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Marc Bellemare en remet

 

Gros dimanche au Québec.

Ce 11 avril 2010, on aura vu un grand rassemblement populaire à Montréal contre le recul du français et l'inaction du gouvernement. Puis, à Québec, entre 30 000 et 50 000 citoyens répondaient à l'appel d'une station radiophonique et entouraient l'Assemblée nationale de leurs «balais» pour dénoncer le budget Bachand.

Gros lundi aussi. Un sondage Léger Marketing-Le Devoir confirmait la colère de la population avec le gouvernement Charest se retrouvant avec un taux record d'insatisfaction de 77% et plongeant à 23% auprès des francophones dans les intentions de vote. http://www.ledevoir.com/politique/quebec/286812/sondage-leger-marketing-le-devoir-le-budget-coule-charest

Quant à Jean Charest, plus que 17% des répondants le voient comme le «meilleur premier ministre» parmi les chefs de parti. Pauline Marois a droit à 27% dans cette même catégorie. Mais la vraie histoire, comme on dit, est ici: 39% des répondants ont refusé de répondre à cette question! Comme quoi, le «meilleur premier ministre» semble pour le moment tenir plus du rêve que de la réalité… 

Autre signal d'alarme majeur pour le gouvernement libéral: dans la manif de Québec, les affiches les plus voyantes avaient ces mots écrits en rouge – «Maudit menteur».

NOUVEAU COUP DE TONNERRE:

Bref, c'est la seconde fois en deux semaines que le premier ministre du Québec se fait traiter publiquement de «menteur». La première fois est venue courtoisie de son ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare – une histoire loin d'être terminée.

D'ailleurs, Marc Bellemarre en a remis aujourd'hui. Beaucoup. Et ses allégations sont percutantes.

En entrevue avec le journaliste Alain Gravel de Radio-Canada, il allègue qu'il y aurait eu trafic d'influence en 2003 et 2004 de la part de collecteurs de fonds pour le PLQ pour influer sur des nominations de juges et certaines politiques, ainsi que du financement illégal du PLQ.  

Il allègue aussi qu'il en aurait informé le premier ministre à l'époque, qu'il n'aurait rien empêché et que l'«industrie de la construction» y aurait été mêlée:

«Extrait de l'entrevue:

– [Marc Bellemare] Les échanges d'argent auxquels j'ai assisté, de façon très fortuite d'ailleurs, sont des échanges qui ont lieu entre un permanent du parti et un individu considéré comme un collecteur influent du parti.
– [Alain Gravel] Est-ce que c'est quelqu'un qui est lié à l'industrie de la construction?
– Oui.
– Est-ce qu'on peut s'entendre pour dire que c'est un entrepreneur en construction?
– Oui.

[…]
– Quand vous dites des sommes substantielles, c'était de l'argent comptant?
– Oui […] Il y avait des chèques et il y avait une liste de noms tout près.
– Donc, il y avait de l'argent comptant, des chèques et une liste?
– Exact.
– Beaucoup d'argent comptant?
– Oui.
– Est-ce que vous avez parlé aux gens qui s'échangeaient l'argent?
– Oui, je les ai salués, manifestement, je n'avais pas d'affaires là. […] J'en ai parlé au premier ministre, je m'en suis plaint au premier ministre et le lui ai dit que c'était irrégulier et que c'était dangereux, et puis voilà.
– Est-ce que vous pouvez me dire ce que le premier ministre vous a répondu?
– Non, mais je peux vous dire qu'il était très bien informé.»

Pour le reportage, voir: http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2010/04/12/004-bellemare-entrevue.shtml

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En termes politiques, cette sortie, faite de surcroît pendant que le premier ministre est à l'extérieur du Québec, est une véritable déclaration de guerre.

Surtout, elle braque à nouveau les projecteurs sur ce qui semble être devenu le talon d'Achille du gouvernement. Soit cette trinité des trois «C» qui ne semble plus vouloir le quitter: Construction-Collusion-Corruption.

Et s'il fallait que les allégations de Me Bellemare sur des liens entre collecteurs de fonds et nominations de juges s'avèrent fondées, ce serait aussi le principe même de l'indépendance du système judiciaire qui serait remis en question du moment où s'y mêlerait la question du financement des partis. La question étant très importante, il faut donc savoir si cela est vrai.

Car si cela était, de qui parle-t-on? Une question cruciale pour la magistrature elle-même. D'autant qu'à TVA., Me Bellemare affirmait 'avoir nommé 8 ou 10 juges pendant son passage et que cette «influence» se serait exercée dans 2 cas ou plus. Pour tous ces juges, il importe aussi que cela soit enquêté. 

Bref, le premier ministre ne peut pas laisser «flotter» des allégations pareilles sans prendre les moyens de savoir la vérité. Cette fois-ci, on touche à la question de la crédibilité de l'institution judiciaire, à celle de la séparation des pouvoirs, du gouvernement et du PM lui-même. Encore une fois, si ces allégations sont fondées.

Sans présumer, il reste que ce dernier coup de tonnerre de Me Bellemare vient ajouter au parfum ambiant de favoritisme et de possible corruption. Et rares sont les populations capables de pardonner cette dernière.

UNE AUTRE RAISON SÉRIEUSE POUR UNE COMMISSION D'ENQUÊTE:

Par conséquent, les demandes pour une commission d'enquête publique et indépendante sur l'industrie de la construction et ses liens politiques ne feront que se multiplier d'autant plus que la nomination présumée de certains juges pour des motifs pécuniers et d'influence vient maintenant de s'ajouter au portrait. Un portrait qui ne cesse de se complexifier.

Une commission d'enquête indépendante demeure le meilleur moyen de disséquer les relations tentaculaires entre certains milieux et possiblement celui de la politique. Et c'est le moyen d'offrir l'immunité à ceux qui, comme Marc Bellemare, ont des choses à dire et des noms à donner.

Mais aussi, c'est peut-être là, la principale raison pour laquelle le gouvernement refuse d'en tenir une.

Et pourtant, plus le gouvernement s'entêtera à en refuser la création, plus forte deviendra l'impression qu'il fait partie du problème, et non de la solution.

Car les citoyens comprennent bien que si les allégations qui se multiplient depuis un an étaient fausses, le premier ministre n'aurait rien à craindre en allant au fond des choses. Mais s'il continue à refuser, alors là, la conclusion risque d'être tout le contraire.

UNE SITUATION DEVENUE INTENABLE:

De fait, ce chassé-croisé entre Me Bellemare et le PM, par médias interposés, est devenue une situation intenable. Parce que les allégations sont graves et qu'elles viennent d'un ancien ministre de la Justice, elles méritent enquête. Et parce qu'elles risquent d'entacher la crédibilité du gouvernement, du système judiciaire et du premier ministre. Il faut donc aller au fond des choses.

Addendum:  

Dernière heure: la vice-première ministre, Nathalie Normandeau, donnait un «scrum» à Québec après 19h00. Par trois fois, elle a répété cette phrase: «Si j'étais premier ministre du Québec, je poursuivrais Monsieur Bellemare». Et d'ajouter: «Le message est très clair ce soir. (…) On ne peut pas permettre à M. Bellemare de continuer d'affirmer des choses qui sont fausses (…). Écoutez, on va prendre nos responsabilités en pareilles matières, c'est évident.»  Pourtant, juste avant, en entrevue à 24 heures en 60 minutes, elle n'avait rien répondu lorsque Sébastien Bovet lui a demandé si on allait poursuivre Me Bellemare.

Puis, au Téléjournal de 21h00, elle annonçait l'intention de Jean Charest de faire parvenir à Me Bellemare une mise en demeure et une demande de rétractation, sans quoi, il poursuivra. Tout cela sentait quelque peu l'improvisation.

Et ce n'est pas la décision du siècle… Vraiment pas.

Car le danger pour le PM est que la cour de l'opinion publique, elle, comprenne un tel geste comme une tentative de faire taire l'ancien ministre plutôt que de prendre les moyens pour aller au fond des choses. Et qu'elle le voit, à tort ou à raison, comme une confirmation que le gouvernement a des comportements à cacher.

Surtout dans la mesure où le PM refuse toujours d'instituer une véritable commission d'enquête et où, dans le département de l'éthique, son gouvernement se promène depuis des mois avec un nuage de suspicion au-dessus de la tête.

De fait, qu'il «poursuive» ou non Me Bellemare, il est peu probable que le PM puisse sortir de ce dernier épisode indemne. La combinaison de l'existence même de ce nuage de suspicion, du taux d'insatisfaction exceptionnellement élevé envers son gouvernement et des allégations très graves que vient de faire Me Bellemare, laissera des traces car elle soulève des questions sur ce qu'un premier ministre a de plus précieux: son intégrité.

Donc, une mise en demeure et une poursuite ne régleront rien à terme. Faire l'autruche en espérant que Me Bellemare rentre dans ses terres ne tient pas la route. Pour les citoyens, les médias et les partis d'opposition, les allégations sont maintenant sur la table. Elles ne disparaitront pas du paysage par la pensée magique ou par une mise en demeure.   

À vrai dire, les événements de ce lundi ont toutes les caractéristiques d'une crise. C'est le genre de choses qui peut faire bouger les plaques tectoniques de la scène politique québécoise. Reste à voir si le PM en aura ou non conscience. 

Car dans la réalité, les allégations sont si sérieuses cette fois-ci que c'est de deux choses l'une. Ou Me Bellemare est tellement sûr de ce qu'il avance, preuves à l'appui, qu'il a décidé de jouer le tout pour le tout. Ou alors, tout cela est faux, comme le prétend Mme Normandeau, ce qui ferait de l'ancien ministre de la Justice un mythomane kamikaze.

Il ne semble plus rester beaucoup d'autres possibilités entre ces deux extrêmes.

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PIRE QU'UN BRIS DE CONFIANCE:

On parle de «bris de confiance» entre la population et son gouvernement. Mais lorsque le premier ministre passe pour un «menteur», ce bris de confiance risque de ne pas se résorber.

Sans compter LE signe ultime d'alarme pour les ministres libéaux: cette «colère» qui monte, ce ras-le-bol populaire, se décline de moult manières. Le fait est que chaque citoyen en colère a ses propres raisons de l'être, et ses raisons émanent de ses propres perceptions et de ses propres analyses de la réalité.

Ce n'est donc pas une réaction «émotive», comme disent parfois les sondeurs, mais souvent réfléchie. C'est seulement que les motivations ne sont pas uniformes. En fait, dans le contexte actuel, les facteurs derrière cette colère sont multiples. Au point de s'alimenter et de se décupler les uns les autres de plus en plus depuis la réélection du gouvernement en décembre 2008.

Et cela, ça devrait inquiéter sérieusement les ministres de M. Charest.

Le dernier Léger Marketing, fait avant le budget, montrait d'ailleurs déjà un taux d'insatisfaction de 70%. Ce n'est donc pas le «budget» en soi qui «coule» le gouvernement dans les sondages. Mais le «budget» comme catalyseur d'une colère déjà présente.

Et il y a amplement à puiser dans le bilan du gouvernement de la dernière année: pertes monumentales à la Caisse de dépôt et de placement; recul du français; dossier des accommodements raisonnables; «privilèges» accordés à des groupes ultrareligieux; bonis dans les sociétés d'État accordés indépendamment de leur performance; privatisation croissante des soins de santé; sous-traitance accélérée au privé dans divers domaines; baisses d'impôts qui ont créé en fait le déficit d'aujourd'hui; déconnexion visible des ministres vis-à-vis des préoccupations réelles de la population; problèmes d'éthique; dons faits au PLQ par des entrepreneurs «reconnaissants» par l'entreprise possible de «prête-noms»; parfum de collusion et de corruption dans la construction et maintenant, même dans les contrats gouvernementaux d'informatique; impression de «gaspillage» dans la bureaucratie; hausse annoncée d'une brochette de taris, d'une «taxe santé» et d'un «ticket modérateur» pour les visites médicales; etc…

Ajoutons à l'ensemble de l'oeuvre, une impression qui gagne de plus en plus de citoyens: à savoir que leur PM ne ferait dans les faits que son dernier tour du jardin avant de passer à autre chose avant la prochaine élection.

Bref, lorsqu'un gouvernement provoque une insatisfaction marquée dans un ou deux dossiers, c'est inquiétant pour lui. Mais, comme disent les spin doctors, c'est toujours «gérable»… Et il y a toujours des conseillers prêts à vous sortir la tirade classique de Robert Bourassa: «en politique, six mois, c'est une éternité!»… Et patati, et patata.

Toutefois, lorsque la liste des motifs d'insatisfaction ne cesse de s'allonger, et que les questionnements contenant le mot «intégrité» reviennent sur une base régulière,le côté «gérable» de la situation commence à être moins évident.

Car c'est l'effet cumulatif du portrait global, qui concourt surtout à éveiller la société civile… Et «effet cumulatif», il y a au Québec. Ça, c'est évident.

À suivre.

Et je vous reviens cette semaine avec la suite de ma réflexion sur le sujet.

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@ Photo: Yvan Doublet, Le Devoir