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Lucien, Éric & Charles

 

Entendu ceci depuis mardi dernier, sur toutes les tribunes, ou presque, et sur tous les tons: «Lucien Bouchard a dit tout haut ce que les Québécois pensent tout bas»…

Ou encore ceci, sous diverses variantes: «Lucien Bouchard est encore une force politique redoutable»…

Et pourtant… Et pourtant…

Je persiste, bien humblement, à avancer que M. Bouchard, à force de cumuler les admonestations sur ceci et cela, et ce, nonobstant toutes ses belles qualités personnelles et son indéniable charisme, perd au fil des ans un peu plus de sa crédibilité.

C'est du moins l'hypothèse que j'avançais le 18 février dans The Gazette.

http://www.montrealgazette.com/news/Bouchard+risks+losing+credibility/2584439/story.html

Mais revenons à ce qu'on entend depuis presqu'une semaine.

Ainsi, ce samedi, le titre suivant couvrait un sondage Angus Reid publié dans La Presse et commandé par celle-ci: «Les Québécois d'accord avec Bouchard».  http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201002/20/01-953593-les-quebecois-daccord-avec-lucien-bouchard.php

Bon. Mais d'«accord» avec quoi, au juste?

On se souvient que le 16 février, à Québec, l'ancien premier ministre y est allé d'un appel à s'occuper d'«autres choses» que la souveraineté puisque celle-ci, disait-il, ne serait plus réalisable. Dans le court, moyen ou long terme, c'est selon la perception que les gens ont eu de sa sortie. (En passant, très peu de gens, dans les faits, ont même entendu la dite conférence dans son entier ou le point de presse qui a suivi…. mais ça, c'est une autre histoire…).

Donc, revenons à ce sondage La Presse/Angus Reid. Et voyons les questions posées à 804 adultes.

«Êtes-vous pour ou contre la tenue d'un autre référendum concernant la place du Québec au sein du Canada?»

Résultats: Pour (35%); Contre (57%); Pas certain (7%). Total: 99%.

Quelques observations: à part le libellé inhabituel de la question qui parle d'un «référendum concernant la place du Québec au sein du Canada» plutôt que d'un «référendum sur la souveraineté du Québec», peut-on vraiment se surprendre, ou déduire quoi que ce soit, de ces 57% qui répondent «contre» dans la mesure où le PLQ est au pouvoir pour encore un bon trois ans et que nul ne sait quel parti formera le prochain gouvernement.

Autre question: «La souveraineté n'est pas réalisable avant plusieurs années?» Résultat: En accord (78%).

Encore une fois, on fait ici dans l'évidence indépendamment de l'option constitutionnelle favorisée dans les faits par chacun des répondants. Et ce, pour deux raisons: 1) encore une fois, parce que le PQ n'est PAS au pouvoir. 2) Parce que le PQ lui-même ne s'engage pas à tenir un référendum s'il est élu la prochaine fois.

Conclusion: à moins de vivre sur la planète Mars, il est clair que la souveraineté n'est en effet pas «réalisable avant plusieurs années», reprenant ici le libellé de la question….

C'est comme demander quelque chose d'aussi évident que «le CHUM ne lèvera pas de terre avant plusieurs années?» et vous aurez sûrement, au moins, un bon 80% qui se diront en accord… Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne souhaitent pas voir le CHUM lever de terre, mais seulement que, constatant que la volonté politique de le faire manque au rendez-vous, ils voient bien que cela ne sera pas avant un sacré bon bout de temps. À un point tel où nombreux sont ceux à croire que le CHUM ne lèvera jamais de terre…. Et seul l'avenir nous dira s'ils ont ou non raison là-dessus…

Bref, ne pas confondre reconnaissance d'une évidence avec ce qui serait ou non souhaité et souhaitable.

Pour ce qui est de la question des «accommodements raisonnables» et de la «radicalisation» que M. Bouchard prête au PQ, un sondage Le Devoir/Léger Marketing paru le 18 février montre plutôt que 75% des répondants considèrent que le gouvernement Charest serait en fait trop accommodant sur les questions religieuses.

Une tendance que cette maison de sondage note d'ailleurs comme étant constante depuis trois ans. Ce qui n'est pas rien. Et à hauteur de 75%, on peut avancer que ce point de vue traverse le Québec tout entier. Tenez! Un peu comme ce 85% des Québécois qui réclament une commission d'enquête sur l'industrie de la construction…

http://www.ledevoir.com/politique/quebec/283350/sondage-leger-marketing-le-devoir-le-gouvernement-charest-trop-accommodant

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DU CÔTÉ DE MONSIEUR BOUCHARD…

Maintenant, passons à M Bouchard lui-même.

Le sondage Angus Reid demande: «Et si Lucien Bouchard était chef d'un nouveau parti politique, pour qui voteriez-vous?.

Résultats:

PLQ (avec Jean Charest): 28%

PQ (avec Pauline Marois): 24%

Nouveau parti (avec Lucien Bouchard): 31%

Un autre parti + Québec solidaire + ADQ + Indécis + Ne voterait pas: 33%

TOTAL: 116% (?)

Autres question: «Qui serait le meilleur premier ministre»?

Résultats:

Lucien Bouchard: 27%

Pauline Marois: 15%

Jean Charest: 19%

Gérald Deltell: 4%

Aucun + pas certain: 35%

TOTAL: 100%

Dans l'article de La Presse, on mentionne aussi que «quand on leur demande s'ils souhaitent voir Lucien Bouchard prendre la tête d'un nouveau parti», c'est NON à 48% et OUI à seulement 36%.

Maintenant, je reviens à mon hypothèse, soit celle-ci: M. Bouchard, à force de cumuler les admonestations sur ceci et cela, et ce, nonobstant toutes ses belles qualités personnelles et son indéniable charisme, perd au fil des ans un peu plus de sa crédibilité.

Dans le Angus-Reid de ce week-end, seulement 27% des répondants considèrent qu'il ferait le meilleur premier ministre (35% disent «aucun» ou ne pas savoir), pendant que 48% ne souhaitent pas son retour à la tête d'un nouveau parti.

Alors qu'en décembre 2004 (donc, avant le Manifeste des Lucides et d'autres déclarations sur «les Québécois ne travaillent pas assez», etc…), un sondage CROP commandé par La Presse disait plutôt ceci: «dans l'ensemble de la population, 49% des gens souhaitent revoir M. Bouchard en politique».

Bref, depuis 2004, la proportion de ceux qui «souhaitent» son retour aurait passé de 49% à 36%, avec seulement 27% considérant qu'il ferait le meilleur premier ministre.

(*** Évidemment, les sondages ne sont que des «instantanés» pris à un moment spécifique. Donc, ils valent ce qu'ils valent. Mais comme on les sert à satiété pour tenter de dire ceci ou cela, tentons au moins de les regarder de plus près, mais tout en les prenant avec le grain de sel qu'ils méritent.)

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ÉRIC CAIRE LANCE UN APPEL À M. BOUCHARD:

@ Photo: http://www.cyberpresse.ca/images/bizphotos/435×290/200909/30/112545-eric-caire.jpg

Toujours dans ce CROP de décembre 2004, c'était à hauteur de 58% que les supporteurs de l'ADQ disaient souhaiter le retour de M. Bouchard… Comme si le côté ultraconservateur de l'ancien premier ministre leur plaisait vraiment beaucoup.

Et ce dimanche midi, à l'émission Larocque-Lapierre de TVA, l'ancien député adéquiste, Éric Caire – également connu pour ses positions ultraconservatrices -, lançait un appel à Lucien Bouchard pour servir de «catalyseur» et de «caution morale» à un nouveau parti ou une nouvelle coalition que M. Caire qualifiait de centre-droit mais qui, dans les faits, serait tout simplement de droite.

Évidemment, son appel allait aussi aux François Legault et à Joseph Facal.

Mais dans les faits, M. Caire avait déjà lancé le même appel en novembre 2009, et dans les mêmes termes, aux lendemains de sa démission choc de l'ADQ suite à une course au leadership proprement burlesque.

C'est d'ailleurs ce que j'analysais à ce moment dans ma chronique justement intitulée «La caution morale»: http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2009/11/11/la-quot-caution-morale-quot.aspx

Comme quoi, le discours de M. Bouchard semble plus proche de celui de l'ADQ, d'un Mario Dumont ou d'un Éric Caire que du PLQ ou du PQ – autant sur les questions socio-économiques que sur la nécessité, selon lui, de «passer à autre chose» que la question nationale.

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CHARLES TAYLOR À TOUT LE MONDE EN PARLE

Charles Taylor & Gérard Bouchard. Photo: http://www.cyberpresse.ca/images/bizphotos/435×290/200910/27/119378-charles-taylor-gerard-bouchard-preside.jpg

Ce soir, à Tout le monde en parle, Charles Taylor, philosophe et co-président de feue la Commission Bouchard-Taylor, semblait en avoir gros sur le coeur contre ce qu'il appelait la «laïcité rigide», ou, si vous préférez, pour reprendre ses propres termes, tout ce qui pourrait «sacrifier la liberté de conscience» au nom de la «neutralité»... «conscience» faisant en fait ici référence, entre autres, à «croyances religieuses».

Dans leur nouveau livre – Laïcité et liberté de conscience – Charles Taylor et Jocelyn Maclure soutiennent d'ailleurs le point de vue que la «liberté de religion doit être vue comme une sous-catégorie de la liberté de conscience» (p. 114).

Pour le moment, je me contenterai donc d'une seule question: pourquoi faudrait-il dans un monde cherchant à se libérer des «croyances», quel qu'elles soient, faire que cette «liberté de religion» des individus, puisque c'est bel et bien de cela dont il est question dans les faits, quitte le monde du «privé» pour pénétrer à nouveau, et de plus en plus, la sphère civique et politique plutôt que de demeurer dans la sphère privée?

Car c'est là, me semble-t-il, le véritable principe d'une laïcité de l'État – laisser les «croyances» religieuses dans la sphère privée, là où elles peuvent s'exercer en liberté dans la mesure où elles respectent les lois nationales. Ce qui n'est sûrement pas une laïcité «rigide», contrairement à ce qu'avance Charles Taylor pour mieux la discréditer en l'étiquetant de la sorte, mais plutôt une laïcité cherchant justement à libérer la sphère civique et politique des croyances et des superstitions de nature religieuse et/ou spirituelle….

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