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Départ de Camil Bouchard (suite)

Donc, je disais dans le billet précédent qu'avec la démission surprise de Camil Bouchard, le Parti Québécois ET l'Assemblée nationale perdent un de leurs meilleurs députés.

Un homme honnête. Un homme de coeur. Un universitaire de grande qualité. Un intellectuel engagé. Un homme de convictions et un social-démocrate dont les travaux ont toujours été mis au service des réalités de la vie des gens.

Je n'ai pas eu le plaisir de travailler avec lui dans le milieu universitaire – nous n'étions pas du tout dans le même domaine. Mais j'avais énormément de respect pour la qualité de sa recherche et la sincérité de son engagement social. La perte du parlement sera donc un gain pour la recherche universitaire. 

Je vous laisse lire son point de presse de ce matin. Il en vaut la peine.

http://www.assnat.qc.ca/fra/conf-presse/2009/091214CB.HTM

http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/200912/14/01-930867-camil-bouchard-tire-sa-reverence.php

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Très rare de nos jours que l'on entende ce genre de choses se dire avec autant de finesse.

Bref, hormis ses circonstances plus personnelles, il est difficile de ne pas partager ses constats, mais aussi ses espoirs. Pour ma part, si vous me lisez régulièrement, vous remarquerez peut-être que j'en exprime moi-même de fort similaires depuis des années…

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Ses constats:

– Que la vie de député dans l'Opposition, surtout lorsqu'elle se prolonge, c'est dur. Dur et frustrant. Nécessaire, mais très difficile.

– Son constat d'intellectuel engagé dans la Cité jusqu'à ce qu'il fasse le saut en politique en 2003: «De fait, en mars dernier, alors que j'étais invité à un colloque de l'ACFAS portant sur les liens entre la science et la politique, je me suis entendu dire que j'aurai sans doute contribué à changer le monde davantage comme chercheur que comme politicien.»

Dure, l'opposition?  C'est certain.

Surtout au PQ depuis 2003, Ce parti a vécu depuis trois élections générales, dont une, en 2007, avec le choc ultime de chuter sous la barre des 30% et de se voir reléguer en troisième place derrière l'ADQ…

Mais dans une époque où les élus, même au pouvoir, perdent de plus en plus de leurs pouvoirs de «changer les choses» aux mains du bureau du premier ministre, des tribunaux et des milieux d'affaires, le fait est que son constat soulève un problème réel, mais encore plus large qu'il ne le dit.

– Ses raisons personnelles et d'engagement: À l'âge de 64 ans, on peut comprendre que le temps compte de manière différente: «J'ai 64 ans, et, à cet âge, peut-être quelques-uns d'entre vous peuvent-ils le confirmer, on se rend compte tous les jours que le temps devient de plus en plus précieux, et le sentiment de ne pas me sentir aussi utile que je le pourrais devient de plus en plus difficile à supporter

– Sa déception des résultats de l'élection de 2008: «Je me suis présenté à nouveau, lors des élections de 2008, après cinq ans dans l'opposition, avec une seule idée en tête, celle de développer et de mettre en oeuvre des politiques au sein d'un gouvernement péquiste capable d'engager le Québec dans un autre cycle vers sa souveraineté et son développement économique et social. La population en a décidé autrement. (…)»

– Son inquiétude face à la désaffection de l'électorat: «Je suis aussi très inquiet du taux de non-participation lors des dernières élections. Le vrai pouvoir est entre les mains du peuple, et j'espère seulement que les gens qui ont renoncé à ce pouvoir voudront à nouveau s'en prévaloir lorsqu'ils auront été mis en présence d'enjeux fondamentaux, en présence de projets qui répondent à leurs aspirations d'une vie meilleure, d'une société plus juste, plus responsable et aussi plus productive (…)».

Et vous connaissez l'importance que j'accorde toujours dans mes chroniques au devoir d'aller voter – surtout en ces temps troublants…

– Un parfum de corruption qui tue le «rêve», autant chez les citoyens que chez les élus: «La politique, dit-on, doit nous faire rêver, et vous conviendrez que le contexte actuel, imprégné d'odeurs de corruption, de malversations et de collusion, n'a rien qui puisse nous faire rêver, et, je vous le dis bien franchement, ça n'arrange les choses en ce qui me concerne. Aussi longtemps que nous serons aux prises avec cette crise morale et éthique, le Québec fera du sur place, et il y a beaucoup mieux à faire que du sur place.»

En effet.

– Le constat qu'il faudrait bouger urgemment à: «Le Québec aurait de toute urgence d'immenses chantiers à entreprendre, et je ne vous en mentionne que trois – parce que je ne veux pas vous tenir ici jusqu'à demain matin (…)». Soit l'éducation, dont une meilleure protection et formation des travailleurs; la santé et les soins à domicile; une révision de la fiscalité.

Pas pour «libérer encore plus le capital du privé, mais pour voir à «l'endettement des ménages, de l'endettement des familles. L'endettement met à mal non seulement la sécurité financière des familles, mais contribue aussi à une attitude de repli sur soi. Lorsqu'on est endettés, on veut d'abord sauver sa peau, on est un petit peu moins généreux, on souhaite le moins d'impôt possible et on se souhaite le moins d'État possible. L'endettement des familles menace les fondements mêmes de notre social-démocratie, je pense, et ceci, beaucoup plus que la dette nationale

Des propos, encore une fois, d'une grande pertinence.

– Sur la souveraineté, Camil Bouchard dit y croire toujours. Mais il ajoute que sa «pédagogie» devra se renouveler et se faire beaucoup plus concrète. Question de s'adresser aux plus jeunes.

Des propos rappelant ceux que tient Jacques Parizeau dans son dernier livre.

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Après le départ ce printemps de François Legault, il y a bien sûr dans cette démission surprise d'autres considérations touchant le PQ, disons, plus stratégiques.

Mais il me semble que pour une fois qu'un député démissionnaire fait des constats de manière aussi claire et étayée, malgré tout avec sérénité, l'important réside plus dans ses propos qu'autre chose.

Et pour une fois qu'un député s'inquiète de manière articulée de l'état de la social-démocratie au Québec – ce qui, avouons-le, fait changement par les temps qui courent -, ses propos portent à réflexion.

Bref, lorsqu'il dit: Moi, j'ai peur qu'il y ait un effritement de notre base sociale démocrate, au Québec», Camil Bouchard fait un autre constat «lucide», si vous me passez l'expression dans les circonstances…

Et ce constat, je le postulerais ainsi: le Québec, semble-t-il, n'échappe pas à ce mouvement généralisé en Occident d'où émerge lentement mais sûrement une espèce de préjugé favorable au privé même lorsque cela va à l'encontre du bien commun et de la qualité de vie des individus et des familles.

Ce qui attriste dans le départ de Camil Bouchard, c'est justement que l'Assemblée nationale perd une de ses rares voix capables d'articuler une pensée social-démocrate tournée vers le bien commun et la qualité de vie des gens.

Il en reste, bien entendu. Dont Amir Khadir.

Mais il en reste de moins en moins.

Comme si, en effet, ceux et celles qui partagent ce genre de préoccupations croyaient de moins en moins à la possibilité de «changer les choses» au sein d'un parlement plutôt que dans d'autres fonctions…