BloguesVoix publique

Déroger ou ne pas déroger?

 

@ La ministre St-Pierre, aux prises l'an dernier avec un autre dossier «controversé» que celui de la Loi 104…

*****************************************************************************************************

Donc, déroger ou ne pas déroger? That is the question…

Aujourd'hui, en scrum, Christine St-Pierre, ministre de la Culture, fut questionnée à savoir si, oui ou non, le gouvernement Charest utiliserait la fameuse clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés (il y en a également une dans la Charte québécoise), pour répondre, enfin, au jugement de la Cour suprême d'octobre 2009, lequel invalidait la Loi 104. (1)

Rappelons aussi que la semaine dernière, le Conseil supérieur de la langue française recommandait que la Loi 101 soit tout simplement appliquée aux écoles anglaises privées non subventionnées. Ce que j'ai recommandé également sur plusieurs tribunes depuis 1995.

Bon. On rapporte ce soir que la ministre «envisagerait» ce recours à la clause dérogatoire, mais dans les faits, elle a tout simplement répondu par la formule évasive classique: «tout est sur la table».

De toute façon, on ne peut pas invoquer la clause dérogatoire pour suspendre un jugement basé sur l'article 27 sur le patrimoine multiculurel (voir mon billet «Gérard Bouchard est de retour» (2) , ni, dans ce cas-ci, sur l'article 23 de la Charte canadienne des droits (voir mon billet «Loi 101 vs. Cour suprême» (3), lequel dicte les critères d'accès aux écoles anglaises au Québec et françaises dans le ROC.

On pourrait toutefois l'invoquer de manière préventive, un peu pour se protéger de futures contestations arguant que le «droit» de fréquenter une école anglaise privée non subventionnée relèverait plutôt de l'article 2 de la Charte canadienne sur les libertés fondamentales. Ou peut-être qu'on ne le pourrait pas. Qui sait? Puisque, de toute façon, le gouvernement ne dit mot pendant que la ministre, de toute évidence, ne maîtrise pas très bien ce dossier…

****************************************************************************************** 

Donc, Jean Charest aura-t-il ou non recours à la clause dérogatoire?

Eh bien. Si Lucien Bouchard lui-même, ancien collègue de M. Charest à Ottawa, en faisait une crise d'apoplexie en 1996 à la seule idée de s'en servir pour protéger l'affichage commercial en français alors qu'il était chef du PQ et premier ministre du Québec, comment penser que Jean Charest, lui, le ferait?

En passant, c'est comme si, au Québec, on avait oublié un fait pourtant fondamental: la clause dérogatoire fait PARTIE de la Charte canadienne des droits. Elle est donc parfaitement légale, légitime et constitutionnelle. Qui plus est, elle fut exigée en 1981 par les provinces de l'Ouest canadien pour protéger la souveraineté ultime des parlements face aux tribunaux. Ce qui n'est pas rien. Sans quoi, ces provinces menaçaient Pierre Trudeau de ne pas ratifier sa nouvelle constitution qui serait adoptée sans le Québec… Mais qui s'en souvient aujourd'hui?

****************************************************************************** 

En fait, je crois que Jean Charest, tout comme Lucien Bouchard en 1996, ne le fera pas parce que, au-delà de ses propres impératifs politiques et personnels, il n'a tout simplement pas le courage politique d'un Robert Bourassa qui, en 1988, y avait recours contre vents et marées pour protéger ce qu'on appelait le «visage français» du Québec.

(Rappelons ici que ce n'est pas tout à fait ce recours en soi qui a fait «échoué» l'Accord du Lac Meech, mais qu'il a plutôt servi de prétexte au Canada anglais pour condamner un accord qui, de toute façon, passait de moins en moins la rampe dans l'opinion publique hors Québec. À cet égard, les nombreuses interventions de Pierre Trudeau contre Meech avaient aussi galvanisé les opposants à cet accord, et non les moindres, en leur donnant la bénédiction attendue d'un «Québécois» aussi prestigieux. À écouter: l'entrevue légendaire de M. Trudeau par Madeleine Poulin à Radio-Canada, donnée dès mai 1987, soit un an et demi avant le recours de Robert Bourassa à la clause dérogatoire. Un véritable moment d'anthologie médiatique et politique: http://archives.radio-canada.ca/politique/premiers_ministres_canadiens/clips/12898/

********************************************************************************

Mais revenons à nos moutons.

Il est peu probable que M. Charest ait recours à la clause dérogatoire pour une autre raison: au-delà de ses beaux discours, il ne semble pas être particulièrement sensible à la complexité de la question linguistique.

Quant à sa ministre de la Culture, elle n'a ni l'influence, ni les connaissances approfondies, ni les convictions essentielles à persuader son premier ministre de poser un geste comme celui-là. Mais, de toute façon, même si elle les possédait, on sait qu'en bout de piste, le premier ministre est celui qui prend ce type de décision.

Et enfin, parce que si tel avait été la véritable intention de M. Charest – puisque toute personne le moindrement au fait de cette question soupçonnait fortement que la Cour suprême invaliderait la Loi 104 comme elle a affaiblit par le passé de nombreux articles de la Loi 101 -, la réponse de son gouvernement serait venue aussi rapidement que celle de Monsieur Bourassa en 1988…

Ce qui, de toute évidence, est loin d'être le cas.

***************************************************************** 

Donc, on tergiverse à Québec.

Et on finira peut-petre par nous pondre une «solution» mi-figue, mi-raisin, qui n'en sera pas vraiment une.

Et à plus ou moins trois ans d'une élection générale, ce n'est sûrement pas cette question, ni celle d'une commission d'enquête sur l'industrie de la construction qui ne viendra jamais, qui empêchera le premier ministre de dormir confortablement sur ses deux oreilles et les deux mains bien agrippées sur le volant de son oreiller.

Mais, de toute évidence, on espère se tromper…

À suivre.

*****************************************************************************

(1) La loi 104 fut adoptée en 2002 pour mettre fin au stratagème permettant à des enfants francophones ou d'immigrants de contourner la Loi 101 en obtenant un certificat d'éligibilité à l'école anglaise subventionnée, pour lui ou elle, ses frères et soeurs et tous leurs futurs descendants, en s'inscrivant pour quelques mois ou une année dans une école privée anglaise non subventionnée.

La clause dérogatoire permet à un parlement de protéger une loi ayant été invalidée par la Cour suprême en «dérogeant» de son effet pendant une période de cinq ans (renouvelable).

(2)  http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/03/04/g-233-rard-bouchard-est-de-retour.aspx

(3)  http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2010/03/05/loi-101-vs-la-cour-supr-234-me.aspx

@ Caricature: Chapleau, La Presse. http://toutlemondedevraitenparler.files.wordpress.com/2009/05/car-christine-st-pierre.jpg