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Un livre qui dérange…

 

Ce matin, l'ancien PDG de la Caisse de dépôt et placement, Henri-Paul Rousseau, risque de l'avoir un peu moins facile devant les parlementaires que lorsqu'il a donné SA version des faits à la Chambre de commerce de Montréal le 9 mars dernier.

Une des raisons, parmi d'autres, en sera le livre de Mario Pelletier La caisse dans tous ses états – paru aux Éditions Carte Blanche. (Nul besoin de rappeler que la semaine dernière, la CDP a tenté d'en bloquer la sortie).

*** (En date du 20 mai, le livre serait maintenant disponible en librairie. La Caisse ayant échoué dans sa tentative de censure.) Sur celle-ci, voir:
http://www.ledevoir.com/2009/05/20/251152.html

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Ayant obtenu une copie du livre, voici donc les grandes lignes de la thèse de l'auteur quant à l'impact de l'arrivée de M. Rousseau à la tête de la CDP suite à la démission de Jean-Claude Scraire en 2002:

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Donc, selon l'auteur:

– L'arrivée d'H-P Rousseau à la tête de la CDP aurait marqué une «rupture profonde avec toute la culture développée par l'institution» depuis 1965 en passant par une «vaste réorganisation interne» et une «grande purge» de gestionnaires expérimentés – ces «bâtisseurs» -, remplacés par des «technocrates» sans mémoire institutionnelle et sans compréhension du rôle crucial de la Caisse dans l'économie québécoise.

– HPR aurait introduit «une nouvelle culture bancaire», une «banquisation» de la Caisse, partagée d'ailleurs, selon Pelletier, par Michael Sabia. Une culture «sans perspectives sociales, où seul le rendement compte, accompagné de bonis de plus en plus alléchants». Ce qui, en 2003, aurait bien coïncidé «avec un nouveau gouvernement (Charest) qui pousserait le désengagement de l'État québécois plus loin, à certains égards, que ce qui ne s'était jamais vu depuis le début des années 1960». (p. 321)

– HPR aurait également fermé des bureaux de la CDP à l'étranger et «mis la hache dans une filiale de consultation internationale qui visait à exporter l'expertise unique du modèle de la Caisse».

– Il aurait ignoré l'importance d'établir des liens avec la Chine jusqu'à ce que, selon l'auteur, Power Corporation l'ait «sensibilisé» à cette question. L'auteur pose cette question: «la Caisse pouvait-elle devenir un outil intéressant pour le développement des affaires de Power Corporation en Chine? Étrange coïncidence, Rousseau, quelque temps plus tard, allait changer d'idée et rouvrir un bureau en Chine.» (p. 320) (En 2008, après avoir annoncé qu'il quittait la Caisse, HPR s'est joint à Power Corp., comme vice-président.)

– Bref, cette «rupture» aurait été le fruit de l'obsession du «rendement à tout prix» au détriment de la mission originelle de la Caisse qui était de faire fructifier les avoirs des Québécois TOUT EN contribuant à l'essor économique du Québec.

– C'est que pour M. Rousseau, comme le rappelle l'auteur (et certains de mes billets sur ce blogue), obtenir un rendement optimal était à ses yeux LA meilleure manière de contribuer à l'économie du Québec. Un modèle que suivra d'ailleurs le gouvernement Charest lorsqu'il modifiera la Loi sur la Caisse en 2004 en mettant l'accent sur le rendement «optimal». Avec comme résultat que sous M. Rousseau, la Caisse finira par investir plus de 80% de ses avoirs à l'étranger.

(Ici, on retrouve en gros une thèse partagée et étayée dans mes billets et chroniques sur le Caisse de dépôt. Le tout s'inscrivant, j'ajouterais, dans le portrait plus global de l'affaiblissement de la force financière du Québec avec la diminution marquée des investissements de la Caisse au Québec, la perte de plusieurs sièges sociaux et de la Bourse de Montréal. )

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– Sur une note encore plus accusatrice, l'auteur avance que M. Rousseau aurait «été à l'origine de manipulations de données et de chiffres qui ont jeté encore plus de discrédit sur l'administration sortante» (p. 311). Dont des «dévaluations excessives d'actifs» acquis sous M. Scraire, une représentation volontairement négative des coûts de la construction du nouveau siège social «pharaonique» de la Caisse de l'époque M. Scaire, un «gonflement» conséquent des résultats obtenus par M. Rousseau, une «dérive dans les produits dérivés» causée par l'obsession du rendement (p. 324), incluant les fameux papiers commerciaux non bancaires dont la CDP s'est faite le principal acquéreur au Canada – causant ainsi un effet d'entraînement dans d'autres institutions financières québécoises -, et ignorant ainsi la plupart des signaux d'alarme.

– Toujours selon l'auteur, M. Rousseau aurait eu une politique de gestion du risque déficiente; aurait trop emprunté (comme le soulignait Jacques Parizeau); et aurait «délégué» à la Banque fédérale de développement du Canada (BDC) ses placements dans les PME (p. 333).

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(Ces thèses avancées par M. Pelletier seront sûrement remises en question par M. Rousseau. C'est à suivre).

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Les résultats sont maintenant amplement connus: 40$ milliards de pertes en 2008, dont 10$ milliards pour cause de gestion incompétente, soit une perte de 25% de ses actifs par opposé à 18% pour les autres caisses de retraite canadiennes. L'avoir net de la Caisse passe de 155$ milliards à 120$ milliards. Une perte pour laquelle les Québécois seront appelés à payer pour longtemps…

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Pour ce qui est de la petite histoire, M. Pelletier avance aussi que «c'est un secret de Polichinelle qu'il n'y avait pas beaucoup d'atomes crochus entre Jean-Claude Scraire et Bernard Landry. (…) Le courant ne passait guère mieux avec Pauline Marois» (p. 303).

Un problème, qui selon l'auteur, aurait culminé en 2002, alors que M. Landry était premier ministre et Mme Marois, sa ministre des Finances.

Toujours en 2002, suite aux reportages sur certains investissements problématiques de la Caisse, dont celui dans Montréal Mode, ainsi qu'un investissement de 2$ milliards pour «aider Quebecor à avaler Vidéotron» (p. 301), M. Scaire «démissionne» dans la controverse.

Henri-Paul Rousseau est nommé PDG de la Caisse et est accueilli en «sauveur». Comme «une sorte d'Hercule venu nettoyer les écuries d'Augias» (p, 309).

C'est donc une très grosse pointure qui arrive.

HPR, comme on l'appelle familièrement, avait été président de la Banque laurentienne, président des économistes pour le Oui en 1980 et secrétaire de la Commission Bélanger-Campeau créée par Robert Bourassa suite à l'échec de l'Accord du Lac Meech.

Selon l'auteur, lorsqu'il prend la barre de la Caisse officiellement, il aurait alors «remercié» Michel Nadeau, le «numéro deux» de la Caisse . Dans les semaines qui suivront, il aurait aussi «remercié» plusieurs gestionnaires expérimentés. Se perdra alors avec le temps «ce contact privilégié, cette complicité qu'elle a développée avec l'entreprenariat québécois (…) qui a permis des réussites extraordinaires au cours de trente dernières années» (p. 297).

Arrivent aussi de nouveaux membres du Conseil d'administration font leur entrée, dont le «président de la firme new-yorkaise Capital Markets Advisors et ex-président de Nasdaq International» et anglophone unilingue (p. 307).

L'auteur avance également que Power Corporation en aurait voulu à M. Scraire pour les «400 millions de dollars supplémentaires que Desmarais avait dû débourser pour acquérir la financière MacKenzie, en janvier 2001» (p. 310).

Bref, on sent ici, du moins selon l'auteur, l'effet à la CDP de cette compétition constante entre les empires Desmarais et Péladeau… Ces deux rejetons concurrents du Québec Inc. (À cet égard, on pourrait aussi rappeler que lorsque M. Sabia s'est rendu «petit déjeuner» dans les bureaux de Power Corp. après sa nomination comme nouveau PDG de la Caisse, Pierre-Karl Péladeau n'y était pas.)

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En conclusion, l'auteur avance ceci: «Par ailleurs, les liens qui semblent déjà bien établis avec un puissant conglomérat comme Power Corporation, qui compte maintenant à son service un ex-président de la CDP (*Rousseau), laissent planer des inquiétudes sur l'avenir de la Caisse. On peut se demander s'il n'y a pas là un prélude à son éventuel démantèlement, au profit du secteur privé, et notamment des filiales tentaculaires de la Financière Power. Ce serait un aboutissement logique de ce qui s'est amorcé sous Rousseau et qui a été encouragé par le gouvernement de plus en plus désengagé de Jean Charest.» (p. 358)

Enfin, je ne sais pas s'il est vraiment nécessaire d'aller jusque-là dans les prévisions désespérément pessimistes. J'ai en fait peine à croire que la CDP serait un jour démantelée…

Mais une chose est certaine, elle est affaiblie. Et de fait, la CDP n'est plus l'outil de développement économique qu'elle devait être et aura été pendant 40 ans. Et ce n'est pas l'arrivée de Michael Sabia qui rassurera ceux dont le bas de laine est nettement plus troué qu'avant… 

Surtout, il reste que messieurs Rousseau et Charest en porteront sûrement la responsabilité dans les livres d'histoire…