un néophyte comme moi est au courant, vous devez être au courant de ça, que l'entreprise de spéculation et la recherche du profit maximum conjugués au bonus, en plus vous nous dites les boni…

Le Président (M. Paquet): M. le député de Mercier.

M. Khadir: Juste un moment.

Le Président (M. Paquet): Excusez-moi. Non, sur le temps de la présidence. Il faut mentionner qu'il reste trois minutes…

M. Khadir: J'y arrive.

Le Président (M. Paquet): …et, selon l'entente que vous avez eue au niveau des partis d'opposition…

M. Khadir: On poursuivra dans le 10 minutes qui me restent. Vous m'avez amputé de quelques instants.

Le Président (M. Paquet): Non, je ne vous ai pas enlevé aucun temps, M. le député, je préserve votre 10 minutes. Les temps de questions de règlement ne sont pas sur votre temps, sur le temps de la présidence. Sauf que je vous indique qu'en conformité de l'entente que vous avez avec les autres partis de l'opposition, vous disposez ce matin de 10 minutes incluant réponses et questions.

M. Khadir: J'y arrive.

Le Président (M. Paquet): Donc, il reste présentement trois minutes maximum pour une période de questions encore ou de réponses, si vous souhaitez avoir une réponse de M. Rousseau.

M. Khadir: M. le Président, notre oeuvre est collective. Il y a des commentaires, il y a une analyse des réponses qui ont été fournies, je…

Le Président: …après le consentement.

M. Khadir: Je compte aussi bien sur les députés de la partie gouvernementale que de mes collègues, d'accord? Alors…

Le Président (M. Paquet): Donc, il reste moins que trois minutes. M. le député de Mercier.

M. Khadir: Très bien. Alors, vous dites que les bonus n'ont rien à faire là-dedans, que les bonis au rendement n'ont rien à faire, alors que toute la planète, en Europe comme aux États-Unis, y compris le président américain, tous les experts s'entendent à dire que cette politique de rémunération des patrons et les bonus au rendement sont une partie centrale qui explique la crise financière aujourd'hui, vous refusez encore de le reconnaître.

Tout ceci étant dit, vous avez, ça, je vous rends grâce pour ça, vous avez fait une assermentation avant de témoigner. Je voudrais vous poser la question suivante: Avant de rentrer à la caisse en 2002, est-ce que vous aviez des liens d'amitié avec la famille Desmarais ou un quelconque lien d'affaires, à titre personnel ou dans vos activités, avec Power Corporation?

Le Président (M. Paquet): Il reste 1 in 30 s, M. Rousseau.

M. Rousseau (Henri-Paul): Comme tous les dirigeants d'entreprise, la famille Desmarais est très connue de tout le monde et mes liens d'amitié ou de relations avec les Desmarais, avec les Péladeau, avec les Coutu, avec la famille Bombardier, je suis dans le milieu des affaires depuis des années et je connais beaucoup de monde.

Je voudrais faire simplement une remarque à tous les Québécois à qui, un jour, quelqu'un va demander d'être un employé, un vice-président, un directeur ou président de la caisse, je voudrais leur dire que, s'ils ont la compétence et s'ils ont le goût d'aller quand même le faire pour servir leurs concitoyens, malgré tout ce qui peut être dit et entendu, après qu'on l'ait fait de bonne foi et de lourds sacrifices dans mon cas, j'ai laissé des millions de dollars quand j'étais payé, pour venir servir les Québécois parce qu'ils m'avaient bien servi comme jeune.

Et ce n'est pas vrai qu'on va laisser attaquer les gens, les gens qui ont fait des travaux à la caisse avec moi, comme à tous mes prédécesseurs, ils étaient de bonne foi. Et, quand j'ai dit dans ma conclusion qu'ils travaillent au développement du Québec, c'est parce que chacun d'eux fait des sacrifices. Les gens à la caisse doivent accepter d'être moins rémunérés que les autres. Ils le font même s'ils sont bien rémunérés que beaucoup d'autres fonctionnaires, mais ils sont en bas du marché, ils le font parce qu'ils croient à ce qu'ils font. Et tous les matins et tous les jours ils le font au bénéfice des Québécois parce qu'ils savent qu'ils ont un rôle formidable que d'assurer des rentes et des assurances de qualité. Mais c'est devenu risqué de faire ce métier et ces positions parce que la chose publique est devenue plus difficile.

Et je suis conscient, M. le Président, qu'il y a une crise de la finance, qu'il y a un procès de la finance, mais il ne faudrait pas que le procès de la finance fasse en sorte que la caisse ne soit plus capable de recruter des gens de qualité.

(…)